Published articlesTiny Tiny RSS/UNKNOWN (Unsupported)2021-04-19T12:31:49+00:00https://ergosterol.monolecte.fr/tiny/public.php?op=rss&id=-2&key=ofbrrg5ed7aec51786btag:ergosterol.monolecte.fr,2022-04-23:/16949"Considérations philosophiques sur le rituel électoral frauduleusement nommé démocratie" par Alain BadiouEt voilà qu’aujourd’hu...]]>
Et voilà qu’aujourd’hui je vais parler des élections, une péripétie nationale. Vous auriez raison de m’accuser d’opportunisme, de ressembler à un vulgaire appareil médiatique. Vous pourriez dire que je parle ici de ce qui se passe et dont tout le monde est à peu près déjà au courant.
Je crois pouvoir me défendre, au moins partiellement: je ne vais naturellement pas commencer ce séminaire par des considérations ordinaires, chiffrées et calculatrices, sur le résultat du premier tour de l’élection présidentielle. Ce serait plier la philosophie aux lois du journalisme. Mais je ne veux pas non plus faire comme si j’allais parler totalement en dehors du contexte de ces élections. Ce serait tout de même faire preuve d’un certain snobisme intellectuel. Pour le moment, je ferai une seule remarque empirique. Une opinion commune traite ces dernières années comme des années sombres, presque dévastatrices. On parle de perte des libertés, de désordres économiques, de pandémie brisant l’élan de la vie. On parle d’autoritarisme aveugle et insensible, on pleure la totale disparition de la gauche, on souligne l’importance des mouvements de protestation, des Gilets jaunes aux antivax. On annonce que le pire est devant nous, avec l’inflation galopante et les pénuries prévisibles, notamment celles du gaz et du pétrole. Moi-même, du reste, j’ai parlé d’une époque de grave désorientation politique.
Il semble donc que l’époque soit agitée, nouvelle, périlleuse, et que même le confort moyen dont bénéficient les contrées de l’Europe occidentale soit menacé.
Eh bien, une bonne nouvelle ! Le parlementarisme électoral affirme que tout va bien, et que rien ne change ni ne doit changer. La preuve éclatante est la suivante : il y a cinq ans, les élections présidentielles faisaient accéder au deuxième tour un fringant nouveau venu, Emmanuel Macron, et une vedette bien connue du répertoire électoral, Marine Le Pen. Les vieux partis, notamment de la gauche classique, PS et PC, étaient déconfits. Désormais, nous apprenons que vont accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle qui ? Eh bien, les mêmes dans le même ordre, l’héritière Le Pen venant derechef derrière le vieillissant nouveau venu Macron. Et des partis de la gauche classique, il n’est pratiquement plus question, ils sont, avec les groupuscules de la gauche radicale et les supplétifs de l’extrême droite, dans l’enfer des totaux imperceptibles.
Il n’a pas tort sur un point, ce dispositif : les conjonctures du réel peuvent changer, le protocole électoral, lui, reste identique à lui-même et à sa fonction de toujours : faire en sorte que le réel de la société française et de son groupe dominant persévère, quels que puissent être les avatars de la superficie électorale.
Sur ce point, j’aime citer un ancien ministre gaulliste de la justice, Alain Peyrefitte. Le résultat des élections de 1981, qui avait porté au pouvoir une coalition socialo-communisme dirigée par Mitterrand, avait effrayé le loyal réactionnaire gaulliste Peyrefitte. Il sut alors trouver, et c’était, je crois bien, la première fois qu’il trouvait quelque chose, une formule admirable. Il dit: « Les élections sont faites pour changer de gouvernement, et nullement pour changer de société ». Guidé par son angoisse, il retrouvait, très paradoxalement, une considération de Marx lui-même: à savoir que les élections ne sont qu’une mécanique servant à désigner, selon l’expression de Marx, « les fondés de pouvoir du Capital ». L’un et l’autre, au fond, quoiqu’à des fins opposées, disaient que les élections concernent la gestion – le gouvernement – de l’ordre capitaliste bourgeois, mais n’envisagent aucunement la remise en cause de cet ordre lui-même.
De fait, il n’est jamais arrivé, et à mon sens il n’arrivera jamais, que l’ordre capitaliste d’une société où cet ordre est solidement installé, souvent depuis deux siècles, soit renversé suite à une élection, et remplacé par une variante inventive du collectivisme. Il peut y avoir des inflexions opportunistes, un coup de barre à droite parce que la bourgeoisie est mécontente, ou que la situation financière l’exige, un coup de barre à gauche, parce que le peuple grogne et qu’il convient de lâcher quelques sous. Mais jamais rien n’arrive qui change l’ordre sous-jacent de l’organisation sociale dominante.
Nous sommes sur ce point bien plus aveugles et timorés que ne l’étaient les militants du dix-neuvième siècle. A propos de ceux qui croyaient encore que les élections étaient un lieu démocratique et qu’on pouvait y vaincre l’ennemi conservateur, ces vrais militants, intellectuels et ouvriers, parlaient tout uniment de « crétinisme parlementaire ».
Rien de plus partagé aujourd’hui que, sous le nom de « démocratie », une forme presque définitivement installée de « crétinisme parlementaire ». En particulier chez nombre d’intellectuels, l’opposition fondamentale à leurs yeux entre « totalitarisme » et « démocratie » n’est qu’une forme moderne, et infiniment plus pernicieuse, de cette maladie conservatrice qu’est le crétinisme parlementaire.
Pour ce qui me concerne, j’ai été dans ma jeunesse, notamment au début des années soixante, un crétin de cette espèce. Militant des variantes de gauche du socialisme, j’ai activement participé à des campagnes électorales, j’ai compté tristement les voix, j’ai préparé les élections à venir, j’ai envisagé des alliances de toute la gauche… Bref, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour que le crétinisme anime un militantisme farouche.
C’est la tempête de Mai 68, ma fréquentation active des usines, la découverte de la capacité politique potentielle des ouvriers, notamment des immigrés, qui m’a fait entrevoir que le chemin du collectivisme communiste n’était pas, ne pouvait pas être, à chercher du côté des rituels électoraux. Ce qu’a confirmé, si besoin en était, le triomphe aux élections, en 1968, de la réaction la plus agressive qui soit.
Depuis, et donc depuis 54 ans, je fais une cure de dé-crétinisation: je n’ai voté à aucune élection, si tendue et mélodramatique que puisse être sa mise en scène, notamment par les partis dits « de gauche ». Mais je crois qu’il faut comprendre pourquoi le dispositif électoral, tel qu’il fonctionne allègrement dans les pays occidentaux, est appelé « démocratique », et, sous ce nom, tenu pour le seul régime politique libérateur, tous les autres étant qualifiés de « dictatoriaux » ou de « totalitaires ». Alors que, de la Russie à Cuba en passant par la Chine, le Vietnam ou la Yougoslavie, aucune expérience d’un déploiement non capitaliste de la société, aucune expérience collectiviste, quelle qu’en soit la durée ou les avatars, n’a pu s’établir du biais des élections, ni n’a pratiqué le parlementarisme de type occidental.
Il est vrai que Marx lui-même avait tiré, de l’expérience fondamentale qu’avait été pour lui la Commune de Paris, sa grandeur et son échec, l’idée que la nature d’un pouvoir communiste transitoire, destiné à faire dépérir l’Etat, et à confier la gestion de toutes choses aux peuples concernés, qu’un tel pouvoir, au vu des résistances violentes qu’il risquait de rencontrer, ne pouvait que s’appeler « dictature du prolétariat ».
C’est pourquoi ce qui est nommé « démocratie » dans les pays impérialistes occidentaux, je le renomme, d’une façon brutale, la forme raffinée de la dictature bourgeoise, et d’une façon un peu plus technique mais claire, le « parlementaro-capitalisme ».
Alors, analytiquement, de quoi s’agit-il ?
Tout d’abord, il est évidemment faux que la démocratie puisse être définie par le rituel électoral. Etymologiquement, « démocratie » veut dire « pouvoir du peuple », voire même « commandement par la multitude ». Il est ridicule de penser qu’un tel commandement puisse être autre chose que « collectif », au sens d’une réunion du peuple, telle que la pratiquait les athéniens dans la Grèce antique. De ce point de vue, rien n’est plus ridicule que de déclarer démocratique la pratique de l’isoloir ! Cet isoloir est la trace visible d’une conception totalement bourgeoise de la conviction politique: elle est, dans le cadre électoral, une conviction « privée », comme doit l’être la propriété. Et de même que les bourgeois qui sont actionnaires et propriétaires de capitaux ont une tendance marquée à dissimuler leurs possessions par le recours aux paradis fiscaux, de même le votant doit cacher son vote en remplissant son bulletin, tout seul, dans une sorte de pissotière électorale. On ne saurait inventer une procédure aussi peu démocratique que cette solitude ! En démocratie véritable, toute décision doit résulter d’une réunion où les diverses possibilités ont été argumentées et comprises par tous. Et l’échelle de la réunion, qu’elle soit celle d’une usine, d’un quartier, d’un village, d’une ville, d’un canton, d’une région, d’une nation, et un jour de l’univers entier, dépend du sujet traité, et du chemin parcouru dans la direction qu’indique le chant de guerre prolétarien: « Levons-nous et demain, l’Internationale sera le genre humain ».
L’isoloir est la matérialisation d’une idée typiquement bourgeoise et conservatrice, idée qui affirme que l’unité de base de tout ce qui existe est, dans l’ordre politique aujourd’hui dominant, l’individu.
En un sens, la contradiction majeure est bel et bien celle du mot après lequel on met le suffixe « isme ». Est-ce « individu » ? On dira alors que l’idéologie dominante est l’individualisme, lequel est immédiatement connecté à la propriété privée de type bourgeois, notamment la propriété privée des moyens de production. Ou alors, on dira qu’il faut partir du « commun », de ce qui est en partage dans le destin de tous, de ce qui résulte de délibérations argumentées auxquelles participent, doivent participer, tous ceux qui sont concernés par la décision à prendre. Et on dit alors communisme, lequel est immédiatement connecté à la propriété collective, propriété partagée notamment par tous ceux qui habitent ou travaillent dans le lieu concerné.
On dira donc que le rituel électoral, destiné à désigner dans l’isoloir ceux qui vont être les protecteurs de l’individualisme et de la propriété bourgeoise, doit s’appeler « parlementarisme » et non pas du tout « démocratie », puisqu’à la place de vraies décisions collectives à tous les niveaux, il propose la mise en place d’un lieu unique où, sous des noms comme « ministères » ou « parlements » se rassemblent les représentants du conservatisme capitaliste. D’où le nom que je propose pour un tel régime: capitalo-parlementarisme.
Aujourd’hui, il est particulièrement clair que ce nom est justifié. En effet, les élections de chambres diverses – ces salons politiques du Capital – sont littéralement programmées par un appareil de propagande gigantesque, lui-même tenu en laisse par la propriété bourgeoise. Les grands quotidiens et hebdomadaires nationaux, les chaînes de radio ou de télévision, sont, depuis de longues années, l’objet d’un processus ininterrompu de privatisation. C’est cohérent, après tout ! Elire une majorité de fondés de pouvoir de l’individualisme capitaliste est plus assuré si c’est à des capitalistes notoires et convaincus qu’appartiennent tous les moyens de propagande ! Les quelques survivants publics appartiennent à l’Etat bourgeois, et il est constamment question de les privatiser eux aussi. Une « propagande » tenue en mains par l’Etat, dit l’individualiste bourgeois, c’est totalitaire! Tenue par un milliardaire, c’est… démocratique.
Une objection qui peut ici être faite, c’est que la procédure parlementaire engage non pas seulement des individus, mais des partis, et qu’un parti peut prétendre être le représentant d’une collectivité, comme les ouvriers, quand on dit par exemple qu’un parti communiste est « le parti de la classe ouvrière ». Selon cette vision, la procédure électorale serait collective, puisqu’elle opposerait des groupes représentant la diversité sociale. Lénine lui-même disait: « la société est divisée en classe, les classes sont représentées par des partis, et les partis sont dirigés par des chefs ». Eh bien, je ne suis pas sûr qu’il avait raison.
Tout repose, ici, sur la notion suspecte de « représentation ». Après tout, le capitalo-parlementarisme peut prétendre que, grâce aux partis politiques et au vote parlementaire, c’est bien le réel de la société qui est finalement « représenté » dans les assemblées élues.
Ma thèse est alors la suivante: ce qui caractérise la démocratie véritable, c’est qu’elle n’admet pas la représentation. Elle n’est pas représentable. Un parti, si prolétarien qu’il se déclare, n’est pas, ne peut pas être, la représentation des ouvriers, de la classe ouvrière. Il ne peut être qu’un des instruments politiques dont se dote la classe dans son combat contre l’hégémonie bourgeoise. Il demeure donc sous le signe du multiple: il est une multiplicité prolétarienne organisée, rien de plus.
En fait, en politique, ce qui est déterminant est la présence, la présentation, et non la représentation. C’est le multiple de la décision qui compte, et non l’Un de la représentation et d’une décision séparée.
Deux exemples de la plus grande portée.
1. Quand Lénine revient d’exil en Russie, on est alors aux débuts de la révolution de 1917, il est accueilli à la gare par un fort détachement du Parti. Et il crie aussitôt : « tout le pouvoir aux soviets ». Or, les soviets, ce sont les multiples assemblées ouvrières et populaires, que Lénine considère comme la véritable existence politique d’une voie complètement nouvelle de la politique socialiste. Une voie précisément opposée à celle où se sont embourbés les partis socialistes de France ou d’Allemagne, à savoir la voie du parti parlementaire et des élections, qui les a finalement amenés à soutenir le meurtrier engagement de leurs pays respectifs dans la boucherie de 14-18. Lénine n’a pas dit, n’a jamais dit, « tout le pouvoir au parti ». Plus tard, dans les années vingt, peu de temps avant sa mort, il se demandera si l’Etat soviétique dirigé par le Parti communiste est vraiment différent de l’Etat tsariste. Il proposera de créer une inspection ouvrière et paysanne chargée directement de contrôler l’Etat. Mais il mourra sans avoir pu faire aboutir ses propositions. Et Staline portera à son comble l’identité faussement représentative entre le Parti et l’Etat.
2. Pendant la Révolution Culturelle en Chine, on demandait souvent à Mao Tsé Toung pourquoi il parlait toujours, à propos de la situation en Chine, de lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, alors que la Chine était un État communiste, un État dirigé par le parti communiste. Et Mao a fini par dire ceci: « On me demande souvent où est, en Chine, la bourgeoisie. Eh bien, la bourgeoisie est dans le parti communiste ». Il avait donc vu que le Parti, dès lors qu’il se confond avec l’État, peut dégénérer. Au lieu de travailler en direction d’un dépérissement de l’État au profit d’une gestion immédiatement collective de tous les processus de production, d’administration, ou de répartition, les caciques du Parti forment une nouvelle bourgeoisie. Au lieu de collectiviser la propriété privée, ils en prennent la direction. Au lieu de faire dépérir l’État des capitalistes, ils créent un capitalisme monopoliste d’État. Et telle est la Chine actuelle, devenue une puissance sur le marché mondial, une rivale des États-Unis, sans aucun caractère communiste.
Dans les deux cas, on le voit, les grands penseurs et dirigeants communistes ont bien vu le péril qu’il y avait à remplacer une détermination politique populaire par sa représentation, électorale ou partidaire. Ils n’ont pas pu empêcher que ce phénomène anti-démocratique l’emporte, et qu’avec lui l’hypothèse communiste, seule alternative à la domination capitaliste, soit terriblement affaiblie.
La démocratie véritable implique certes des formes d’organisation, mais une organisation n’est pas et ne doit pas être une représentation. Elle doit rester subordonnée à la multiplicité agissante.
Mais la multiplicité agissante à son tour ne doit pas être ramenée à une collection d’individus. Elle n’est pas réductible à un total d’individus. Elle ne pratique pas l’isoloir. Elle travaille collectivement à analyser la situation, et à déterminer l’action qui importe. Toute réunion politique vraiment démocratique revient à trouver une réponse, travaillée et partagée, à deux questions classiques : un, quelle est la situation actuelle ? Deux, dans cette situation, quelles sont nos tâches ?
On dira donc que le multiple politique agissant définit la situation actuelle et ses tâches, entre deux périls, deux aliénations : sa réduction électorale aux suffrages d’une multiplicité d’individus, qui est sa forme propre de décomposition ; et sa réduction parlementaire qui consiste à nommer une direction unifiée du multiple. Ce qui est sa manière propre de se confondre avec une représentation.
Décomposition électorale et représentation dirigeante sont les deux écueils de toute politique qui tente d’échapper à la dictature du crétinisme parlementaire.
En vérité, ce que la prétendue démocratie parlementaire redoute par-dessus tout, c’est que les deux vices du capitalo-parlementarisme, la décomposition et la représentation, soient affaiblis. Cela arrive si on conteste le suffrage comme unique validation politique, et si l’on conteste le pouvoir d’Etat comme unique figure unifiée de l’action politique.
Le crétinisme parlementaire des forces d’opposition est de reculer sans cesse devant ces deux critiques radicales de la politique pseudo-démocratique, et de prétendre que, une fois au pouvoir, on fera autrement. Mais du coup, le pouvoir sera en réalité le même. Car c’est dès la mobilisation des multiplicités populaires qu’il faut se tenir à distance et de la décomposition, et de la représentation.
Armé de tout cela, permettez-moi de revenir à la conjoncture récente, et d’en parler un peu abstraitement. Les trois partenaires réels de la foire électorale sont en fait d’une part les deux élus pour le second tour, à savoir le président Macron et Madame Le Pen. D’autre part, l’outsider de gauche, à savoir le bouillant Mélenchon. Les autres, dans la logique parlementaire, ne sont plus que des gens qui doivent vendre pour presque rien leurs petits électorats. Ils composent les bataillons de la décomposition parlementaire. Mais les trois autres, s’ils échappent provisoirement à cette décomposition, ont de graves problèmes de représentation. Car de quelles multiplicités sont-ils les uniques représentants? Au nom de quelles collections d’isoloirs parlent-ils ? Les voilà fort inquiets de ce qui les menace, et qui est tout proche : les élections législatives. Or sur les trois premiers du premier tour des présidentielles, seule Marine Le Pen peut se targuer d’avoir un parti. Macron, on le sait, n’a jamais eu, en fait de parti, qu’un bricolage devenu peu à peu inconsistant. Et Mélenchon n’est plus ni de chez les socialistes, ni de chez les communistes, lesquels du reste, en fait de représentation, ne présentent que leur décomposition. Alors ? Comment faire pour organiser une direction unifiée du multiple ? Même Madame Le Pen est dans l’embarras, car les deux autres se sont acoquinés contre elle. Macron, le sans-parti, accueille les bras ouverts tous ceux qui ne veulent pas de Madame Le Pen. Et Mélenchon a dit quatre fois : « pas une voix pour Madame Le Pen », sans jamais dire toutefois, démagogie tortueuse oblige: « votez Macron ».
Dans ces conditions, la machine électorale, avec sa pompe décomposante et son robinet représentatif, risque de donner dès le mois prochain un président sans pouvoir face à un parlement sans majorité, alors même que personne n’a vraiment dit la vérité: à savoir que la dite machine peut s’accommoder de tout, sauf bien entendu, c’est l’axiome de Peyrefitte, d’un changement quelconque de la société, à savoir: d’une atteinte portée à l’emprise, elle inconditionnée, du capitalisme moderne sur le jeu électoral. Cette atteinte, jamais !
Pour le reste, dès lors que le réel capitalise sous-jacent prospère, la machine électorale peut tourner à vide, elle en a vu d’autres. Quand j’étais jeune, on était dans la quatrième république, les majorités étaient en général si peu solides qu’on changeait constamment de premier ministre. On votait sans savoir qui serait ministre, et les gouvernements valsaient agréablement. Est-ce que cela a empêché que le capitalisme français se reconstitue, dans les années cinquante et soixante, jusqu’au point qu’on parle à son propos de période fastueuse, des « trente glorieuses » ? Pas du tout ! Est-ce que cela a empêché les situationnistes de Guy Debord de parler de la naissance d’une « société de consommation » ? Encore moins…
La conclusion sera donc : pour éviter les traquenards de la dialectique entre décomposition et représentation, ne vous approchez surtout jamais d’un isoloir, ne votez pas, ne votez plus jamais. Montez partout, sur tout ce qui vous intéresse, tout ce qui vous mobilise, de vraies réunions collectivisantes sans la moindre trace d’élection. Songez que le seul ennemi impavide, le seul bénéficiaire du système, est la dictature économique et sociale du Capital. La « démocratie », celle qu’on oppose au totalitarisme, concrètement, ce sont les Etats-Unis, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, et ainsi de suite. A savoir le cortège des puissances impériales, et des milliardaires mettant au service de leurs milliards tout le tiers monde des pauvres, de ceux qui, pour vivre ou survivre, doivent quitter leur pays et tenter de venir ailleurs, chez nous, par exemple. Pourquoi voter, sinon pour chasser de chez nous ces rapaces, et pour accueillir à bras ouverts leurs victimes tropicales, asiatiques, sud-américaines, et ainsi de suite ? Mais c’est ce que justement la machine électorale n’autorise pas. Alors, en tout cas, cessons de voter, et appelons, dans des réunions multiformes en vue de construire une autre humanité, tout le monde à faire de même.
Le but: que les milliardaires soient les seuls à voter. On y verrait plus clair.
En attendant, je voudrais, pour vous réconforter, pour faire un peu de musique verbale, vous lire des fragments d’un beau texte sur la politique. Ils sont tirés de l’avant-dernière partie de « La République », de Platon. On y voit que l’espérance d’un militantisme rationnel avait déjà trouvé, contre l’apparence pseudo démocratique, son langage.
Je vous lis ces extraits dans ma traduction. C’est d’abord Socrate qui parle :
— Pourquoi finalement les riches méprisent-ils les ouvriers pauvres, n’hésitant pas à les traiter de « barbares » ou de « mal intégrés à la civilisation », à faire contre eux des lois scélérates, à les parquer dans des cités infectes et à les contrôler, bastonner, arrêter, voire fusiller dès qu’ils font mine de se révolter ? C’est qu’ils ont terriblement peur, les riches et leurs partis parlementaires que, animé par la pure humanité de l’Idée, le lion de l’affect ouvrier se soumette les lâchetés de la bête dominante, et qu’en résulte une force politique et un courage, d’autant plus menaçants pour le pouvoir des riches que ces derniers sont en réalité corrompus et lâches.
Le jeune homme disciple de Socrate, le nommé Glauque, intervient alors en ces termes :
— Je ne vois toujours pas comment se soustraire au péril que nomment tous ces vices…
Alors Socrate :
— Le collectif politique, quel qu’il soit, doit être à l’image de l’homme intérieur, celui qui est capable de vérité. Sa délibération doit conduire à ce qui, selon une appréciation argumentée et rationnelle, constitue une vérité politique. Seule cette vérité s’oppose aux décisions d’un groupe social poursuivant avec violence ses seuls intérêts.
Et Amantha, la jeune femme également disciple du philosophe :
— Il me semble que vous opposez aux passions du commerce et des actions intéressées une discipline à laquelle il faut consentir dès lors qu’elle établit le pouvoir, en l’homme, d’une capacité supra-humaine. Vous désirez que la délibération politique nous rassemble au service de notre harmonie subjective.
À quoi Socrate répond :
— En tout cas, nous échapperons aux diktats qu’impose partout le processus implacable de la concentration du Capital. Tournés vers notre gouvernement intérieur, notre pensée active, nous y trouverons de quoi subordonner les affaires d’argent et de rendement monétaires de actions possédées au déploiement de ce que, au-delà de nos envies immédiates, nous sommes capables de créer ayant une signification universelle. Nous agirons de même en ce qui concerne la reconnaissance publique, au-delà de tout mécanisme électoral. Nous ne compterons pas les voix. Nous accepterons volontiers les éloges dont nous pensons qu’ils vont à ce que nous avons de meilleur, et nous fuirons, dans notre vie privée comme dans nos engagements sur la scène du monde, les hommages intéressés qui pourraient perturber notre devenir-Sujet.
Le jeune Glauque, un peu mélancolique, s’inquiète :
— Il est probable alors que nous nous tiendrons à l’écart de toute action politique et de tous les politiciens…
Socrate réagit vivement :
— Non, par le Chien ! Nous nous occuperons très activement de politique au milieu des gens de notre pays comme au service de l’humanité toute entière ! Mais pas au niveau des fonctions officielles, pas dans l’Etat – à distance de l’Etat, au contraire. A moins de circonstances révolutionnaires imprévisibles.
Glauque, reprenant espoir :
— Ah oui ! Circonstances qui établiraient un ordre politique comme celui dont nous parlons depuis hier soir, c’est ça ? Parce que cet ordre n’existe pour l’instant que dans nos discours. Je ne crois pas qu’il y en ait un exemple accompli où que ce soit.
Et Socrate alors va conclure dans ces termes :
— Il est cependant probable que de nombreux processus politiques bien réels, dans de nombreux pays, sont compatibles avec l’Idée qui est la nôtre, puisque la portée de cette Idée, l’idée que certains nomment le communisme, le vrai communisme, est universelle. Cependant, que ces processus soient puissants ou récents, nombreux ou rares, ce n’est pas là ce qui nous détermine en tant que Sujets actifs. Nous espérons certes que des politiques fourniront un jour à l’Idée le réel dont elle se soutiendra à échelle du monde entier. Mais même si ce n’est pas encore le cas, c’est néanmoins, dans tout ce que nous entreprendrons, à cette Idée et à nulle autre que nous tenterons d’être fidèles.
Voilà. Oui, tentons d’être fidèles. Pour commencer, je le redis, ne votons plus, ne votons pas. Voter, c’est déjà l’amorce d’une corruption par le pouvoir. Et, dans le vide créé par cette abstention combattante, logeons tout ce qui dessine, dans les peuples, le désir, même encore informulé, d’en finir avec le Capital, sa concentration, ses milliardaires, ses oligarques de partout, afin que partout, et sur toutes les questions, des assemblées populaires, des soviets non élus, décident de ce qui conviendra le mieux, et dans la paix, à tous les peuples de la terre.
Alain Badiou
Ce texte a été prononcé au théâtre de la Commune, dans la cadre du séminaire en public du philosophe, le 11 avril 2022
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Présentée comme une solution à la crise écologique, la notion de « communs » connaît aujourd'hui un notable regain d'attention. Dans la vallée d'Ossau, en Béarn (Pyrénées-Atlantiques), certains alpages sont encore gérés de manière collective, basant leur fonctionnement sur des formes très anciennes de droits d'usage.
Les résistances les plus radicales sont parfois invisibles pour les profanes. Chaque année, début juillet, lors du jour de transhumance à pied (la « dévête » comme on l'appelle dans la vallée d'Ossau), des dizaines de touristes s'amassent à la tombée de la nuit dans les rues étroites de Laruns. Envoûtés par le son sourd des cloches, les spectateurs mitraillent avec leurs appareils photo le défilé de milliers de basco-béarnaises, brebis laitières à la laine drue comme de longs cheveux blancs qui pendouillent jusqu'aux sabots. Tous connaissent le « fromage du pays » et l'AOC Ossau-Iraty. Peu cependant savent que, derrière leur apparence rude – épaules larges et cuisses épaisses sous leur short de rugby –, les éleveurs accompagnant les bêtes se partagent les estives de manière solidaire : ils se répartissent ces pâturages de montagne au-delà de toute notion de propriété privée ou de limite communale.
Une « anomalie » : en montagne, les pâtures et cabanes sont souvent privées. Et quand les alpages appartiennent à une commune, il existe généralement un contrat de location direct, parfois très onéreux, entre celle-ci et l'éleveur.
De nombreux travaux historiques ont pourtant montré qu'en termes d'usage des terres, la stricte propriété privée n'a pas toujours été la règle. Jusqu'à la Révolution, la majorité des lois et des usages privilégiait les droits collectifs à la terre. Mais aujourd'hui, la vallée d'Ossau est une rare exception, une survivance à la réforme des enclosures débutée autour du XVIe siècle en Grande-Bretagne, durant laquelle de grands propriétaires anglais, puis européens, ont fermé les parcelles et exclu des terres communes les paysans les plus pauvres qui les utilisaient depuis le haut Moyen Âge. Une spoliation légale, qui initia une nouvelle pratique du droit à la propriété dans lequel s'enracina le capitalisme naissant [1].
Décisions collectives
Officialisée dès 1012, la « dévête » ossaloise a donc pour sa part traversé les époques en résistant à l'envahisseur privé. Le Haut-Béarn compte en effet encore de 90 à 95 % de terres collectives, la plupart propriété des communes. Et quand une estive s'étale sur plusieurs municipalités, de manière indivisible, la gestion se fait alors par les éleveurs au travers d'un syndicat. Un fonctionnement que décrit Daniel Carrey, le président du « syndic » du bas-Ossau : « Il s'agit de montagnes non délimitées entre les communes. Dans chaque commune, les éleveurs choisissent un représentant pour faire valoir des droits, équivalents à des parts, sans savoir où se trouvent précisément leurs parts de pâturage. Ils élisent un “président”, qui a plus un rôle de coordinateur puisque les décisions sont votées ou prises sous le principe du compromis. Fait rare, tous les paysans reversent leur prime à l'herbe de la PAC [2]au syndic. Ce qui permet de construire ou d'entretenir en commun les cabanes et de mettre aux normes les salles de fabrication fromagère. »
La date de la fameuse « dévête », fixée cette année au 8 juillet, est aussi décidée de manière concertée, en fonction des conditions de déneigement et de circulation. Sachant que les troupeaux les plus courageux remontent la vallée sur plus de 60 km, tout ça à pied et à pattes...
Rien que pour le syndicat du bas-Ossau, environ 3 000 hectares de montagnes sont pâturés de manière « transcommunale ». Cela concerne 65 familles ou fermes, originaires de 9 villages différents, pour un total d'environ 7 000 brebis laitières, 1 200 vaches et 140 juments de trait. Ajoutons qu'en Haut-Béarn, les choses ont changé depuis l'époque où Pierre Bourdieu décrivait dans Le Bal des célibataires [3] une organisation traditionnelle où le cadet non marié s'occupait des troupeaux transhumants : un tiers des cabanes abritent aujourd'hui une bergère.
Libéralisme économique en PLS
En 1968, un article qui rendra célèbre le biologiste américain Garrett Hardin, « La Tragédie des communs », renouvelait un cliché classique du libéralisme économique, selon lequel un bien est mieux géré s'il fait l'objet d'une appropriation. Hardin prenait justement l'exemple d'un champ ouvert à tous les bergers. Au terme d'une réflexion théorique en apparence complexe, mais sans la moindre référence ethnographique, il estimait que chaque berger était poussé à augmenter à outrance son troupeau et que cela conduisait à l'épuisement de la ressource et à la ruine de tous.
Les syndics de la vallée d'Ossau sont un contre-exemple évident. Les concernés s'échinent à les gérer de manière équitable, assure Daniel Carrey : « Chacun se voit attribuer un “cujalar” : une cabane, un parc pour la nuit et un secteur de montagne. Mais selon l'emplacement, les conditions de pâturage sont différentes. Celui qui est installé à 1 600 mètres d'altitude aura plus d'herbe que celui à 2 200 mètres. Nous faisons donc en sorte de ne pénaliser personne, en attribuant, par exemple, les secteurs en fonction de la taille des cheptels. »
Versant théorique, alors que les notions de droits exclusifs et de propriété privée semblaient s'être imposées, les sciences sociales sont actuellement bousculées par de nombreux travaux de recherche sur la notion des « communs » : « Au début des années 1990, la politologue Elinor Ostrom s'est attachée à pointer les erreurs théoriques de Hardin, soulignant qu'il postulait que les individus agissent uniquement dans la recherche de leur seul intérêt immédiat, excluant que certains agissent en fonction d'une forme d'intérêt collectif, explique Geneviève Azam, économiste et membre d'Attac. En 2009, Elinor Ostrom a reçu le prix Nobel d'économie pour avoir montré que l'autogouvernement était la stratégie la plus optimale pour gérer au mieux les ressources et ce que l'on appelle aujourd'hui les biens communs. »
Le fruit de luttes acharnées
À l'instar des montagnes béarnaises, arrosées par les entrées océaniques, le cirque d'Aneu, à la frontière franco-espagnole, est un espace verdoyant, aux cimes souvent masquées par la brume. Visage rond et béret sur la tête, Jean Esturonne, 88 printemps, y a longtemps mené son troupeau. Il rappelle que la gestion commune des alpages n'est pas le fruit du hasard mais le résultat de luttes contre l'État central et le paradigme de la propriété privée : « Les Ossalois ont dû résister, parfois avec violence, pour maintenir leurs usages, comme en 1828, pour les terres du Pont-Long dont le tribunal civil de Pau a été contraint de leur laisser l'usage, raconte Jean. Ces dernières années, nous avons aussi combattu le projet d'une station de ski à Aneu et nous avons même tenté de racheter, sans succès, la montagne de Socques, une estive privée qu'un seigneur avait obtenue à l'époque et dont jouissent ses descendants. »
Même si l'expérience (hors) du commun menée ici s'avère concluante et mériterait d'être exportée, les tenants de la propriété privée n'ont de cesse de s'y opposer : en 2015, l'État a ainsi imposé que les représentants des éleveurs des syndics de la vallée d'Ossau soient forcément des conseillers municipaux, sous peine de perdre leur pouvoir décisionnaire. Mais pour Jean Esturonne, c'est un simple obstacle à dépasser : « On s'adapte, de manière à continuer à mettre en avant une approche basée sur l'usage et le partage des ressources. » Un combat sans fin.
Jean-Sébastien Mora
Cet article a été publié dans le dossier du numéro 200 de CQFD, en kiosque du 2 juillet au 2 septembre. Il est consacré aux insurrections de la terre et piétine allégrement les bétonneurs et leurs vassaux. Son sommaire peut se dévorer ici.
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[1] Et que dénonça à l'époque Thomas More, chanoine, juriste, historien et philosophe auteur de L'Utopie.
[3] Publié en 2002 au Seuil et issu d'enquêtes menées dès les années 1960.
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Au sein des luttes pour la défense des terres, une constante : la présence massive de femmes. Et parmi elles, des écoféministes considérant qu'il existe un lien tangible entre domination patriarcale et accaparement des terres. Autrement dit : on n'aurait pas « affaire à des phénomènes sans aucun rapport, mais plutôt à deux aspects d'un seul et même système », comme l'explique Jeanne Burgart Goutal, philosophe et autrice d'Être écoféministe – Théories et pratiques, un bouquin paru en 2020 à L'Échappée.
Mot honni des féministes tant il a servi de prétexte à des millénaires d'aliénation des femmes, la notion de « nature » (au sens large) semble aujourd'hui s'offrir une virginité : « L'Amazonie, ma chatte, arrêtez de tout raser ! », peut-on lire sur certaines pancartes lors de manifestations écolos.
La défense de la nature – et par extension celle des terres – figure ainsi en bonne place à l'agenda de certaines féministes, à l'instar de celles qui ont tenu des barricades à Notre-Dame-des-Landes tout en fustigeant le sexisme de certains de leurs camarades de lutte. Ou d'autres ayant organisé un week-end en mixité choisie à Bure, notamment pour se réapproprier leur pouvoir d'agir face aux sbires de l'Andra [1]. Discrète ces dernières décennies, cette articulation des luttes ne date pourtant pas d'hier : Françoise d'Eaubonne, penseuse libertaire, théoricienne de l'écoféminisme et saboteuse de première classe défendait déjà vertement dans les années 1970 la nécessité de mener ces deux combats de front [2].
Cet apparent antagonisme de départ – défense des femmes, défense de la nature – apparaît donc soluble dans un certain féminisme. Et c'est pourquoi on a demandé à Jeanne Burgart Goutal de nous en dire plus, sachant qu'elle a largement défriché le sujet dans son livre Être écoféministe. Théories et pratiques.
***
Du combat des habitants de Plogoff (Finistère) contre l'implantation d'une centrale nucléaire dans les années 1980 à la mobilisation actuelle contre l'enfouissement de déchets radioactifs à Bure (Meuse), les femmes semblent investir massivement les luttes pour la défense des terres. Comment le comprendre ?
« La question est délicate et je n'ai pas de réponse tranchée, mais on peut soulever plusieurs hypothèses.
Si l'on prend le cas de Plogoff, l'omniprésence des femmes dans la lutte peut s'expliquer par le contexte. À l'époque, l'économie locale reposant sur la pêche, les hommes étaient souvent en mer. Ce sont donc les femmes qui ont dû mener le combat. Parce qu'elles restaient sur place avec les enfants, ce sont également elles qui ont les premières saisi l'étendue des risques de dégradations que faisait peser sur leur environnement immédiat le projet de centrale nucléaire.
On n'a donc pas besoin de prétendre que les femmes seraient essentiellement plus proches de la nature : il suffit d'une explication sociologique reposant sur l'analyse de la division sexuelle du travail. Dans la plupart des sociétés, ce sont les femmes qui sont chargées de s'occuper des corps et en particulier des corps vulnérables : nourrir les enfants, s'occuper des vieux, des personnes malades. Or, les dégradations environnementales que peut, par exemple, produire l'enfouissement de déchets radioactifs ont un impact sur la santé. Et parce que ce sont les femmes qui seront chargées de s'occuper des corps vulnérables, elles ont plus immédiatement conscience de l'impact de certains projets dégradant à la fois l'environnement et la santé. »
Selon Starhawk, autrice et activiste américaine, les oppressions « de race, de sexe, de classe, et la destruction écologique » seraient imbriquées. C'est d'ailleurs le point de départ de la pensée écoféministe. Quel lien entre les violences faites aux femmes et celles faites à la terre ?
« On peut trouver certaines analogies entre ces oppressions et la destruction des terres : des mécanismes similaires d'objectivation, de réification, d'exploitation, de domination par la violence... Et de réels liens de causalité.
À ce sujet, il est éclairant d'observer ce qui se met en place autour de grands projets industriels. En Amérique du Sud, par exemple, les projets d'extraction minière dévastent l'environnement de nombreuses communautés rurales, souvent indigènes. Et ils ont recours à une main-d'œuvre massive, généralement masculine. Des hommes déracinés, qui se retrouvent loin de leur foyer. Sur place, cela crée de nouvelles violences à l'égard des femmes : une recrudescence des viols, un business de la prostitution... Plusieurs collectifs sud-américains, comme le Colectivo Casa et le Renamat, mettent en exergue ces imbrications, sur lesquelles se penche également le documentaire Ni les femmes ni la terre (2018), de Marine Allard, Lucie Assemat et Coline Dhaussy. »
Vous évoquez dans votre livre l'exemple des Bombes atomiques, un collectif qui s'est notamment illustré en organisant, en septembre 2019, un rassemblement à Bure « entre femmes, lesbiennes, personnes trans, intersexes, non binaires… » Comment analyser ces ponts entre luttes pour la défense des terres et luttes LGBT ?
« L'écoféminisme, dont se revendiquent les Bombes atomiques, invite à dépasser les dualismes : nature/culture, humain/animal, corps/esprit, masculin/féminin... Avant de découvrir l'écoféminisme, je m'intéressais surtout au féminisme queer de Judith Butler et Donna Haraway, qui appelle à sortir de la binarité. Et c'est une pensée que j'ai retrouvée dans l'écoféminisme, contrairement au cliché qu'on en a souvent. D'ailleurs, dans les années 1970-1980, il y a eu des passerelles entre les écoféministes et le mouvement de retour à la terre mené par des “lesbiennes séparatistes” qui ont créé des communautés rurales non mixtes, notamment aux États-Unis, dans l'Oregon. »
Comme vous l'évoquiez, l'investissement des femmes dans les luttes pour la terre est également fortement ancré dans les pays du Sud, en Amérique latine, mais aussi en Inde, où est né le mouvement Chipko. Quelle est son histoire ?
« Le mouvement Chipko a pris racine dans les années 1970 à Mandal, au nord de l'Inde. À l'époque, les habitants avaient créé une coopérative locale avec un atelier de fabrication d'outils agricoles. Eux attendaient que le service forestier leur alloue des parcelles de forêts pour leur activité, ce qu'il a refusé, avant d'en vendre certaines à un fabricant de matériel de sport. Les mobilisations ont alors commencé et les femmes y ont pris part massivement. Elles ont protégé les arbres avec leurs propres corps pour empêcher qu'ils soient abattus.
D'après la militante écoféministe Vandana Shiva, il s'agissait au début d'un mouvement assez mixte, puis la contestation est devenue plus féminine et plus clairement écologiste. Parce que les intérêts des hommes et des femmes divergeaient. Les hommes se satisfaisaient de gagner la première partie de la lutte : ce n'était pas à une entreprise extérieure d'exploiter les arbres, mais à eux, localement. Les femmes avaient d'autres ambitions : pour elles, que ce soit une entreprise extérieure ou leurs propres mecs qui détruisent la forêt revenait au même. Au fur et à mesure, la lutte leur a permis une forme d'émancipation : leur rôle a changé dans la communauté, elles ont réclamé une place dans les instances de décision locales et le mouvement a obtenu un moratoire de quinze ans sur la coupe des arbres dans deux États du nord de l'Inde. »
Vous dites qu'on ne peut pas pour autant qualifier d'écoféministes certaines luttes pour la terre menées dans les pays du Sud, pour la bonne raison que « les femmes de ces mouvements récusent explicitement ces étiquettes » : celle de féministes comme celle d'écologistes...
« Dans le contexte d'une ancienne colonie comme l'Inde, on peut soupçonner d'impérialisme les notions exportées par l'Occident, comme “écologie” et “féminisme”. D'autant que des arguments pseudo féministes ont historiquement été mis au service du discours colonialiste, en infériorisant les Indiens et en taxant en bloc leur culture de barbare et arriérée, à cause de certaines traditions patriarcales.
Plutôt que de faire de ces femmes en lutte pour la terre des “écoféministes à leur insu”, il me semble plus intéressant d'essayer de comprendre comment elles définissent elles-mêmes leur mouvement, comment elles formulent ce au nom de quoi elles s'engagent. C'est tout l'enjeu d'une pensée décoloniale : apprendre à se décoloniser au lieu de plaquer nos concepts et nos mots d'ordre partout. »
Propos recueillis par Tiphaine Guéret
Cet article a été publié dans le dossier du numéro 200 de CQFD, en kiosque du 2 juillet au 2 septembre. Il est consacré aux insurrections de la terre et piétine allégrement les bétonneurs et leurs vassaux. Son sommaire peut se dévorer ici.
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[1] Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
[2] Lire à ce sujet Françoise d'Eaubonne et l'écoféminisme de Caroline Goldblum et Françoise d'Eaubonne, paru au Passager clandestin en 2019.
]]>2021-07-12T05:00:00+00:00Tiphaine Guérettag:ergosterol.monolecte.fr,2021-07-23:/14931Laïcité macroniste : la grande TartufferieSainte-Laïcité, priez pour nous, pauvres pêcheurs de voix catholiques.
«...]]>
« Ce vendredi 16 juillet 2021, Emmanuel Macron s’est rendu en déplacement officiel à Lourdes, réagit le député insoumis (Parti de Gauche), Bastien Lachaud. Cette visite n’est pas anodine. Le président bafoue le principe de laïcité et fait sienne une vision identitaire et réactionnaire de l’histoire de France. Pourtant, l’intérêt général commande au contraire de rassembler notre peuple autour des principes républicains.(…) Qu’un président rende visite au sanctuaire de Lourdes pour y saluer les pèlerins, accompagné par le délégué apostolique et le recteur du sanctuaire, un 16 juillet, date anniversaire de la dernière apparition de la Vierge Marie à Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle, le 16 juillet 1858, n’est évidemment pas un geste anodin. (…) Le message est clair : le président de la République s’est associé directement et étroitement à un rite religieux. Rupture nette avec la pratique de ses prédécesseurs : François Hollande, Jacques Chirac et François Mitterrand se sont tous les trois rendus à Lourdes au cours de leurs mandats respectifs. Mais ils se sont bien gardés de pénétrer dans le sanctuaire, a fortiori à la date du pèlerinage. Et surtout, quelle transgression inouïe de la laïcité ! Les principes de séparation de l’Église et de l’État et de neutralité de ce dernier sont foulés aux pieds par celui-là même, le président de la République, qui se devrait d’en être le garant. (…) En rendant une visite officielle au sanctuaire de Lourdes, le Président s’est placé dans les pas de Philippe Pétain, dernier « chef de l’État » à s’y être rendu avant lui, le 20 avril 1941. Le symbole est d’autant plus funeste que la date qu’Emmanuel Macron a choisi pour se rendre à Lourdes, le 16 juillet, est aussi celle de la commémoration de la « Rafle du Vel’ d’Hiv’ », le 16 juillet 1942, emblématique de la collaboration du régime de Vichy avec la politique nazie d’extermination des Juifs. Marcher dans les pas de Pétain, le jour même de la commémoration de la « Rafle du Vel’ d’Hiv » : le geste est si effarant que l’on n’ose imaginer qu’il ait été conscient. Il reste que l’avoir commis est une faute, morale autant que politique. »
Tout cela après nous avoir bassinés depuis des années avec la laïcité, enfantant même une loi « anti-séparatisme » dévoyant le concept pour en faire une arme antimusulmans : nous avions bien raison de le dénoncer sur tous le tons ! Aujourd’hui, les masques sont tombés, sans équivoque.
]]>2021-07-21T12:13:17+00:00Olivier Bonnettag:ergosterol.monolecte.fr,2021-07-23:/14932Graffitis islamophobes à Martigues : comme un climat de pré guerre civilePartout, de plus en plus, tout le temps. Mise en orbite sur les chaînes d’infos par pl&...]]>Partout, de plus en plus, tout le temps. Mise en orbite sur les chaînes d’infos par pléthore d’éditorialistes d’extrême droite, la parole raciste décomplexée diffuse son ignoble prosélytisme. Encouragée au plus haut niveau de l’État par une indécente course à l’échalote xénophobe, à qui se vantera le plus de vouloir renvoyer les réfugiés à la mer, où ils meurent déjà par dizaines de milliers. Avec un bouc-émissaire réputé responsable de tous nos maux par tous ces cerveaux monomaniaques ou manipulateurs : l’islam, les musulmans.
La haine des musulmans, poison violent de la société, écrit Jean-Luc Mélenchon sur son blog le 12 juillet : « Les actes de haine et agressions contre des musulmans ont augmenté de 52% cette année. (…) Cette semaine encore, des tags grossiers ont souillé les murs d’un centre de formation d’Imams dans le sud du pays. Nos amis étaient parmi les gens venus dire sur place leur indignation contre la haine et leur solidarité avec la liberté de conscience des croyants. » En effet, le Parti de Gauche des Bouches-du-Rhône et les insoumis de Martigues, Istres, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis et Marseille étaient présents au rassemblement devant La Maison de la lumière, Dar Ennour, à Martigues, dont les murs ont été maculés de façon insupportable.
La haine s’affiche sur nos murs. On appréciera le niveau intellectuel des graffitis. Ce n’est pas la société pour laquelle nous nous battons. « A Martigues comme ailleurs, l’extrême droite n’imposera pas sa vision séparatiste de la société, réagit Frédéric Grimaud, adjoint France insoumise au maire de Martigues. Nous, on est ensemble ! » On commence par des inscriptions insultantes et l’on continue en allant mitrailler les fidèles, comme à Christchurch ? Les prédicateurs de haine de la sphère médiatique porteront une lourde responsabilité.
Nous dénonçons le climat islamophobe soigneusement entretenu au sein de la classe politique française à la fois par le Rassemblement national, Les Républicains, La République en marche et une partie du PS, autour du Printemps républicain. Quand on précipite des millions de gens dans la misère et la précarité et qu’on force les travailleurs à mourir à la tâche à force de reculer l’âge de la retraite, tandis que la fortune de l’ensemble des 500 Français les plus riches aaugmenté de 30% depuis juillet 2020, pour atteindre 953 milliards d’euros, l’instrumentalisation de la haine du musulman fait une parfaite diversion. Mais attention aux pyromanes : en jouant avec les braises de la xénophobie peut s’allumer la guerre civile.
]]>2021-07-13T15:22:46+00:00Olivier Bonnettag:ergosterol.monolecte.fr,2021-07-23:/15134Politisons la restauration écologiqueL'écologie de la restauration vise à faire retourner à leur état origin...]]>
L'écologie de la restauration vise à faire retourner à leur état originel des écosystèmes dégradés. En apparence simple pratique issue de l'écologie scientifique, elle recèle des enjeux politiques importants.
Prenons un exemple. La commune de Lille a mené un projet de restauration de l'habitat des abeilles sauvages terricoles [1]. Ce projet a consisté à appauvrir les sols en nutriments afin de permettre le développement d'une flore typique des sols pauvres, capable de fournir la nourriture nécessaire aux abeilles. Les procédés d'appauvrissement des sols sont très courants en écologie de la restauration. Ils peuvent se faire par étrépage, qui consiste à enlever les horizons superficiels du sol, plus fertiles, pour laisser apparaître les horizons profonds et infertiles. Ils peuvent également se faire par des fauches successives, lors desquelles on exporte la végétation qui contient les nutriments. Ces pratiques d'appauvrissement sont justifiées par le fait que le 20e siècle a été marqué par un enrichissement généralisé des sols, dû principalement aux engrais minéraux. Même les sols non fertilisés sont concernés, puisqu'ils reçoivent les retombées atmosphériques de l'azote qui s'est volatilisé dans les champs cultivés. Cet enrichissement a conduit à des modifications majeures des populations végétales, mettant en péril les espèces spécialistes des écosystèmes pauvres.
Les prairies calcaires sont un autre exemple d'écosystème fréquemment concerné par les pratiques de restauration. Ce sont des habitats pauvres, qui concentrent une biodiversité végétale importante et qui font partie des habitats protégés au niveau européen. Les exemples les plus connus en France sont la plaine de la Crau et les causses de l'Aveyron et de la Lozère. Ce sont des habitats fortement menacés suite à la déprise agricole, qui voit disparaitre le pâturage et se réimplanter la forêt. La restauration des prairies calcaires est assurée par la mise en place de pratiques de fauche ou de pâturage extensif, avec dans certains cas des pratiques plus poussées comme des transfert de sol ou des transferts de graines [2].
Ces deux exemples de restauration d'écosystèmes pauvres se justifient car ils concernent l'habitat d'espèces très menacées au niveau européen. Ils posent cependant quelques questions. Les sols pauvres où nichent les abeilles terricoles sont la conséquence de 6 000 ans d'appauvrissement des sols par les pratiques agricoles. Les prairies calcaires sont la conséquence du déboisement agricole et de l'érosion des sols, qui commencent à une large échelle en Europe à partir de -2 000, mais sont aussi liées au large développement des troupeaux de moutons à partir du 15e siècle, lui-même conséquence de la grave crise qui frappe les sociétés européennes au 14e siècle. De puissantes guildes d'éleveurs se forment à cette époque dans plusieurs pays et les états d'Europe occidentale et centrale soutiennent le développement de cet élevage. L'accroissement des populations de moutons attendra un pic vers 1850, avec le développement de l'industrie textile, avant de connaître un effondrement rapide suite à la concurrence du coton et des laines du nouveau monde. La diversité exceptionnelle des prairies calcaires est par conséquence liée à l'histoire des sociétés humaines et à l'évolution de leur structure socio-économique. On peut ainsi montrer que la composition en espèces de plantes de ces prairies dépend des pratiques agricoles anciennes qui leur ont été appliquées. La diversité génétique de certaines plantes prairiales peut être expliquée par les routes de transhumance du 19e siècle, lorsque les moutons transportaient les graines, accrochées à leurs poils, de prairie en prairie [3].
Dans ces conditions, la restauration écologique n'est pas le retour à leur état initial d'écosystèmes dégradés par les activités humaines mais correspond plutôt à la reconstruction d'écosystèmes du 19e siècle, précédent les bouleversements de l'époque industrielle. On l'a vu, la structure de ces écosystèmes dépend fortement de la structure de la société qui les a habités. Mais ces écosystèmes ont également rendu possible l'existence de sociétés particulières en fournissant les ressources nécessaires à la reproduction de leurs structure sociale, économique et politique, et en absorbant leurs déchets. Tout changement de l'écosystème entraine des ajustements de la société. Et toute modification de la structure interne de la société modifie plus ou moins profondément l'écosystème [4].
La restauration écologique est donc une question hautement politique. Pourquoi recréer les écosystèmes correspondant à une société disparue ? Pourquoi recréer les écosystèmes du début de la période industrielle, plutôt que ceux du haut moyen-âge, ou précédant l'arrivée de l'agriculture ? Cette proposition existe d'ailleurs, au-travers des projets de l'ONG « Rewild Europe ».
Certaines personnes pourraient aussi choisir de ne pas restaurer, parce que l'écosystème dégradé présente pour eux une forte valeur affective, comme les terrils dans les paysages miniers du Pas de Calais. D'autres personnes pourraient être tentées de laisser faire « la nature », pour le plaisir de voir un nouvel écosystème apparaître. Une telle position semble exister parmi les défenseurs de l'ex-ZAD du Carnet, en Loire-Atlantique [5].
Mais pourquoi ne pas se demander de quels écosystèmes a besoin la société actuelle pour affronter les crises du climat et de la biodiversité ? Ou plutôt, de quels écosystèmes nous avons besoins pour construire des sociétés libérées du capitalisme et du patriarcat ?
Les écologues de la restauration sont bien conscients de la diversité des choix possibles pour « l'écosystème de référence » à atteindre lors de la restauration, et d'importants débats ont lieu sur la question [6]. Ce dont les praticiens et les écologues de la restauration ont peut-être moins conscience, c'est que leurs choix techniques sont des choix politiques, pris sans débat public et sans consultation de l'ensemble de la société. Une position d'autant plus problématique quand elle répond à une demande émanant d'acteurs économiques dominants en concertation avec le pouvoir administratif des préfets, lorsque la restauration s'inscrit dans le cadre de la compensation écologique suite à des projets d'aménagement. En réalité, seul un débat politique peut permettre de choisir entre la steppe à Mammouth, la prairie pauvre du 19e siècle ou un arrangement d'écosystèmes utopique pour une société utopique, car le choix de l'écosystème à (re)construire devrait dépendre de la place qu'il occupera dans la société à venir.
Les objectifs de la conservation et de la restauration ont d'ailleurs changé au cours du 20e s. Comme le montrent Marty et Lepart [7] à propos des Grands Causses d'Aveyron et de Lozère, la période 1900-1970 est marquée par un discours de la communauté scientifique et des pouvoirs publics qui considère la prairie calcaire comme un milieu dégradé à cause de l'inconscience des éleveurs, et qui considère que l'élevage ovin extensif n'a pas d'avenir dans le cadre de la modernisation agricole. Dans ces conditions, il est légitime de remplacer les prairies calcaires par des forêts qui, elles, auront un rôle dans l'économie nationale. Suite aux mobilisations politiques et à l'auto-organisation des éleveurs dans les années 1970, le discours s'inverse progressivement. Et ce sont désormais les prairies qui font l'objet d'importants programmes de préservation contre le reboisement spontané. On voit bien ici comment le choix de l'écosystème à restaurer (d'abord la forêt contre la prairie puis la prairie contre la forêt) est la conséquence de choix de société et de rapports de force économiques et politiques.
Quelques conflits environnementaux récents mettent en évidence ce lien entre écosystème et société. L'opposition au projet d'aménagement de la forêt de Romainville, en Ile-de-France, est exemplaire. Les riverains se sont opposés au défrichement d'une partie d'une forêt périurbaine, sans valeur en termes de biodiversité, qui s'est développée spontanément sur une friche industrielle. Le projet d'aménagement porté par la région prévoit la restauration d'écosystèmes prairiaux et une augmentation de la biodiversité. Mais cette forêt a une valeur pour les populations riveraines, car ils y ont des usages et parce qu'ils ont un attachement affectif aux lieux. Mais aussi et surtout parce que cette forêt se trouve au pied d'un quartier populaire, et que cette restauration s'inscrit dans un projet de gentrification de la zone, qui à terme pourrait entraîner l'éviction des populations les plus pauvres [8].
Les luttes politiques qui lient un écosystème et une organisation sociale sont courantes. Dans ce cadre, il serait souhaitable que les praticiens et les écologues de la restauration donnent eux-mêmes la parole à la population pour recueillir son opinion. Etant donné le cadre juridique contraignant qui assure la protection de l'environnement en Europe, il est possible que les praticiens de la restauration se sentent légitimés par les choix politiques inscrits dans les directives européennes et les arrêtés préfectoraux. Mais ces décisions politiques ont une légitimité démocratique assez faible. En réalité, les praticiens de la restauration sont régulièrement confrontés à l'hostilité des populations riveraines, mais la réponse qu'ils y apportent ressemblent plus souvent à une opération de « pédagogie » qu'à une négociation politique.
C'est probablement aux mouvements sociaux que revient la responsabilité de s'emparer des questions de restauration, et plus largement des questions de génie écologique. La tradition héritée des combats écologistes du 20e siècle complique peut-être la situation, car jusqu'à maintenant les mouvements militants ont dû continuellement défendre la « Nature », la simple possibilité d'existence des écosystèmes, contre des opérations de pure destruction.
Mais si chaque société existe parce qu'il existe un écosystème qui la soutient, alors les mouvements sociaux doivent prendre position et dire explicitement de quel écosystème ils ont besoin pour réaliser leur projet de société.
[1] Y. Tison, “Actions en faveur des abeilles sauvages. Cas d'un petit groupe d'abeilles terricoles et sabulicoles,” in Conférence Sols Urbains et Biodiversité, 2017.
[2] S. Muller, T. Dutoit, D. Alard, and F. Grévilliot, “Restoration and Rehabilitation of Species-Rich Grassland Ecosystems in France : a Review,” Restor. Ecol., vol. 6, no. 1, pp. 94–101, 1998.
[3] P. Poschlod and M. F. WallisDeVries, “The historical and socioeconomic perspective of calcareous grasslands — lessons from the distant and recent past,” Biol. Conserv., vol. 104, pp. 361–376, 2002.
Y. Rico, R. Holderegger, H. J. Boehmer, and H. H. Wagner, “Directed dispersal by rotational shepherding supports landscape genetic connectivity in a calcareous grassland plant,” Mol. Ecol., vol. 23, pp. 832–842, 2014.
[4] H. Haberl, V. Winiwarter, K. Andersson, R. U. Ayres, C. Boone, A. Castillo, G. Cunfer, M. Fischer-kowalski, R. William, E. Furman, R. Kaufmann, F. Krausmann, E. Langthaler, H. Lotze-campen, M. Mirtl, C. L. Redman, A. Reenberg, B. Warr, and H. Zechmeister, “From LTER to LTSER : Conceptualizing the Socioeconomic Dimension of Long-term Socioecological Research,” Ecol. Soc., vol. 11, no. 2, 2006.
[5] Mediapart, 03/12/2020, “ A la jeune ZAD du Carnet, la divergence des luttes écolos”
[6] F. Oliveira-Santos, L. Fernandez, “Pleistocene Rewilding, Frankenstein Ecosystems, and an Alternative Conservation Agenda,” Conserv. Biol., vol. 24, no. 1, pp. 4–6, 2009.
L. Balaguer, A. Escudero, J. F. Martín-duque, I. Mola, and J. Aronson, “The historical reference in restoration ecology : Re-defining a cornerstone concept,” Biol. Conserv., vol. 176, pp. 12–20, 2014.
[7] P. Marty and J. Lepart, “Forêts et milieux ouverts : anciennes et nouvelles légitimités,” Bull. l'Association des géographes français, vol. 2, pp. 177–189, 2001.
[8] Mediapart, 08/12/2018, “A Romainville : « La base de loisirs, c'est un projet de bourges » ”
S. Piron, 2018, “Risque d'effondrement à Romainville”, lundimatin
]]>2021-07-12T09:38:06+00:00lundimatintag:ergosterol.monolecte.fr,2021-07-23:/14716Les dangers du glyphosate : le point sur l'état des connaissances et les controversesLe glyphosate utilisé comme pesticide pourrait être cancérogène estiment...]]>Le glyphosate utilisé comme pesticide pourrait être cancérogène estiment le Centre international de recherche sur le cancer et l'Inserm. Selon d'autres agences sanitaires, il ne l'est pas. Pourquoi les avis divergent tant ? Qui dit vrai ?
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A la une]]>2021-07-21T04:00:00+00:00Lola Kerarontag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-26:/14462La catastrophe annoncée qui vient – Jean ZinAinsi, devant la nécessité de sortir d'une économie destructrice, j'avais sans aucun doute raison de...]]>Ainsi, devant la nécessité de sortir d'une économie destructrice, j'avais sans aucun doute raison de déclarer dans la présentation de mon site "écologie révolutionnaire" que "si je défends le caractère révolutionnaire de l'écologie c'est que les contraintes écologiques obligent à sortir du productivisme, le réformisme n'y suffira pas. Il y faut une révolution des institutions et de la production". Ce constat reste encore plus incontestable 20 ans après mais il me faut bien constater aussi que cela n'a pas suffit pour avoir un effet réel. Le nécessaire n'est pas toujours possible. Il faut le savoir.]]>2021-06-26T10:48:12+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-14:/14278Contre le technomonde végan et décarboné (par Philippe Oberlé)Avant toute chose, pour éviter de contrarier la gestapo verte intolérante à to...]]>Avant toute chose, pour éviter de contrarier la gestapo verte intolérante à toute critique de Sainte Greta et de sa parole divine « neutre en carbone », j’insiste sur le fait que je ne suis nullement climatosceptique et que cet article n’a absolument pas l’objectif de nier l’existence du changement climatique, qui d’ailleurs n’est pas d’origine « anthropique », ni « humaine », encore moins causé par les « activités humaines » en général. Il a pour origine la première révolution industrielle qui s’est révélée être une catastrophe pour les terriens humains et non-humains. Le discours englobant et culpabilisant, qui fait porter le fardeau à « l’humanité » tout entière, est une insulte à l’intelligence humaine. Il affiche également un violent mépris pour les peuples autochtones protégeant 80 % de la biodiversité restante[1] ainsi que pour l’ensemble des communautés rurales des pays du Sud qui n’y sont pour rien dans l’hécatombe écologique mondiale.
Ce n’est pas « l’humanité » qui est responsable, comme on peut le lire un peu partout, mais une seule et unique forme d’organisation sociale, une seule et unique culture humaine, un seul et unique mode de vie parmi les milliers d’autres qui ont existé – et existent encore – en ce monde. Cette culture méprisant la vie, qui octroie plus de valeur au téléphone ou à l’ordinateur qu’à la vie d’un enfant congolais ou ghanéen ; cette culture dont l’éthique place la bagnole et l’autoroute avant le cerf élaphe et sa forêt, c’est la civilisation industrielle née en Europe, produit du bien mal nommé siècle des Lumières. Cette civilisation européenne s’est répandue comme une lèpre à l’ensemble du globe, colonisant des paysages vivants – prairies, forêts, marécages, mangroves, montagnes, plaines alluviales, rivières – d’une beauté qui dépassait autrefois l’entendement, y exterminant par la même occasion leurs habitants humains et non-humains. Pour enlaidir et asservir le monde libre, la civilisation dissémine partout les verrues de son progrès – mines d’extraction, puits de pétrole et de gaz, oléoducs et gazoducs, mégalopoles et centres commerciaux, zones urbaines et périurbaines, écrans et panneaux publicitaires, zones industrielles et entrepôts, monocultures et élevages industriels, automobiles et autoroutes, routes et parkings, barrages et canaux, viaducs et tunnels, remontées mécaniques et téléphériques, centrales énergétiques et lignes à haute tension, transformateurs et câbles sous-marins, décharges à ciel ouvert et sites d’enfouissement de déchets toxiques/nucléaires, usines d’incinération et décharges sauvages, plantations industrielles et scieries, stations d’épuration et centres de stockage, etc.
Cette folie doit cesser.
Quelques-uns des thèmes abordés dans ce long texte :
Décryptage du discours de Greta Thunberg et de la mise en scène dans la vidéo partagée sur son compte Twitter le 22 mai 2021, une vidéo sponsorisée par l’ONG Mercy For Animal ;
Pourquoi végétarisme et/ou végétalisme ne changeront rien à la dévastation des forêts ;
L’uniformisation des pratiques alimentaires à l’échelle globale est une aubaine pour l’industrie agroalimentaire ;
Derrière la campagne pour la nature se cache un mouvement d’accaparement des terres gigantesque, principalement dans les pays du Sud ;
Stopper l’élevage ne va pas automatiquement « libérer » de l’espace pour la vie sauvage, cette interprétation provient d’une méconnaissance de la mécanique capitaliste ;
Domestiquer la nature sauvage au nom du bien-être animal ;
Le pastoralisme est essentiel à la biodiversité et à la survie de centaines de millions de personnes sur Terre, principalement en Afrique ;
Les petits producteurs nourrissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles.
« Un business plan pour le monde »
« En réalité, [le changement climatique] est la plus extraordinaire opportunité de tous les temps pour stimuler la croissance économique et faire croître le nombre d’opportunités. C’est une occasion fantastique qui se présente juste devant nous. La réponse au changement climatique ne supprime pas seulement les sérieux dommages environnementaux provoqués durant les cent dernières années en raison de la façon dont nous utilisons l’énergie : cette réponse permet de démocratiser l’énergie. Parce que, ce que nous avons fait depuis un siècle, franchement, c’est d’en limiter l’accès. Regardez qui a et qui n’a pas accès à l’énergie. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser un milliard de personnes sans accès à l’énergie, car elles restent en dehors du marché ! En plus des conséquences morales à cela. Donc nous devons démocratiser l’énergie. Nous devons supprimer les impacts négatifs et assurer la continuité et la croissance du business, c’est le trio gagnant. Cela nous permettrait de réaliser ce que nous voulons vraiment en tant qu’être humain : réaligner harmonieusement notre boussole morale avec notre boussole pour le business et l’économie. Que pourrait-il y a voir de repoussant dans cette immense opportunité ?! Donc, mes amis, collectivement, nous rédigeons un business plan pour le monde. C’est ce que nous faisons ensemble. Hier, 310 000 personnes [marchaient pour le climat dans les rues], la société civile est au rendez-vous. Le secteur privé est ici [dans la salle], les gouvernements seront avec nous demain pour collectivement écrire un business plan pour le monde[2]. »
– Christiana Figueres, ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies (ONU) sur le changement climatique (en poste de 2010 à 2016) et membre de la B Team du milliardaire Richard Branson[3], extrait d’un discours prononcé à New York en septembre 2014 lors de la Climate Week NYC.
Dans une vidéo publiée sur Youtube par la chaîne de l’ONG Mercy For Animals avec le hashtag ForNature[4], l’influenceuse Greta Thunberg, confortablement installée sur son canapé IKEA aux côtés de son chien qu’elle caresse tendrement, souhaite parler de « quelque chose » à son public. Partagée par Greta Thunberg sur Twitter le 22 mai 2021, journée mondiale de la biodiversité, la vidéo a été vue plus de 835 000 fois et totalise 8 400 retweets[5]. Sur la page Facebook de la jeune Suédoise, la vidéo totalise 37 000 mentions « j’aime » et 18 000 partages. En grattant la surface, on a vite fait de s’apercevoir que cette campagne « pour la nature » ciblant la jeunesse n’émane pas du peuple mais des sphères du pouvoir. Objectif : déclencher un mouvement populaire du même type que le Mouvement Climat des dernières années et obtenir le support de la plèbe pour les décisions qui seront prises à huis clos et sans aucun débat démocratique lors de la prochaine COP 15 sur la biodiversité, une conférence qui se tiendra en Chine à Kumming en octobre 2021[6].
Quelques indices attestent de la puissance de frappe investie dans cette campagne : le compte Twitter de la Convention sur la biodiversité utilise le hashtag ForNature[7] ; les Nations Unies ont spécialement créé un site satellite (fornature.undp.org) pour inciter les jeunes à se mobiliser afin de supplier leurs maîtres d’agir pour la planète ; les Nations Unies invitent la jeunesse à signer un manifeste pour la nature[8] ; l’International Climate Initiative, émanation du ministère fédéral allemand de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire, a relayé également cette campagne avec le même hashtag[9] ; la Biodiveristy Finance Initiative, émanation des Nations Unies visant à mieux « valoriser » financièrement la nature, a publié sur le sujet[10] ; la vidéo de Greta a été partagée par la page Facebook du programme des Nations Unies pour l’environnement (UN Environment Programme[11]) ; Nicolas Hulot, escrologiste en chef du Mouvement Climat en France, avec sa fondation financée par des entreprises d’État (RTE et SNCF[12]), le groupe Renault, l’industrie agroalimentaire (Léa Nature et la fondation de Daniel Carasso, fondateur de Danone), la fondation de l’aristocrate Prince Albert II de Monaco, sans oublier Domorrow (famille Rousset, le père Bruno « pèse » 750 millions d’euros d’après Challenges[13]), apparaît dans une vidéo postée par la chaîne Youtube de l’UN Environment Programme avec le hashtag ForNature[14] ; le média Green Matters (Plus d’un million de fans sur Facebook) a relayé la vidéo de Mercy For Animal et de Greta[15] ; sur l’application TikTok, les contenus postés avec le hashtag ForNature, notamment à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, comptabilisent plus de 24 millions de vues, principalement en Inde d’après les contenus les plus populaires présents en haut de page[16] (faut-il y voir une stratégie délibérée sachant que le pays compte 20 à 40 % de végétariens sur plus d’un milliard d’habitants[17] ?) ; sur Instagram, on compte plus de 82 000 publications dans le fil ForNature[18] ; d’après Facebook, au moins 46 000 personnes publient à ce sujet[19] ; le compte Twitter New Deal for Nature and People, suivi par 33 000 personnes, publie également en utilisant le hashtag ForNature (ce « New Deal » pour la nature, c’est la dénomination en termes marketing de l’accord qui sera signé à la COP 15 Biodiversité, un accord vivement attaqué par quasiment toutes les associations locales et ONG internationales de défense des peuples autochtones dont Survival International[20]).
Il est nécessaire de rappeler quelques autres faits pour mieux comprendre la puissance financière derrière cette campagne pour le business grossièrement maquillée en campagne pour la nature. Inger Andersen, ancienne directrice de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), aujourd’hui directrice exécutive du programme des Nations Unies pour l’environnement, a annoncé sur son compte Twitter qu’elle participerait le 8 juin 2021 à une discussion intitulée Investing in Nature – Building a global biodiversity framework and closing the finance gap (« Investir dans la nature – Construire un cadre mondial pour la biodiversité et combler le déficit de financement ») organisée par le Financial Times. Dans un tweet marqué avec le hashtag ForNature, elle présente la chose ainsi : « Heureuse de joindre cette discussion FTLive qui détaillera comment le verdissement des plans de relance suite au COVID19 vont bénéficier aux gens et à la planète. » Le compte du Financial Times Live a quant à lui insisté dans son tweet sur « comment investisseurs et financiers peuvent jouer un rôle clé en réalisant une transition vers une économie respectueuse de la nature[21]. » Le National Geographic, qui produit et héberge des contenus pour Bayer-Monsanto (par exemple ce mini-site Questions for a better life[22]), et la Wyss Campaign For Nature, sont tous les deux partenaires de l’événement.
La Wyss Campaign for Nature « est un investissement de 1 milliard de dollars pour aider les communautés, les peuples indigènes, et les nations à conserver 30 % de la planète dans son état naturel d’ici 2030[23]. » Ici, précisons que Hanswörg Wyss est un milliardaire philanthrope helvético-états-unien, fondateur de la Wyss Foundation, qui a récemment fait un don de 65 millions de dollars à l’ONG African Parks[24]. Fondée selon le Monde Diplomatique par un milliardaire néerlandais en 1999, héritier d’une « richissime famille d’industriels » qui « commerçait avec le régime d’apartheid » en Afrique du Sud, cette puissante ONG a obtenu la délégation de gestion d’une quinzaine de parcs nationaux en Afrique. Au programme : construction de clôtures électrifiées pour limiter la circulation des populations locales et des animaux sauvages, translocation de dizaines d’animaux d’Afrique du Sud vers les parcs en concession pour augmenter la valeur du « capital naturel », gestion sur un « modèle militaire », persécutions à répétition des communautés locales, et autres joyeusetés. En 2018, dans le parc de la Pendjari au Bénin, les rangers employés par African Parks ont abattu 350 têtes de bétail sans concertation avec les bergers Peuls, un peuple autochtone de pasteurs nomades de la région sahélienne[25]. Notons qu’African Parks compte parmi ses « partenaires stratégiques » la Commission Européenne, The National Geographic Society, la fondation de la richissime famille Walton (fondatrice du géant Walmart), le WWF, les banques de développement allemande (GIZ) et états-unienne (USAID), ainsi que la fondation de l’ultrariche Howard Buffett, fils de Warren, qui finance par ailleurs des projets plus que discutables en République Démocratique du Congo[26]. Pour terminer là-dessus, le Financial Times, dans sa rubrique How To Spend It, fait la réclame pour African Parks afin d’attirer les touristes fortunés en manque d’aventure sauvage (Tchad[27], Rwanda[28], etc.).
Sans surprise, le WWF marque aussi ses publications avec le hashtag ForNature, comme par exemple cette vidéo du Forum Économique Mondial partagée sur Facebook par le panda éco-capitaliste[29]. Elle explique le plus sérieusement du monde que la sylviculture industrielle est écologiquement soutenable :
« Cette forêt écossaise est à la fois un terrain de jeu, une usine et un foyer pour la faune sauvage. Elle produit du bois durable de façon à ce que les arbres, les animaux sauvages et les gens restent en bonne santé. Cela nous permet de laisser en place les forêts anciennes et naturelles qui absorbent du carbone de l’atmosphère. »
Une femme de la commission des forêts écossaises fait ensuite un discours de VRP sur un ton qui se veut rationnel et pragmatique :
« En réalité, nous avons besoin du bois si nous voulons réduire le plastique dans l’environnement. Si nous voulons construire des maisons, nous avons besoin d’utiliser du bois. C’est une ressource parfaitement durable. Le bois sent bon, c’est beau, il isole bien et stimule l’imagination des gens. »
Quand les forêts auront laissé place au désert, on ira la chercher où l’inspiration ? Une telle argumentation ne laisse place à aucune autre alternative, il faut exploiter industriellement les forêts pour régler le problème du plastique. Pas le choix. Du greenwashing pur et dur, d’autant que la production de plastique va augmenter de 40 % d’ici 2030[30].
Dans la suite de la vidéo, on apprend que :
« Les revenus de l’industrie du bois créent des emplois et financent les soins portés à la plantation et aux animaux sauvages. Le bois des forêts écossaises est utilisé pour fabriquer des maisons, des palissades, du papier et du biocarburant. Le bois est une alternative bas carbone en comparaison du béton et du métal. »
D’un cynisme sans limite, ces gens utilisent maintenant le chantage à l’emploi pour justifier la destruction de la forêt. Sur les images, on aperçoit d’énormes engins forestiers manipuler des arbres de plusieurs dizaines de mètres de hauteur comme de vulgaires mikado, leur arrachant toutes leurs branches avec une rapidité effrayante. Les mêmes machines sont utilisées pour « optimiser l’exploitation » des forêts, histoire de faire de belles coupes rases en un temps record. Économistes et ingénieurs ont appelé ça « l’efficacité ». L’objectif de la vidéo est clair : faire avaler au grand public que l’exploitation industrielle et à très grande échelle du bois peut être soutenable écologiquement. Rien n’est plus éloigné de la vérité.
Coutumiers du greenwashing à grande échelle, WWF et Forum Économique Mondial omettent de citer l’un des débouchés majeurs du bois en Europe et en Amérique du Nord. En 2020, un article du média Mongabay révélait que près de 60 % de la production d’énergie dite « renouvelable » dans l’Union Européenne ne provient pas des éoliennes ni des panneaux solaires, mais de la combustion de biomasse dont la plus grosse partie est constituée de granulés de bois[31]. En raison de la directive des Nations Unies établie lors du protocole de Kyoto en 1997 considérant l’énergie issue de la biomasse forestière comme « neutre en carbone », les grands groupes énergétiques ont obtenu des subventions pour développer des centrales à biomasse et convertir les centrales à charbon en centrale biomasse. Pourtant, ce procédé prétendument « propre » émet plus de CO2 que l’usage du charbon. À cause de cette politique, l’exploitation forestière industrielle explose en Europe. Une étude publiée en juillet 2020 dans la revue Nature a révélé une augmentation de 49 % de la superficie forestière exploitée et une hausse de 69 % de la perte en biomasse pour la période 2016–2018 par rapport à 2011–2015, avec des pertes importantes dans la péninsule ibérique, dans les pays baltes et nordiques. Les coupables : « L’augmentation du taux de récolte forestière est le résultat de l’expansion récente des marchés du bois, comme le suggèrent les indicateurs économétriques sur la foresterie, la bioénergie à base de bois et le commerce international[32].
Pire encore, l’entreprise britannique Drax subventionnée annuellement à hauteur de plus d’un milliard de dollars est en pleine croissance. Premier consommateur au monde de granulés de bois pour la production d’énergie, Drax indiquait dans un communiqué en mars qu’elle allait entamer les démarches pour installer la première usine de capture du carbone basée sur la technologie BECCS (Bioenergy with Carbon Capture and Storage). Les travaux devraient commencer en 2024. Auparavant, en 2019, elle avait annoncé avoir réussi à capter son CO2 pour la première fois. Suite à cela, elle a établi un partenariat avec Mitsubishi Heavy Industries pour industrialiser le procédé. Enfin, Drax envisage d’acquérir le producteur canadien de granulés de bois Pinnacle Renewable Energy afin de sécuriser son approvisionnement en biomasse.[33]
Anéantir les forêts pour capturer et stocker du CO2, il fallait y penser.
Greta Thunberg défend le consumérisme végan
« “Votez avec votre argent” est devenu le slogan de l’environnementalisme dominant. À partir des années 1950, les êtres humains furent davantage qualifiés de consommateurs que de citoyens. En persuadant les gens que leur principal moyen d’action sociale et politique se fait à travers la consommation, alors leurs choix de résistance se réduisent à acheter ou ne pas acheter. En réalité, les humains disposent d’un éventail bien plus vaste de tactiques. »
– Julia Barnes, réalisatrice du documentaire Bright Green Lies, 2021.
Maintenant que le décor est planté, revenons à Greta Thunberg et à ce « quelque chose » dont elle veut parler.
« Notre relation avec la nature est brisée. Mais les relations peuvent changer. Les crises climatiques, écologiques et sanitaires sont liées les unes aux autres. Mais nous ne voyons plus ces liens, notre vision est limitée. Alors, qu’allons-nous faire ? »
Après cette rapide introduction depuis son canapé, Greta se présente, puis on l’aperçoit en extérieur, dans ce qui semble être un enclos. En arrière-plan, trois chèvres gambadent joyeusement en direction de la jeune suédoise, comme pour saluer et remercier leur bienfaitrice. On devine aisément une personne appâtant les animaux derrière la caméra, même Greta se laisse déconcentrée un instant et détourne le regard de la caméra à la 27ème seconde. Tout ou presque dans cette vidéo a bien entendu été scrupuleusement scénarisé en amont.
Greta poursuit :
« Parce que, avouons-le, si nous ne changeons pas, nous sommes baisés. »
Tout au long de la vidéo, Greta emploiera le « nous » pour qualifier toute « l’humanité ».
La citation célèbre d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, est également mentionnée :
« Pendant trop longtemps, nous avons mené une guerre insensée et suicidaire contre la nature. »
Pourquoi « NOUS » ?!
VOUS – les Nations Unies, le Forum Économique Mondial, la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne, les États, les think tanks et autres groupes de lobbying pro-industrie, toute la mafia bureaucratique locale, nationale et globale, sans oublier les ultrariches, les grandes firmes, leurs PDG et actionnaires –, VOUS menez une guerre contre la nature au nom du « progrès » de l’humanité ! VOUS avez fait usage de la force par le passé, VOUS l’usez encore, et VOUS l’userez toujours pour imposer cette culture mortifère et son mode de vie débilitant presque partout sur Terre. VOUS êtes les uniques responsables du désastre socio-écologique planétaire. Ajoutons en prime qu’Amina J. Mohammed, vice-présidente générale de l’ONU, a été accusée en 2017 par l’ONG Environmental Investigation Agency d’avoir collaboré activement à l’une des plus grandes opérations de blanchiment de bois coupé illégalement de l’histoire lorsqu’elle était ministre de l’environnement du Nigéria[34]. La mafia chinoise du bois de rose aurait versé plus d’un million de dollars de pots-de-vin à des hauts responsables et officiels du gouvernement nigérian pour autoriser l’entrée en Chine de plus de 10 000 containers de bois dit « kosso » d’une valeur totale estimée à au moins 300 millions de dollars. L’affaire a semble-t-il rapidement été étouffée. Aujourd’hui, cette dame est toujours en poste et préside, tenez-vous bien, le « Groupe des Nations Unies pour le développement durable[35] ».
Cette technique discursive façonne l’inconscient collectif de la masse et suggère insidieusement que « nous » serions tous dans le même bateau, avec une responsabilité partagée équitablement entre tous les humains. Si les effets de telles pratiques paraissent indiscernables au premier abord, ils n’en sont pas moins dévastateurs. Les innombrables cultures rurales traditionnelles et les peuples autochtones de par le monde sont rendus invisibles par ce discours essentialiste. Les inégalités béantes inhérentes au capitalisme et, dans une plus grande mesure, à toute civilisation[36], disparaissent elles-aussi. Insultant la plupart des habitants du Sud global qui ne portent aucune responsabilité dans ce meurtre prémédité de la planète, ces propos sont symptomatiques de la violence quotidienne de la culture dominante. Voilà comment, grâce à la manipulation des mécanismes psychologiques du cerveau humain (ou marketing), à la puissance technologique offerte par Internet et les réseaux sociaux, l’on fabrique de toutes pièces une identité et une culture uniques pour l’humanité tout entière. L’emploi du nous a un effet rassembleur sur le bétail humain, chose essentielle pour guider le troupeau et « engager » les prospects dans la voie du progrès, pour réemployer un anglicisme à la mode chez les techno-ahuris de la startup nation. Nous serions tous responsables du désastre global mais, fort heureusement, nous pouvons faire des choix différents. Nous pouvons changer notre façon de consommer ! Diantre, mais pourquoi n’y avons-nous pas pensé plus tôt !? Outre le peu de considération pour la vie humaine réduite à l’achat – ou non – d’une marchandise ou d’une expérience sur un marché, ce discours laisse croire aux gens qu’ils ont le choix, donc qu’ils sont libres. Et dans le même temps, il limite drastiquement leurs moyens d’action en fixant le cadre, en limitant l’individu à son statut de consommateur. C’est une insulte à la dignité humaine. Êtes-vous un consommateur décérébré, un portefeuille sur pattes, un distributeur de billets ambulant ? Ou êtes-vous un être humain ?
Comme souvent dans les prestations théâtrales de Greta Thunberg, la peur est largement instrumentalisée. Dans cette vidéo, on discerne une insistance particulière sur les maladies infectieuses pour capitaliser sur la paranoïa générale. La stratégie du choc théorisée par l’économiste ultralibéral Milton Friedman est appliquée avec assiduité par le monde des affaires[37]. Rappelons ici que Klaus Schwab, fondateur et président du Forum Économique Mondial, a déclaré que la pandémie représentait une « fenêtre d’opportunité rare mais étroite pour repenser, réinventer et réinitialiser notre monde[38]. »
Covid-19, Zika, Ebola, fièvre du Nil occidental, SRAS, MERS, Sida, Greta Thunberg ratisse large dans l’éventail des agents pathogènes. S’il est vrai que la plupart des nouvelles maladies infectieuses proviennent d’animaux sauvages, les associer toutes à l’élevage dans une vidéo promouvant l’abandon de la viande s’avère fallacieux, pour ne pas dire malhonnête. Dans le cas du Covid-19, certains scientifiques prétendent que rien ne permet d’écarter définitivement la thèse d’une fuite de laboratoire, comme l’écrivait déjà fin 2020 le journal du CNRS[39]. En mars 2021, un reportage de l’émission Envoyé Spécial en rajoutait une couche[40]. Et d’après un article daté du 27 mai 2021 paru dans le journal britannique The Guardian, Facebook a récemment suspendu sa politique de modération qui consistait à bannir les utilisateurs soutenant que le virus était le produit du génie humain, introduisant cette décision de la manière suivante :
« À la lumière des enquêtes en cours sur l’origine du Covid-19 et en consultation avec des experts en santé publique, nous ne supprimerons plus de nos applications l’allégation selon laquelle le Covid-19 a été fabriqué par l’homme[41] ».
Facebook prétendait donc défendre la vérité sans connaître la vérité. Le techno-fascisme, nous y sommes déjà.
Greta cite également le VIH dans la vidéo. Sauf que le virus n’a strictement rien à voir avec l’élevage. Wikipédia détaille son origine :
« L’origine du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est simienne. Il existe une diversité de VIH qui ont été transmis à l’homme par différents types de singe. Depuis le début de la pandémie, 99% des infections au VIH sont une infection au VIH‑1 de type M. Le type M a été transmis à l’homme par un chimpanzé du sud du Cameroun (Pan troglodytes troglodytes), probablement entre 1915 et 1941. Cela a pu se produire à la suite d’une morsure par un chimpanzé infecté, ou par une écorchure à l’occasion du dépeçage. Le “patient zéro” du VIH‑1 type M à partir duquel la pandémie de VIH s’est déclenchée est un Camerounais ou un colon. Ce patient zéro a disséminé le virus dans un autre pays, le Congo belge, actuelle République démocratique du Congo. Dans les années 1940 à 1960, la capitale du Congo belge, Léopoldville (l’actuelle Kinshasa) a été l’épicentre de la pandémie de VIH.
Classiquement, l’origine de la pandémie de VIH est expliquée par le développement de l’urbanisation, la paupérisation, la prostitution, les déplacements de populations, les changements de comportement sexuel et l’apparition des drogues injectables. D’après Jacques Pépin, selon toute vraisemblance, le VIH s’est surtout propagé dans des dispensaires ou centres de santé. En Afrique, une seringue passe d’un malade à l’autre, tout en conservant parfois des petites quantités de sang contagieux, lesquelles quantités sont suffisantes pour transmettre le virus. Le VIH a pu être transmis à des patients de tout âge, à la suite d’injections intraveineuses luttant contre la syphilis, le pian, la maladie du sommeil, la lèpre, la tuberculose ou encore le paludisme[42]. »
L’émergence et la propagation du VIH ont pour origine les pulsions expansionnistes de la civilisation industrielle européenne. Il s’en est suivi la colonisation de l’Afrique par les Européens, la fameuse « mission civilisatrice » défendue avec verve par tous les puissants de l’époque, y compris des intellectuels de gauche dont Victor Hugo[43].
Le progrès tue.
Concernant Ébola, selon l’OMS, l’origine du virus reste inconnue et n’a vraisemblablement aucun lien avec l’élevage :
« Elle est apparue pour la première fois en 1976, lors de deux flambées simultanées, l’une à Yambuku, un village près de la rivière Ebola en République démocratique du Congo, et l’autre dans une zone isolée du Soudan.
On ignore l’origine du virus mais les données disponibles actuellement semblent désigner certaines chauves-souris frugivores (Ptéropodidés) comme des hôtes possibles.
L’être humain s’infecte par contact soit avec des animaux infectés [ou viande de brousse, Ndr] (en général en les dépeçant, en les cuisant ou en les mangeant), soit avec des liquides biologiques de personnes infectées. La plupart des cas surviennent à la suite de la transmission interhumaine qui se produit lorsque du sang, des liquides biologiques ou des sécrétions (selles, urine, salive, sperme) de sujets infectés pénètrent dans l’organisme d’une personne saine par l’intermédiaire d’une lésion cutanée ou des muqueuses[44]. »
D’après des travaux de recherche cités dans un article du média Mongabay, il y aurait un lien entre le développement durable de la monoculture industrielle d’huile de palme et l’émergence d’Ébola en Afrique de l’ouest[45]. La Socfin, société luxembourgeoise détenue à près de 39 % par le groupe Bolloré, est un acteur majeur de la culture industrielle de palmiers à huile et d’hévéas, accaparant des terres aux communautés locales en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud-Est[46]. La famille du Belge Hubert Fabbri est l’autre actionnaire majoritaire de la Socfin qui exploite, sous forme de concessions, près de 130 000 hectares au Liberia, 73 000 hectares au Cameroun, ou encore 48 000 hectares en Indonésie. Vous serez heureux d’apprendre que la Socfin a versé près de 30 millions d’euros à ses pourritures d’actionnaires en 2018[47].
Au sujet du virus Nipah, qui n’est pas cité par Greta dans la vidéo, l’article de Mongabay précise que « les chercheurs ont aussi remarqué qu’au Bangladesh, les chauves-souris frugivores transmettent le virus Nipah aux humains en urinant sur les fruits des palmiers à huile[48] ».
Encore une fois, rien à voir avec l’élevage.
Si Greta Thunberg se garde bien de tomber dans le piège qui serait d’associer explicitement l’élevage à Ébola ou au VIH, citer l’ensemble de ces pathogènes dans une vidéo ponctuée d’images d’immenses élevages industriels, d’abattoirs industriels, de déforestation massive, de monocultures industrielles et d’incendies de forêts, sème assurément la confusion dans l’esprit du public. Après avoir préparé le spectateur en le bombardant de menaces potentiellement létales, d’images montrant la souffrance et le chaos structurels à cette civilisation, il ne peut que se sentir impuissant face à la magnitude de la catastrophe, face à l’ampleur de la tâche. Son esprit est submergé par les émotions. Objectif atteint, il suffit alors de sortir la « solution » du chapeau – le régime végétalien –, et le tour est joué. Greta ne participe peut-être pas à la diffusion de fake news, mais elle contribue bel et bien à l’abrutissement des masses et, en définitive, à renforcer l’idiocratie déjà bien en place.
Plus loin, Greta Thunberg poursuit :
« À cause de la façon dont nous cultivons et dont nous traitons la nature, en déforestant et en détruisant les habitats, nous créons les conditions parfaites pour que les maladies se transmettent d’un animal à un autre et à nous. »
Il s’agit d’une mécanique commune à toute civilisation, apparue avec la civilisation il y a environ 10 000 ans, une seule culture humaine (parmi des milliers d’autres) caractérisée par la prolifération et la croissance de centres urbains, ainsi que par la monoculture intensive de céréales. Rien à voir donc avec une sorte de loi qui s’appliquerait à l’humanité entière, l’espèce humaine étant âgée elle d’au moins 300 000 ans.
Dans un article du Time, le professeur d’histoire à l’Université de l’Oklahoma évoque l’origine de la rougeole :
« […] l’histoire cachée des maladies humaines est graduellement mise au jour par des preuves génétiques. L’arbre généalogique du virus de la rougeole, par exemple, est éloquent : il révèle que la rougeole actuelle est issue d’une maladie des rongeurs qui s’est propagée au bétail, puis à l’homme. Des méthodes mathématiques sophistiquées permettent d’estimer l’échelle de temps de ces relations évolutives. Dans le cas de la rougeole, une nouvelle étude (à laquelle j’ai contribué) suggère que la rougeole a divergé de la peste bovine, un virus bovin aujourd’hui disparu qui est son plus proche parent, à la fin du premier millénaire avant Jésus-Christ. Cette estimation correspond presque exactement au moment de l’histoire de l’humanité où les plus grandes villes ont dépassé “l’effectif critique de population” nécessaire à la prolifération du virus de la rougeole.
Ce que cette concordance suggère — de manière assez troublante — c’est que l’un des virus respiratoires les plus dangereux et les plus distinctement humains est apparu avec l’essor de la civilisation elle-même[49]. »
Dans son excellent ouvrage Homo Domesticus, l’anthropologue James C. Scott détaille les liens entre le progrès de la civilisation et l’émergence à répétition de nouveaux pathogènes :
« On ne surestimera jamais assez l’importance de la sédentarité et de la concentration démographique qu’elle a entraînée. Cela signifie que presque toutes les maladies infectieuses dues à des micro-organismes spécifiquement adaptés à Homo sapiens ne sont apparues qu’au cours des derniers dix millénaires et nombre d’entre elles depuis seulement cinq mille ans. Elles constituent donc un “effet civilisationnel”, au sens fort du terme. Ces maladies historiquement inédites – choléra, variole, oreillons, rougeole, grippe, varicelle et peut-être aussi paludisme – n’ont émergé qu’avec les débuts de l’urbanisation et, comme nous allons le voir, de l’agriculture. […] »
Il ajoute aussi que les populations humaines non-civilisées, non-urbaines, non-domestiquées par l’État, connaissaient probablement très bien les processus écologiques et les conséquences sanitaires pouvant résulter d’une grande concentration d’humains et d’animaux pataugeant en permanence dans leurs excréments :
« Avant que les humains ne commencent à voyager loin et en nombre, ce sont peut-être les oiseaux migrateurs nichant ensemble qui, parce qu’ils combinaient forte densité démographique et longues traversées, constituaient le principal vecteur de propagation à distance des maladies. L’association entre concentration démographique et propension aux infections était connue bien avant que l’on ne découvre les vecteurs effectifs de la transmission des maladies. Chasseurs et cueilleurs en savaient suffisamment pour se tenir à l’écart des grandes concentrations humaines et la dispersion fut longtemps perçue comme un moyen d’éviter de contracter une maladie épidémique. […] »
Chez certains peuples autochtones, par exemple aux Philippines dans la Cordillère, une région montagneuse située dans le nord du pays, des pratiques traditionnelles visant à isoler la communauté en cas de danger (catastrophe, épidémie, etc.), durant une période limitée, existent depuis des temps immémoriaux[50].
D’après le site Our World in Data, la population urbaine mondiale a seulement dépassé la population rurale en 2007 et, jusqu’au XIXe siècle, époque marquée par la première révolution industrielle, les urbains représentaient une part anecdotique de la population mondiale[51]. L’industrialisation dopée par les carburants fossiles n’a pas seulement accéléré comme jamais l’extraction de matériaux et de biomasse, ainsi que la croissance des villes, elle a rendu ces objectifs atteignables sur le plan sociotechnique. Selon toute logique, les grands ensembles urbains modernes sont nés de la dévastation écologique et climatique, et ne peuvent être maintenus qu’en perpétuant indéfiniment cette dévastation. On voit d’ailleurs assez mal comment maintenir en état de marche un environnement ayant atteint un tel niveau d’artificialisation sans recourir à davantage de technologies et de croissance économique, c’est un cercle vicieux sans fin.
Libérer la terre ou optimiser sa destruction ?
« La meilleure chose que vous puissiez faire pour l’Amazonie, c’est de bombarder toutes les routes. »
– Eneas Salati, scientifique brésilien.
Plus loin dans la vidéo, la jeune activiste suédoise poursuit son argumentation :
« Nous avons industrialisé la vie sur Terre. Si nous continuons à produire de la nourriture de cette manière. Nous allons aussi détruire l’habitat de la plupart des plantes et des animaux sauvages, conduisant d’innombrables espèces vers l’extinction. Ça craint vraiment pour nous aussi. Ces systèmes garantissent notre survie. Si nous les perdons, nous serons perdus aussi. »
Les apôtres du véganisme ont vite compris qu’instrumentaliser la biodiversité pour convaincre les masses portait ses fruits. Ils serinent à longueur de journées que l’abandon de la viande contribuerait grandement à stopper la déforestation, particulièrement en Amazonie. Or il n’y a rien de plus faux. Un consommateur européen n’a pratiquement aucun pouvoir sur un propriétaire terrien brésilien habitant à des milliers de kilomètres de là, de l’autre côté de l’océan Atlantique. Encore moins sur l’État brésilien et son secteur privé. Mais essayons tout de même d’imaginer ce monde féérique voulu par Greta Thunberg, Milo Runkle, le Forum Économique Mondial et les Nations Unies, un Meilleur des mondes où le technovéganisme régnerait en maître. Inutile d’avoir un doctorat en agronomie pour comprendre qu’à l’élevage extensif, déjà peu rentable à l’hectare, ou à la culture de soja, succèderait un autre type de culture ou, dans tous les cas, une autre forme d’exploitation industrielle de la terre. Le Brésil exploite par exemple des plantations industrielles de canne à sucre pour fabriquer de l’éthanol, d’eucalyptus pour fournir son industrie sidérurgique en charbon de bois, et accélère sa production d’huile de palme pour concurrencer l’Asie du Sud-Est. Précisons également que la déforestation en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique et en Asie du Sud-Est n’a pas grand-chose à voir avec l’élevage. Nous ne reviendrons pas en détails là-dessus. Pour en savoir plus à ce sujet, lire l’article « Le végétarisme ne sauvera pas l’Amazonie de la déforestation[52] ». Et d’après un article paru dans le magazine Yale Environment 360 écrit par le scientifique australien William Laurance, spécialiste des forêts tropicales, c’est la construction de routes en forêt qui accroît de manière exponentielle l’extraction de ressources forestières et du sous-sol – viande, bois, minerais, gaz, pétrole, etc[53].
Greta Thunberg colporte ce mythe grotesque selon lequel vie sauvage et civilisation auraient une destinée commune. Un autre mensonge, bien évidemment. Selon l’écologue Carl Safina, titulaire d’une chaire à la Stony Brook University de New York et auteur de plusieurs ouvrages, les espèces sauvages sont, pour la civilisation et le maintien de la vie moderne, matériellement inutiles :
« Il n’y a pas une seule espèce dont la disparition ait causé beaucoup de désagréments à la civilisation, pas une seule espèce sauvage qui soit indispensable, moins encore dont l’éradication serait remarquée, sauf par une poignée de conservationnistes ou de scientifiques irréductibles. L’inutilité de la vie sauvage pour la société civile est la raison pour laquelle les espèces menacées n’apparaissent jamais dans les sondages parmi les grandes priorités du public. Je ne peux pas nommer une seule espèce sauvage dont la disparition totale serait matériellement ressentie par qui que ce soit (vous pouvez facilement fonctionner sans avoir accès aux éléphants, mais si vous perdez votre téléphone pendant une journée entière, c’est le chaos). Mais je peux sans effort énumérer diverses espèces, des tigres aux moustiques, dont l’anéantissement a été assidûment poursuivi. L’annihilation est facile pour Homo sapiens. Ce qui nous intéresse peu, c’est la coexistence.
[…]
Les services naturels dont les humains ont réellement besoin pour conserver la vie moderne proviennent des micro-organismes décomposeurs, de quelques insectes pollinisateurs, du plancton réalisant la photosynthèse dans les océans et de choses non vivantes comme l’eau et l’atmosphère. À terme, nous pourrions bien simplifier le monde pour le limiter à l’essentiel, et il pourra supporter des milliards de personnes supplémentaires. En effet, c’est la seule manière d’y parvenir[54]. »
D’autres scientifiques abondent en ce sens[55]. L’idée selon laquelle la civilisation industrielle reposerait sur des « services écosystémiques » est une fable, comme l’explique longuement le scientifique R. David Simpson qui a étudié les liens entre économie et écosystèmes durant plus de 25 ans[56]. Selon lui, cette fièvre soudaine pour les « services » de la nature pourrait au contraire accélérer la colonisation de la terre nourricière par le béton, le métal et le bitume. Et à la limite, qui a réellement besoin d’un doctorat en biologie pour réaliser qu’une ville, dépendante d’un approvisionnement en eau et en nourriture totalement artificialisé reposant sur de gigantesques infrastructures et des machines (traitement, pompage, transport, routes, etc.), ne repose en rien sur la bonne santé des écosystèmes alentours ? Ajoutons qu’en Europe, probablement l’une des régions les plus urbanisées et fragmentées par les infrastructures de transport dans le monde[57], les écosystèmes sont dans un état calamiteux. La civilisation, de son côté, se porte à merveille.
Si l’industrialisation de la vie sur Terre a causé tant de dégâts, la logique voudrait qu’on démantèle le système industriel. Pas seulement pour la production de nourriture, mais pour tout le reste, l’écrasante majorité des produits et objets disponibles sur les marchés n’étant aucunement indispensable pour mener une vie digne de ce nom. Mais, chose étonnante, la solution avancée est tout autre. Les puissants capitalisent sur les crises sanitaire, climatique et écologique pour uniformiser le régime alimentaire de leur cheptel humain, et passent par l’intermédiaire de l’innocente Greta pour diffuser leurs mensonges :
« Si nous nous tournons vers une alimentation végétale, nous pourrions économiser 8 milliards de tonnes de CO2 chaque année. Nous pourrions nous nourrir en utilisant beaucoup moins de terres [76 % d’après une étude citée, NdT], et la nature pourrait se régénérer. »
Il est intéressant de noter que Greta n’utilise à aucun moment les termes « régime végétarien » ou « régime végétalien ». Aucune référence non plus au véganisme ni à l’antispécisme. Elle leur préfère l’expression plant-based diet, plus neutre, moins clivante. Mais une alimentation uniquement à base de plantes, c’est un régime végétalien.
Plus loin, Greta Thunberg fait la liste des fléaux planétaires et se réapproprient le langage des écologistes radicaux pour indiquer à l’audience qu’un changement de système serait possible en suivant ses conseils :
« Pandémies, déclin de la biodiversité, perturbation climatique, acidification des océans, inégalités, perte de sol fertile. Ce sont juste des symptômes. Ils ne font que symboliser la manière dont nous traitons la nature et la valeur que nous lui attribuons. Notre système doit changer. Mais nous pouvons remédier à ce problème, parce que nous faisons partie de la nature. Quand nous protégeons la nature, nous sommes la nature veillant à sa propre protection. »
En vérité, il n’y aucun changement de système en vue. Il n’est ni question d’un démantèlement des firmes de la pétrochimie, ni de la grande distribution, ni des géants agro-industriels, encore moins de la société techno-industrielle capitaliste prospérant sur un extractivisme et des pollutions démentiels. Les esclaves-salariés-consommateurs sont simplement culpabilisés puis sommés de changer leur régime alimentaire. D’autre part, les slogans du type « On ne se bat pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend » étaient à l’origine utilisés par une frange plutôt antisystème de l’écologisme, notamment par les zadistes de NDDL[58].
Autre élément notable, le passage sur la « valeur » attribuée à la nature. Ce qu’il y a de drôle avec les interventions de Greta Thunberg, c’est que la plupart des prétendues « solutions » sortant de sa bouche existent déjà ou, du moins, leur cadre réglementaire est en cours de développement. Mais nous avons le choix, nous dit-on, parce que nous aurions l’immense privilège de vivre en démocratie ! Qui peut encore croire à cette fumisterie ?
La Commission Européenne publiait par exemple le 11 mars 2021 un article titrant « Biodiversité : un changement révolutionnaire dans les rapports économiques pour tenir compte de la contribution de la nature à l’économie ».
Frans Timmermans, vice-président exécutif de la commission :
« Pour faire face aux crises du climat et de la biodiversité, nous devons transformer notre modèle économique. Ce nouveau cadre statistique va au-delà du PIB et prend mieux en compte la biodiversité et les écosystèmes dans la planification économique nationale. Il s’agit d’une évolution majeure dans le changement de notre façon de concevoir la prospérité et le bien-être. »
Virginijus Sinkevičius, commissaire dédié à l’environnement, aux océans et à la pêche :
« Alors que la nature apporte une contribution substantielle à notre économie, elle est largement invisible dans nos statistiques économiques. Nous devons transformer notre façon de voir et de valoriser la nature et faire en sorte que sa contribution à notre vie fasse partie de l’équation économique. Pour cela, nous avons besoin de méthodes solides pour suivre les investissements, les impacts et les dépendances vis-à-vis de la nature. Le nouveau cadre constitue un pas important dans cette direction, car il pourrait réorienter fondamentalement la planification économique et politique vers le développement durable[59]. »
Autre indicateur de cette tendance à la financiarisation de la nature, l’organisation à but non lucratif CFA Institute publiait quant à elle sur son blog une nouvelle réjouissante :
« Le capital naturel est la prochaine disruption du marché dont vous n’avez pas encore entendu parler. Mais ça va venir[60]. »
Cet institut délivre les diplômes CFA et CIPM. Le premier est une accréditation « mesurant et certifiant les compétences et l’intégrité des analystes financiers » d’après le site Investopedia ; le second a pour rôle de « former les professionnels à calculer et à communiquer avec précision les chiffres relatifs à la performance des investissements[61]. »
Les tendances à suivre : marché des PES (Paiements pour les services écosystémiques) ; marché de la compensation écologique (une entreprise peut détruire un écosystème, par exemple une zone humide, à condition de « compenser » ailleurs, peut-être en construisant une piscine olympique, allez savoir) ; marché des green bonds ou obligations vertes ; intégration de la biosphère dans la comptabilité des entreprises ; partenariats publics-privés ; etc.
La diffusion de cette vidéo de Greta Thunberg survient quelques mois après la publication d’un document recommandant une métamorphose du système alimentaire mondial. Publié en février 2021 par Chatham House, « l’un des think tanks les plus influents du monde » d’après le journal Les Echos[62], le rapport indique que « la convergence de la consommation alimentaire mondiale vers des régimes à base de plantes est l’élément le plus crucial » de cette réforme du système agro-industriel. Les Nations Unies « soutiennent » les conclusions du rapport d’après le quotidien britannique TheGuardian[63].
Le Forum Économique Mondial reprend quant à lui dans un article les conclusions du rapport en ajoutant ceci :
« Par exemple, si le régime alimentaire de la population mondiale était remplacé par des aliments d’origine végétale, 75 % des terres cultivées dans le monde pourraient être utilisées à d’autres fins. »
Ce refrain revient régulièrement. L’abandon de l’élevage et la production industrielle de substituts végétaux ultra-transformés à destination des clapiers urbains va libérer de l’espace, mais les documents restent assez évasifs sur ces « autres fins ».
Plus loin :
« La demande d’aliments d’origine végétale pourrait connaître une croissance annuelle de près de 12 %, et le marché pourrait peser 74 milliards de dollars d’ici 2027 selon les prévisions de Meticulous Research. Si la demande d’aliments d’origine végétale augmente sur la plupart des marchés mondiaux, l’Asie-Pacifique devrait dépasser les autres marchés régionaux.
L’évolution des aspirations des consommateurs et l’appétit croissant des investisseurs pour les produits à base de plantes sont parmi les moteurs de la croissance du marché mondial des produits à base de plantes, selon l’étude. Il reste à voir jusqu’où, à quelle vitesse et dans quelle mesure la demande d’aliments d’origine végétale augmentera dans les années à venir, mais l’avenir d’une multitude d’espèces dépend de la rapidité de cette évolution[64]. »
En effet, il se produit déjà une « révolution végane » en Chine, toujours selon le journal britannique The Guardian[65]. Le gouvernement chinois a adopté un plan en 2016 prévoyant de réduire la consommation de viande de 50 %, officiellement pour réduire ses émissions de CO2, mais probablement davantage pour devenir, grâce à son immense marché intérieur, un acteur majeur de l’industrie des substituts à base de plantes sur la scène internationale.
D’après le Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales, une « initiative internationale qui vise à contribuer aux luttes, aux réflexions et aux actions politiques des peuples autochtones, des paysans et des communautés du Sud qui dépendent des forêts », les « solutions fondées sur la nature » servent à faire diversion :
« Les solutions fondées sur la nature prônées par les entreprises regroupent une grande partie de ce contre quoi les communautés [rurales] luttent depuis des décennies : plantations industrielles d’arbres, aires protégées, projets REDD, crédits carbone et compensations de la biodiversité, plantations destinées aux biocarburants, etc. Ces “solutions” ont également en commun le fait de permettre la poursuite d’un autre ensemble d’activités qui se sont aussi heurtées à des résistances dans les territoires : mines, extraction de pétrole et de gaz, infrastructures à grande échelle, agro-industries, etc.
L’idée que la “nature” est une “solution” pousse encore plus loin ces destructions et spoliations. Presque tous les mois, un nouveau grand pollueur annonce son intention de rendre ses activités “neutres en carbone”, principalement en investissant dans les solutions dites “fondées sur la nature[66]”. »
Du greenwashing sous stéroïdes, voilà ce que sont en réalité la neutralité carbone, les solutions fondées sur la nature et le changement du système alimentaire.
Le think tank Chatham House parle d’un besoin impérieux « de protéger davantage de terres et les mettre en réserve pour la nature », et préconise que « l’investissement responsable, le changement de régime alimentaire et les solutions d’atténuation du changement climatique fondées sur la nature seront nécessaires pour guider les plans d’action au niveau national qui peuvent collectivement apporter un changement transformateur au système alimentaire mondial[67]. »
Le réseau mondial d’aires protégées (AP) couvre déjà environ 15 % de la surface des terres émergées et la création d’AP n’a cessé d’accélérer durant les dernières décennies, ce qui n’a en rien ralenti le déclin de la nature[68]. Peut-être parce que les AP servent bien souvent à légitimer l’expulsion des populations pour laisser place aux industries extractives. C’est la démonstration implacable faite par Mark Dowie dans son livre Conservation Refugees (« Les réfugiés de la conservation ») publié en 2011 chez MIT Press. On ne compte plus les exemples de réserves naturelles où sont autorisées l’extraction de pétrole, de gaz, de minerais, de charbon, d’uranium ou même la construction de méga-barrages comme dans l’immense réserve du Selous en Tanzanie[69]. D’après le journal La Croix, Total vient de signer pour « le plus grand projet pétrolier au monde » en Ouganda et en Tanzanie, un chantier à 10 milliards de dollars[70]. Au programme, forages dans les environs du Lac Albert et dans le parc national des Murchison Falls, avec en prime la construction du plus long oléoduc chauffé au monde fragmentant réserves naturelles et terres paysannes sur 1 500 km. Ce projet viole les droits de plus de 100 000 personnes et va très probablement ruiner leurs moyens de subsistance[71]. Mais gardons espoir, car le groupe pétrolier assure que « les émissions de gaz à effet de serre des deux projets seront réduites à environ 13 kilogrammes de CO2 par baril, en dessous de la moyenne du groupe ». La major pétrolière compte en outre « mettre en œuvre des plans d’action pour produire un impact positif net sur la biodiversité ». Ouf, voilà qui est réconfortant. Un autre gisement pétrolier et gazier potentiellement énorme est en cours d’exploration dans le nord-est de la Namibie, dans la plus importante zone de conservation transfrontalière pour la biodiversité en Afrique, non loin d’un joyeux naturel – le delta de l’Okavango[72]. La zone d’exploration couvre un territoire habité par 200 000 personnes et inclut des routes migratoires importantes pour la faune sauvage encore très abondante dans la région. Insistons encore, de nombreuses ONG de défense des peuples premiers critiquent vivement le projet des Nations Unies voulant porter les AP à 30 % de la surface terrestre d’ici 2030. Selon Survival International, plus de 300 millions de personnes pourraient être touchées, leur culture et leur mode de vie anéantis[73]. C’est un génocide. Une aberration de plus sachant que ces cultures comptent parmi les plus soutenables écologiquement, leurs terres concentrant 80 % de la biodiversité mondiale restante[74].
Comme déjà évoqué plus haut, un argument massue de cette campagne – et des antispécistes en général – consiste à suggérer que l’abandon de l’élevage libérerait beaucoup d’espace. Comme ça, en un claquement de doigt. En apparence, cela a du sens, mais en apparence seulement. Greta rappelle par exemple que 83 % des terres agricoles sont accaparées pour produire la nourriture destinée aux animaux de ferme. Mais rien sur les pertes et le gaspillage alimentaires. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime pourtant qu’un tiers de la nourriture produite annuellement dans le monde est perdue ou jetée :
« Le volume mondial de gaspillages et pertes alimentaires est estimé à 1,6 milliard de tonnes d’équivalents produits de base. Les gaspillages totaux pour la partie comestible s’élèvent à 1,3 milliard de tonnes.
L’empreinte carbone des gaspillages alimentaires est estimée à 3,3 milliards de tonnes de CO2 équivalent de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère chaque année.
Le volume total d’eau utilisé chaque année pour produire de la nourriture perdue ou gaspillée (250 km³) équivaut au débit annuel du fleuve Volga (Russie), ou trois fois le volume du Lac Léman.
De même, 1,4 milliard d’hectares de terres – soit 28 pour cent des superficies agricoles du monde –servent annuellement à produire de la nourriture perdue ou gaspillée[75]. »
Et la FAO précise qu’il ne s’agit que de la nourriture pour la consommation humaine[76]. Quid des pertes et du gaspillage de la nourriture destinée aux animaux d’élevages industriels ? Difficile de mettre la main sur des chiffres. Dans tous les cas, cette gabegie est le résultat de l’industrialisation du système alimentaire et n’a rien à voir avec l’élevage en général, qui varie grandement dans sa nature en fonction des régions du monde, des biotopes et du climat. Par ailleurs, l’économiste décroissant Niko Paech critique dans son excellent livre Se libérer du superflu – vers une économie de post-croissance cette légende urbaine de l’efficience énergétique et matérielle vendue par le monde corporatiste. Selon lui, la société industrielle prise dans son ensemble, en raison de sa structure et de sa complexité, ne peut être économe en énergie, matériaux et gaspillages.
Reprenant une étude parue dans la revue Science, Mercy For Animal et Greta Thunberg prétendent donc que l’adoption à l’échelle mondiale du régime végétalien pourrait réduire de 76 % la surface terrestre dédiée à l’alimentation du cheptel humain, et Greta d’ajouter « la nature pourrait se régénérer ». Compte tenu des dynamiques à l’œuvre au sein de la civilisation techno-industrielle, la possibilité qu’un tel conte de fée devienne réalité relève davantage du miracle que de la science derrière laquelle Greta se retranche constamment. Comme par enchantement, les grands céréaliers multimillionnaires, en Amérique du Nord, en Europe et en Amérique du Sud, abandonneraient leurs terres à la vie sauvage après avoir été ruinés par l’effondrement du marché mondial pour l’alimentation des animaux de ferme. Difficile à croire. En fait, il existe un autre scénario bien plus probable : la conversion d’une grande partie de ces terres en cultures industrielles de biomasse, pour produire électricité et biocarburants dont le système technologique a désespérément besoin pour assurer sa survie.
L’Agence internationale de l’énergie dit ceci au sujet des biocarburants :
« La production mondiale de biocarburants a augmenté de 10 milliards de litres en 2018 pour atteindre le chiffre record de 154 milliards de litres. Doublant la croissance réalisée en 2017, cette augmentation de 7 % en glissement annuel est la plus élevée depuis cinq ans. La production devrait augmenter de 25 % jusqu’en 2024, une révision à la hausse par rapport à 2018 en raison de meilleures perspectives de marché au Brésil, aux États-Unis et surtout en Chine[77]. »
Plus de 90 000 navires marchands[78] sillonnent les océans (28 000 navires de fret dépassent les 100 mètres[79]) et des dizaines de milliers d’avions commerciaux et privés volent simultanément chaque jour dans le monde (200 000 vols en une journée enregistrés le samedi 29 juin 2018, et près de 38 millions de vols sur l’année[80]). En 2017, près de 4 milliards de passagers ont sillonné les aires, un chiffre qui devrait presque doubler à 7,8 milliards en 2036. Un boeing 777 de 350 tonnes[81] ou un immense porte-containers de 400 mètres à l’image du Bougainville de la CMA-CGM (52 000 tonnes à vide, 240 000 tonnes à charge maximale, consommation s’élevant à 330 tonnes de fioul lourd/jour[82]) pourront difficilement être convertis à la puissance électrique en raison des problèmes techniques posés par les besoins en stockage pour déplacer de telles masses. À moins peut-être que des ingénieurs soient assez timbrés pour s’atteler à la conception de navires marchands et d’avions commerciaux équipés de réacteurs nucléaires miniaturisés. Il faut rester sur ses gardes avec l’élite technicienne, ces bougres d’ingénieurs promettent toujours le meilleur mais préparent souvent le pire. Dans tous les cas, électrifier des dizaines de milliers d’avions et de navires marchands, ce n’est pas pour tout de suite. Et pour maintenir ces mastodontes en mouvement dans un monde où le pétrole se raréfie et la demande augmente, il faut bien mettre quelque chose dans le réservoir. Sans oublier qu’il reste encore le transport routier, les voitures individuelles, les trains régionaux roulant souvent au gasoil, les autocars, etc.
Pour ce qui est de la production d’électricité à partir de biomasse, comme indiqué plus haut, celle-ci a provoqué une très forte augmentation des prélèvements de bois en Europe ces dernières années d’après une étude publiée dans la revue Nature en 2020[83]. Aux États-Unis également, c’est un désastre pour les forêts – de plantation et anciennes – où les coupes rases se multiplient, comme on peut le constater dans les excellents documentaires Planet of the Humans (Jeff Gibs, Michael Moore et Ozzie Zehner) et Bright Green Lies (Julia Barnes).
Standardiser le monde pour mieux l’industrialiser
« L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. »
– Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955.
Fondée en 1999 par Milo Runkle, l’ONG Mercy For Animal (MFA), qui a posté cette vidéo de Greta sur Youtube, fait un lobbying agressif pour l’adoption du véganisme à travers les réseaux sociaux (plus de 2,5 millions de fans sur Facebook), des vidéos, un magazine et des ressources en ligne. Elle a travaillé avec des géants de l’agro-industrie dont Perdue, Walmart et Nestlé[84]. D’après le profil Linkedin de Milo Runkle, MFA est « l’organisation de défense des animaux de ferme et de promotion du véganisme la plus importante au monde[85] ». En 2016, il a créé Circle V, le premier festival de musique végan. Qui n’a pas déjà entendu parler de cette mode ridicule des festivals écologiques ? Citons We Love Green en France, un exemple parmi d’autres. Une escroquerie, comme à chaque tentative de repeindre en vert cette culture. Un festival de musique rassemblant des milliers de festivaliers imbibés d’éthanol braillant un dialecte incompréhensible pour le commun des mortels, qui piétineront une prairie durant plusieurs jours d’affilés, laissant derrière eux leurs tentes Quechua jetables et des tonnes de déchets, le tout accompagné de lumières surpuissantes et d’un volume sonore proche de celui d’un avion au décollage, sera toujours un désastre écologique doublée d’une torture visuelle et auditive pour les animaux sauvages des environs.
Autre exemple de la gigantesque mascarade incarnée par le mouvement animaliste devenu aujourd’hui global, en particulier grâce aux capitaux qui ruissellent dans les poches des ONG et des associations antispécistes, le collectif Animal Rebellion, pendant animaliste d’Extinction Rebellion, a bloqué quatre McDonald’s en mai au Royaume-Uni. D’après un article de la BBC, James Ozden, porte-parole d’Animal Rebellion, a déclaré que l’industrie de l’élevage (viande et lait) « détruisait notre planète ». Selon lui, elle provoque « une déforestation massive de la forêt tropicale, émet de grandes quantités de gaz à effet de serre et tue des milliards d’animaux chaque année. »
Quelle est sa solution ?
« Le seul moyen durable et réaliste pour nourrir 10 milliards de personnes est un système alimentaire à base de plantes. Les élevages biologiques en plein air et ‘’durables’’ d’animaux ne sont tout simplement pas suffisants. »
Il a raison sur un point, l’élevage industriel, de même que l’élevage extensif pratiqué à grande échelle, sont des calamités sociales et environnementales. Mais au lieu d’exiger le renversement de McDonald’s et de son monde, au lieu d’exiger des systèmes alimentaires locaux, familiaux, à petite échelle, il somme l’humanité d’adopter un unique régime alimentaire à base de plantes. C’est une aubaine pour les géants de l’industrie agroalimentaire qui prospèrent sur l’uniformisation culturelle et l’effacement de la diversité humaine. De plus, en bon Occidental abruti par des décennies de fièvre consumériste, James Ozden ignore probablement tout – ou se moque éperdument – des centaines de millions de personnes réellement libres et autonomes qui ne sont pas encore condamnées à la stratégie de subsistance Carrefour, Leclerc ou Auchan, et qui dépendent directement des ressources de leur habitat naturel pour survivre. Grain est une « petite organisation internationale » soutenant « la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité ». Elle œuvre principalement aux côtés des paysans du Sud global ciblés par les firmes de l’agroalimentaire et affirme que les « les petits producteurs nourrissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agricoles[86] ». En consultant l’excellent travail d’investigation réalisé par Grain, on constate que le cartel agro-industriel livre une guerre impitoyable à la paysannerie dans les pays du Sud :
« […] l’accès à la terre des populations rurales est attaqué de toutes parts. Du Honduras au Kenya, de la Palestine aux Philippines, les gens sont évincés de leurs fermes et de leurs villages. Ceux qui résistent sont emprisonnés ou tués. Grèves agraires généralisées en Colombie, manifestations des chefs communautaires à Madagascar, marches dans tout le pays par des sans-terres en Inde, occupations en Andalousie, la liste des actions et des luttes est longue. Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est que la possession des terres est de plus en plus concentrée aux mains des riches et des puissants, et non pas que les petits producteurs prospèrent. »
En 2020, le think tank Oakland Institute publiait un rapport au titre éloquent (Driving Dispossession – The global push to “unlock the economic potential of land” ou « Accaparement en cours – le mouvement mondial pour déverrouiller le potentiel économique de la terre ») décrivant en détails ce mouvement des enclosures à échelle mondiale et d’une ampleur inégalée :
« […] les gouvernements, les entreprises et les institutions internationales “redoublent d’effort” pour exploiter plus de terres par le biais d’un discours basé sur des euphémismes. Il s’agit de convertir ces terres à un “usage productif”, le tout au nom du progrès économique et du “développement”. Pour attirer les investissements privés, les gouvernements commercialisent ainsi des centaines de millions d’hectares de terres en les présentant comme étant “disponibles” sans se soucier de ceux dont les moyens de subsistance en dépendent[87]. »
Pour en savoir plus à ce sujet, lire « Au nom du développement, un assaut mondial contre les communs[88]. »
En 2019, on dénombrait dans le monde en tout entre 200 et 500 millions de personnes pratiquant le pastoralisme, et des communautés pastorales existent dans 75 % des pays du monde[89]. Le rapport Pastoralism in Africa’s drylands (« Le pastoralisme dans les zones arides d’Afrique ») publié en 2018 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) déclare la chose suivante :
« S’étendant sur les terres arides de l’Afrique, de l’Ouest sahélien jusqu’aux pâturages de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique ainsi qu’aux populations nomades de l’Afrique australe, le pastoralisme est le principal mode de subsistance pour environ 268 millions de personnes. C’est l’une des options de subsistance les plus viables, et parfois la seule convenable dans les zones arides. Il contribue énormément au bien-être social, environnemental et économique dans les zones arides et au-delà. Le pastoralisme possède une capacité unique à créer de la valeur et convertir des ressources naturelles disponibles en quantités limitées, en viande, lait, revenus et moyens de subsistance[90]. »
D’un côté, un discours idéologique, s’apparentant à du fanatisme religieux, qui condamne l’élevage sous toutes ses formes pour sa consommation d’eau, ses émissions de CO2 ou la déforestation qu’il entraînerait systématiquement. De l’autre, la réalité : le pastoralisme est une stratégie de subsistance séculaire adaptée aux zones arides africaines. Les pasteurs nomades africains qui, comme le révèle le journaliste Fred Pearce dans un excellent article publié dans la revue Yale Environment 360, font paître leur bétail depuis des millénaires dans des pâturages partagés avec la faune sauvage[91]. En effet, avant la colonisation occidentale et l’implantation de l’industrie du safari touristique au Kenya et en Tanzanie, un parasitage qui bénéficie uniquement aux classes dominantes – descendants de colons blancs, agences de voyage, hôtels, compagnies aériennes, touristes occidentaux, sans oublier l’élite noire kenyane –, les bergers Maasaï suivaient les mêmes couloirs de migration que la faune sauvage. Désormais, les Maasaï n’ont plus accès à leurs terres ancestrales en raison de la prolifération des aires dites « protégées », ainsi ils deviennent peu à peu des citoyens de seconde zone sur leurs propres territoires. À la différence des sociétés civilisées organisées autour de centres urbains et administrées par un État, les sociétés pastorales ont largement démontré leur capacité à pouvoir coexister avec les autres espèces vivantes. Souhaiter les voir disparaître au nom de la cause animale, de la neutralité carbone et de l’écologie est d’une stupidité sans limite. L’antispécisme affiche un violent mépris pour la diversité humaine, et c’est probablement pour cette raison qu’il s’accorde si bien avec le progressisme suprémaciste et raciste de la civilisation industrielle. Une dernière chose au sujet du pastoralisme. Dans son livre Zomia ou l’art de ne pas être gouvernée, l’anthropologue James C. Scott s’intéresse aux derniers peuples autonomes – c’est-à-dire non assimilés et acculturés par l’État – des régions montagneuses d’Asie du Sud-Est. Il y décrit le « colonialisme interne » propre à la mécanique de l’État :
« La notion de colonialisme interne, au sens large du terme, décrit parfaitement ce processus [d’affaiblissement et de normalisation des communautés relativement autonomes et indépendantes] : elle renvoie à l’absorption, au déplacement et/ou à l’extermination des habitants d’une région donnée. Le colonialisme interne impliqua une « colonisation botanique » qui permit de transformer le paysage – déforestation, drainage, irrigation, construction de digues – afin d’adapter les cultures, les formes d’implantation et les systèmes d’administration à l’État et aux colonisateurs. Une manière d’évaluer l’effet de cette colonisation consiste à l’envisager comme un affaiblissement massif de tous les éléments de type vernaculaire : langues vernaculaires, peuples minoritaires, techniques agricoles vernaculaires, régimes fonciers vernaculaires, techniques de chasse, de récolte et d’exploitation forestière vernaculaires, religion vernaculaire, et ainsi de suite. La tentative pour normaliser la périphérie est considérée par les représentants de l’État « parrain » comme une manière d’apporter civilisation et progrès – le progrès étant par conséquent envisagé comme la diffusion importune des pratiques linguistiques, agricoles et religieuses du groupe ethnique dominant : les Hans, les Kinh, les Birmans ou les Thaïs. »
L’État exècre la diversité humaine, elle constitue une menace pour sa survie et un frein à son développement. Pour monter en puissance, depuis toujours l’État a dû homogénéiser les sujets habitant sa périphérie car celle-ci abritait des « populations fugitives et mobiles dont les modes de subsistance – cueillette, chasse, agriculture itinérante, pêche et pastoralisme – étaient fondamentalement inappropriables par l’État. » Toujours d’après James C. Scott, pour un « État agraire adapté à une agriculture sédentaire, ces régions ingouvernées et leurs populations étaient stériles sur le plan fiscal. » Ce même processus colonial contribue tout autant à l’expansion du marché mondial dans les zones vierge non encore infectée par la pandémie marchande.
Afin d’étendre constamment leur emprise sur leurs ressources humaines, les classes dominantes disposent de puissants alliés – les célébrités. Les grandes firmes utilisent constamment le capital sympathie et la notoriété des influenceurs, des vedettes du cinéma, de la télévision, des mannequins et des athlètes dans leur guerre idéologique contre la population. Pour vendre des produits, des programmes politiques ou un certain type d’écologie bien particulier – le capitalisme vert. Le nombre de célébrités communiquant – ou interviewées – sur leur régime végétalien ou végétarien atteste de la puissance financière à l’œuvre en arrière-plan. L’un des premiers à avoir compris l’immense pouvoir de persuasion des célébrités sur les masses fut le consultant en relations publiques états-uniens Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud. D’après Wikipédia, « il est considéré comme le père de la propagande politique et d’entreprise, ainsi que de l’industrie des relations publiques, qui ont fortement contribué à développer le consumérisme américain. »
Depuis quelques années, on voit fleurir dans les médias des déclarations de célébrités en faveur de la cause animale et d’un changement des habitudes alimentaires :
« Si je devais choisir entre la musique et la cause animale, j’opterais pour la deuxième. […] Il y a tant de raisons de devenir végan, la santé humaine en fait partie[92]. »
« J’essaye de devenir végane maintenant quand je suis à la maison. Je peux être plus ou moins entièrement végane. »
– Jane Goodall, végétarienne depuis des décennies, dans LIVEKINDLY (média végan).
« Vous pouvez décider de devenir végan pour des raisons de santé, pour des raisons environnementales, ou vous pouvez décider comme ma fille et moi que vous ne voulez plus manger de viande[94]. »
– Forest Whitaker, cité dans un tweet de PETA, 2019.
« Au cas où vous l’auriez manqué, Beyoncé et Jay‑Z ont offert des billets de concert gratuits à vie (enfin, pendant au moins 30 ans) aux fans qui s’engagent à devenir végétaliens (ou, du moins, à adopter un régime plus végétal)[95]. »
– Magazine Women’s Health, 2020.
« Natalie Portman se sent tellement investie par son véganisme qu’elle a produit et narré un documentaire sorti en 2018 intitulé Eating Animals[96]. »
« Les Golden Globes 2020 seront 100 % végans (et DiCaprio est ravi)[98] »
– Huffington Post, 2020.
Il existe même des listes de célébrités véganes ou végétariennes mises en avant par la presse people : Lewis Hamilton, Venus et Serena Williams, Novak Djokovic, James Cameron, Mike Tyson, Ellen Page, Sandra Oh, Jared Leto, Reese Witherspoon, Chris Martin, Jessica Chastain, Pamela Anderson, Toby Maguire, Lambert Wilson, Mylène Farmer, etc[99].
La liste est sans fin.
Ajoutons au sujet de James Cameron qu’il a coproduit le court métrage documentaire Akashinga : la guerre de l’ivoire racontant le quotidien d’une unité anti-braconnage exclusivement féminine dans la brousse du Zimbabwe[100]. Damien Mander, australien blanc, vétéran de la guerre en Irak et végan, impose un régime végétalien à ses recrues, ou comment contaminer sournoisement le continent africain avec l’idéologie antispéciste[101] ; hymne grandiose à l’impérialisme occidental en Afrique, ce film a été diffusé en partenariat avec National Geographic. Dans sa conférence TEDx au storytelling bien léché, usant d’un ton larmoyant à faire pleurer dans les chaumières occidentales, Mander évoque longuement sa Révélation animaliste[102]. En revanche, rien sur la souffrance des 40 millions d’esclaves humains et des 152 millions d’enfants travaillant dans le monde, dont beaucoup en Afrique[103]. Rien non plus sur l’insécurité alimentaire chronique du Zimbabwe ni sur la corruption atteignant des niveaux stratosphériques dans ce pays[104]. En éclipsant peu à peu les dysfonctionnements majeurs de la société humaine et la souffrance bien réelle qui en résulte pour les humains, l’antispécisme s’avère très commode pour les classes dominantes.
Pour une analyse approfondie de l’influence nuisible de cette « culture de la célébrité », lire le texte « Les célébrités, leurs fondations et ONG, sont le masque souriant de la machine corporatiste[105] ». Dans ce contexte, il est navrant de voir tant de gens à gauche, même parmi les forces anticapitalistes, souscrire à cet idéal absurde et totalitaire d’une société antispéciste et végane.
« Je suis toujours gêné quand on parle de l’animal avec un A majuscule, parce qu’il y a tellement d’espèces d’animaux et que les défenseurs de la cause animale n’englobent implicitement sous ce terme que les animaux de compagnie et d’élevage les plus communs ou certains animaux emblématiques, du chimpanzé à la baleine en passant par le panda. On n’entend jamais parler d’une identification au ténia ou au hareng ! Il est vrai qu’avec les animaux de compagnie ou d’élevage, une coévolution de milliers d’années a permis la construction avec les humains d’un environnement partagé qui favorise l’empathie par la familiarité. Quant aux animaux emblématiques, ils ont des qualités particulières qui favorisent l’identification, notamment l’usage de systèmes de communication complexes, l’inventivité technique ou des comportements sociaux qui ressemblent à ceux des humains. Au fond, la gamme des animaux auxquels un urbain moderne s’identifie est relativement restreinte. Ce doit être une vingtaine ou une trentaine d’espèces peut-être, au grand maximum. L’idée finit par s’imposer que l’on peut communiquer avec ces espèces par-delà la barrière du langage articulé ; mais cela reste à démontrer car on ne sait au fond jamais véritablement s’il n’y a pas malentendu. C’est le cas de presque toute situation intersubjective de toute façon, mais augmenté du fait qu’aucune vérification n’est ici possible. C’est cette situation particulière qui a donné naissance à l’idée que certaines espèces étaient proches des humains, dans tous les sens du terme – parce qu’ils vivaient dans leur milieu, dans leur dépendance, et qu’ils avaient certaines dispositions analogues – et qu’il était donc légitime qu’on leur donne des droits. Je pense que nous sommes dans une situation où il faudrait prendre en compte le plus grand nombre possible de non-humains qui jouent un rôle dans notre vie sociale, du climat aux virus. Je pense que donner des droits à quelques-uns parce qu’ils nous ressemblent ne fait que reconduire la conception moderne, fondée sur la distinction entre nature et culture, en étendant un petit peu à des représentants choisis de la nature les privilèges dont jouissent les êtres de culture. Or, reconduire la situation moderne, fondée sur l’idée d’un sujet humain détenteur de droits, l’individualisme possessif tel que l’a défini Crawford Brough Macpherson par exemple, et étendre cela à certains types de non-humains, me semble intellectuellement paresseux et pas du tout à la hauteur des circonstances[106]. »
– Philippe Descola, anthropologue.
Au fond, l’antispécisme, c’est un truc d’urbain progressiste, individualiste et narcissique au possible, le pur produit d’une existence hors-sol complètement déconnectée de la nature sauvage. Plutôt que d’élever l’humanité vers l’animalité, l’antispécisme détruit l’animalité. Autrefois cette culture arrogante se lançait dans une mission civilisatrice des sauvages humains au nom de leur bien-être, bientôt elle civilisera les animaux sauvages au nom du bien-être animal. Il s’en suivra une domestication totale du monde sauvage, ou du moins ce qu’il en restera. Ce chemin, cette civilisation l’a déjà bien emprunté.
Domestiquer la nature sauvage au nom du bien-être animal
« Les sanctuaires pour animaux ne sont guère plus qu’une distraction. »
– Pride Lion Conservation Alliance, Mongabay, 2021.
La domestication de la vie sauvage s’accélère. C’est le constat malheureux fait en Afrique par une équipe de six femmes – Amy Dickman, Colleen Begg, Shivani Bhalla, Alayne Cotterill, Stephanie Dolrenry, and Leela Hazzah –, toutes conservationnistes de terrain, qui ont rassemblé leurs forces au sein de la Pride Lion Conservation Alliance. Selon elles, « les sanctuaires pour animaux ne sont guère plus qu’une distraction » menaçant le maintien des équilibres écosystémiques et la diversité biologique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des aires protégées. La pression croissante exercée par la société du spectacle (télévision, réseaux sociaux, célébrités, ONG), capitalisant sur des images émouvantes pour abêtir l’audience, neutraliser toute réflexion critique et surtout faire ouvrir le porte-monnaie, conduit à « aseptiser la nature », à veiller au bien-être individuel des animaux au détriment de la conservation des processus écologiques globaux :
« Si des animaux sauvages sont blessés ou souffrent de causes naturelles – même dans des zones supposées sauvages comme les parcs nationaux – on a de plus en plus tendance à se précipiter pour les soigner, sans doute pour éviter de contrarier les touristes ou de risquer une condamnation sur les médias sociaux.
Des animaux jeunes ou blessés peuvent être « sauvés » par des personnes, des actes de bonté pouvant les condamner à une vie (souvent misérable) en captivité. Cela n’a pas seulement un impact sur ces animaux, mais aussi sur l’écosystème et la sélection naturelle.
Il est alarmant de constater que les centres de « sauvetage » sont de plus en plus perçus par le public comme jouant un rôle important dans la conservation : cette idée est amplifiée par les médias, où de belles images montrant des humains aux petits soins avec des animaux sauvages suggèrent que cela contribue à la sauvegarde des espèces. Cependant, ces lieux nécessitent des fonds importants de la part des donateurs et peuvent amplifier les conflits, car les populations locales voient le bien-être des animaux sauvages passer avant leurs besoins.
Il existe également un risque de voir les « orphelinats » et autres établissements de ce type devenir des entreprises viables. Des animaux sauvages pourraient alors être accueillis sans raison valable, ce qui porterait atteinte à la vie sauvage. Et si les « sanctuaires » peuvent jouer un rôle dans le bien-être des animaux, il est rare (et souvent peu judicieux) que des espèces comme les lions soient relâchées dans la nature après avoir été en captivité, particulièrement en raison du risque de conflit homme-animal avec des animaux habitués à un contact rapproché avec les humains. En fin de compte, ces lieux ne sont guère plus qu’une distraction : si nous voulons sauver les espèces sauvages de grands félins, nous devons nous concentrer sur la conservation des animaux sauvages et des lieux sauvages avec les personnes qui partagent leurs paysages[107]. »
Les interventions intempestives en faveur du bien-être animal se multiplient partout dans le monde en raison de la tyrannie des médias sociaux. En 2019, le centre africain de journalisme d’investigation environnementale Oxpeckers racontait comment le gouvernement namibien, sous la pression médiatique, avait procédé à l’abattage et au déplacement de plusieurs hyènes s’attaquant à des chevaux semi-sauvages introduits par l’humain il y a un siècle[108]. Dans une tribune parue en 2020 dans la revue scientifique The Conversation, plusieurs chercheurs dénonçaient la « conservation compassionnelle » qu’ils définissent de cette manière :
« Ce mouvement vise à accroître les niveaux de compassion et d’empathie dans le processus de gestion, en trouvant des solutions de conservation qui minimisent le mal fait aux animaux sauvages [pris individuellement]. Parmi leurs idées, les défenseurs de la conservation compassionnelle affirment qu’aucun animal ne devrait être tué au nom de la conservation[109]. »
Bien entendu, la compassion n’est pas mauvaise en soi, mais force est de constater que certaines personnes opportunistes instrumentalisent l’empathie du public pour en tirer divers avantages – notoriété, dons, publicité, etc. Les inquiétudes de la Pride Lion Conservation Alliance sont parfaitement fondées, il suffit de lire les propos du célèbre conservationniste Richard Leakey dans un entretien paru début 2020 dans le magazine American Scientist :
« Les humains ont pratiqué l’élevage de volailles, de moutons, de chèvres et de bovins depuis des temps anciens, et il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas considérer la faune sauvage comme quelque chose qui doit être géré de manière intensive. Nous devons contrôler la diversité génétique et la santé des animaux. Nous devons gérer la possible interruption de la relation prédateur-proie. Il y a beaucoup de choses que nous devons faire. Et nous sommes forcés de le faire.
Éthiquement cela ébranle l’histoire de la conservation, mais je crains que si nous voulons garder certains de ces parcs, il va falloir s’occuper des animaux convenablement, et cela veut dire investir de l’argent dans la gestion et réduire les problèmes qu’ils causent. La présence de la faune sauvage en dehors des parcs va devenir très discutable. »
Se dessine alors une synergie potentielle entre l’élite traditionnelle de la conservation et le mouvement animaliste faisant passer le bien-être individuel avant celui de la communauté animale. On reconnaît là les processus à l’œuvre au sein du capitalisme libéral agissant comme une sorte de machine à extraire les individus de leur milieu naturel pour les priver de leur autonomie et les isoler les uns des autres en cloisonnant. Ces cloisons sont à la fois physiques (murs, clôtures) et immatérielles (individualisme, narcissisme). Détruire le tissu social et l’autonomie d’une communauté est une condition nécessaire au maintien de la croissance économique, car l’économie croit en phagocytant de nouvelles ressources vivantes. Elle se comporte tel un parasite, vampirisant la vie de ses hôtes, suçant leur fluide vital jusqu’à la dernière goutte. Vidés de leur essence primordiale, privés de leur animalité, les individus ainsi domestiqués et recrachés à la chaîne par le système marchand sont inaptes à faire société. Le résultat mène irrémédiablement à la destruction de la communauté vivante, qu’elle soit humaine ou non-humaine.
Revenons un instant sur Richard Leakey, car son profil est intéressant à plus d’un titre. Né au Kenya, descendant d’un colon missionnaire, Richard Leakey a construit sa renommée internationale grâce à ses découvertes archéologiques et en tant que grand défenseur de la faune africaine. Il fut président du Kenya Wildlife Service, l’organisme en charge de la gestion des parcs nationaux kenyans. En 1989, il a fait la une des médias de masse dans le monde entier pour avoir pris la décision de brûler les stocks d’ivoire de l’Etat kenyan. Ce fut aussi l’un des principaux avocats de l’interdiction du commerce international d’ivoire, un bannissement qui n’a en rien endigué l’hécatombe chez les pachydermes africains massacrés à un rythme de 10 000 à 15 000 individus par an d’après le journal The Guardian[110]. Selon les sources, ce chiffre peut monter annuellement à plus de 30 000 éléphants (l’African Wildlife Foundation parle de 35 000[111]), preuve qu’en vérité, personne ne connaît le nombre exact.
Richard Leakey enseigne aujourd’hui l’anthropologie à la Stony Brooke University de New York. En 2004, il a fondé l’ONG Wildlife Direct[112] pour « éduquer » la jeunesse kényane qui méprise aujourd’hui la faune grâce au fabuleux travail des organisations philanthropiques et des grandes ONG occidentales œuvrant à la conservation de la nature depuis plus d’un siècle, un travail comprenant l’expulsion systématique des populations locales de leurs terres ancestrales, l’interdiction de pratiquer la chasse traditionnelle, le pastoralisme, la cueillette, et la privatisation d’immenses espaces réservés à l’industrie touristique occidentale. Mordecai Ogada, conservationniste kenyan et consultant pour Survival International, s’attaque régulièrement à cette ONG, en particulier à sa patronne Paula Kahumbu pour sa stigmatisation des populations rurales qui refusent le modèle conservationniste dominant imposé à l’époque coloniale par les blancs. Voilà à quoi servent la construction d’écoles et, de manière générale, l’éducation en Afrique – à domestiquer les populations pour leur faire accepter docilement spoliations et persécutions durables héritées de la colonisation. Les élites noires du pays n’ont en effet nullement l’intention d’abandonner la manne touristique qui s’élève à plus d’1,5 milliard de dollars chaque année, soit « l’une des principales sources de devises extérieures » du pays selon Reuters[113]. Pour terminer sur ce bon vieux Richard Leakey, sachez qu’il compte parmi les « Parrains de la Nature » de la mafia nommée Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) dont nous avons déjà parlé plus haut. Il trône aux côtés de la vermine aristocratique (Prince Albert II de Monaco, Sa majesté la reine Noor Al Hussein, le prince Carl Philip de Suède) et d’ultrariches tels Andrew Forrest, fondateur et président du géant minier Forescue Metals Group dont les activités consistent entre autres à détruire la vie des aborigènes australiens, ou encore Frank Mars, héritier de la richissime famille propriétaire du groupe éponyme, géant mondial de l’industrie agroalimentaire[114].
Peut-on encore vraiment parler d’animaux « sauvages » dans le cas des parcs décrits par Richard Leakey ? Pas vraiment. Des animaux privés de liberté de mouvement et dépendants des humains pour assurer leur survie, cela ressemble fortement à des animaux domestiques, voire à des animaux de ferme exploités pour en extraire une valeur ajoutée. Cette domestication du monde sauvage, c’est ce que prône par exemple le mouvement RWAS pour Reducing Wild Animal Suffering (« Réduction de la souffrance des animaux sauvages »). C’est également une idée défendue par l’antispéciste notoire Thomas Lepeltier dans une conférence intitulée « Faut-il sauver la gazelle du lion[115] ? ». Croyez-le ou non, cet hurluberlu veut faire manger des steaks végans aux lions de la savane africaine. Les industriels se frottent déjà les mains.
Thomas Lepeltier défend une interprétation radicale de l’antispécisme et, bien qu’il ne fasse pas l’unanimité au sein de la sphère animaliste, ses idées s’accordent à merveille avec le technocapitalisme de la Silicon Valley. Il prétend par exemple que « pour un antispéciste, se dire écologiste reviendrait un peu à se tirer une balle dans le pied[116] », car une espèce, une forêt, une rivière, une montagne, ou même la planète, ne sont pas des êtres doués de sensibilité. Leur destruction ne pose par conséquent aucun problème selon lui. Il défend également dans un article intitulé « Se soucier des animaux sauvages » un interventionnisme forcené dans les habitats naturels pour stopper la souffrance chez les animaux sentients[117]. Toujours dans la revue antispéciste L’Amorce, il a publié en 2018 un article titrant « Pour en finir avec la vie ! » où il détaille pourquoi « défendre les animaux au nom du respect de la vie, du vivant et de la planète est problématique[118]. » On ne remerciera peut-être jamais assez Thomas Lepeltier de révéler le vrai visage de l’antispécisme, une idéologie dérivée du néolibéralisme qui s’apparente furieusement à une négation du vivant. Le système technologique ayant pour ennemi principal la vie sur Terre, on devine aisément la suite.
Pour finir là-dessus, examinons ce qu’un Lepeltier publie sur Facebook :
« Patrick Brown, le pdg de “Impossible Foods”, a un objectif : mettre fin aux industries de la viande et du poisson d’ici 2035, en remplaçant leurs produits par de la viande et du poisson à base de plantes génétiquement modifiées. Finis donc l’élevage et la pêche. Voilà le genre de beaux projets que l’on peut développer en misant sur des innovations technologiques, du capitalisme financier et des marchés en croissance. À côté de cela, il y a les Aurélien Barrau, Pablo Servigne et autres collapsologues qui invitent la population à rejoindre les Zad, à jouer de la guitare autour d’un feu de camp et à réciter de la poésie pour être en communion avec la nature. Je ne sais pas pourquoi, mais le projet de Patrick Brown me paraît plus prometteur pour “protéger la planète”. [119] »
D’après un article de Reuters publié au mois d’avril 2021, Impossible Foods se prépare à entrer en bourse. Sa valorisation anticipée par les analystes ? 10 milliards de dollars[120]. Parmi les investisseurs déjà aux manettes, on trouve le fonds Khosla Ventures spécialisé dans les biotechnologies, l’Internet et la robotique, le fonds Horizons Ventures se concentrant sur startups de rupture axées sur la technologie, ainsi que Serena Williams et Jay‑Z, la star du tennis et le rappeur déjà évoqués plus haut pour leur propagande en faveur des alternatives végétales. Mais là n’est peut-être pas le plus fou dans cette histoire. Les antispécistes, ces progressistes portant fièrement l’étendard de la libération animale, travaillent en réalité à l’asservissement total du monde animal par le système technologique, pour une exploitation durable. Un comble.
Cause animale, le catalyseur de la transition agro-industrielle
Cette propagande bien huilée en faveur de la cause animale ne suffira pas à elle seule pour modifier des habitudes culturelles bien ancrées comme la consommation de viande, d’œufs et de poisson. Les entrepreneurs végans ont longuement étudié la chose, à l’image d’Ethan Brown, fondateur de Beyond Meat, une firme industrielle végane cotée au NASDAQ dont la capitalisation boursière s’élève à 9 milliards de dollars :
« Nous avons commencé par reconnaître que la viande fait partie de notre culture, et puis nous nous sommes demandés : est-ce que la viande a vraiment besoin de provenir des animaux ? La réponse à cette question est non, vous pouvez l’obtenir à partir des plantes et cela vous donne une opportunité fantastique pour innover. C’est vraiment excitant. Prenez par exemple votre Iphone qui tient dans la poche, c’est toujours un téléphone. Sauf qu’il est très différent du téléphone fixe, il est fabriqué et utilisé différemment, mais cela reste un téléphone. Et il a remplacé le téléphone fixe. Pouvons-nous avoir ce type d’impact avec la viande végétale ? […] Si les gens ont grandi en se régalant de saucisses, nous voulons être certains de les aborder avec amour et respect, en leur proposant un produit au goût délicieux. Il y a littéralement plus de 1 000 molécules donnant à la viande sa saveur caractéristique, alors le jeu consiste à trouver des molécules similaires ou les mêmes molécules chez les plantes, puis de les combiner d’une certaine manière pour copier le goût de la viande. Chaque année, nous nous rapprochons de l’objectif[121]. »
On en salive déjà.
Dans un article titrant « Pourquoi le prix et non la gentillesse vont mettre fin à l’élevage » paru sur le site Plant Based News, Alex Lockwood éclaire notre lanterne. La production des substituts végétaux à très grande échelle, ainsi que les développements biotechnologiques réguliers, vont permettre aux industriels de proposer une viande végétale au-dessous du prix de la viande animale. La tyrannie du marché s’apprête à porter le coup de grâce à l’élevage sous toutes ses formes, industriel et paysan. Ceux qui souffriront le plus des conséquences de cette guerre alimentaire seront comme toujours les petits producteurs locaux. Il subsistera probablement une production de viande artisanale, mais les prix risquent très certainement d’exploser, si bien que seuls les riches y auront accès. Ce sujet a déjà été abordé en détails dans l’article « L’avenir sera végan, que ça vous plaise ou non[122] ». Nous ne reviendrons donc pas ici en détails sur la « seconde domestication » des plantes et des animaux rendue possible par le développement des biotechnologies.
Le site Plant Based News indique par ailleurs que les lobbys de l’agroalimentaire européen – notamment l’industrie laitière – résistent à l’invasion des rayons des supermarchés par les substituts végétaux :
« C’est également la raison pour laquelle le lobby laitier européen tente d’empêcher la vente de produits d’origine végétale dans des emballages “laitiers”. Si les fournisseurs de produits d’origine végétale doivent utiliser des emballages différents, cela pourrait rendre les alternatives végétales plus difficiles à produire et, surtout, plus chères à acheter[123]. »
Et devinez sur qui se sont appuyés les industriels végans pour contre-attaquer ? Sur leur communauté de fanatiques ! La marque Oatly a ainsi fait tourner une pétition, relayée en suivant par d’autres marques véganes. En janvier, la pétition avait recueilli 16 000 signatures. Le 8 juin, ce chiffre s’élevait à plus de 450 000[124]. Comme le rappelle à juste titre Derrick Jensen, cofondateur de Deep Green Resistance, dans le documentaire Bright Green Lies, le monde des affaires a réalisé un véritable tour de force marketing en capturant les aspirations des gens, chose grandement facilitée par le parasitage technologique de la vie humaine – écrans, Internet et réseaux sociaux :
« Des centaines de milliers de personnes défilent dans les rues de Washington, New York ou Paris. Et si vous leur demandez : pourquoi manifestez-vous ? Elles vous diront : nous voulons sauver la planète. Si vous leur demandez leurs revendications, elles vous diront : nous voulons des subventions pour les industries éolienne et solaire. C’est extraordinaire. Je ne connais aucun autre exemple historique de mouvement de masse aussi intégralement détourné et changé en lobby pro-industrie. »
À cause du matraquage crétinisant des ONG, des influenceurs et des médias, le même sketch pathétique se déroule à nouveau sous nos yeux entre d’un côté des industries montrées du doigt (charbon, pétrole, gaz), et de l’autre, les industries éolienne et solaire érigées en bienfaitrices du monde et de l’humanité. Dans l’arène alimentaire, l’élevage a pris la place des carburants fossiles en tant que bouc émissaire. Mais cette opposition est factice, elle n’existe que dans l’imaginaire des consommateurs, les dominants l’ont construite de toutes pièces. Tout le secteur agro-industriel – dont les géants de la viande industrielle – investissent massivement dans les biotechnologies afin de produire à terme des substituts végétaux à la viande et de la viande artificielle. La même chose se produit chez les majors du pétrole. Total investit par exemple massivement dans la capture du carbone pour « décarboner l’industrie » et stocker 2,4 milliards de tonnes de CO2 d’ici 2040[125]. Et d’après le magazine Capital, « Total continue d’accélérer dans l’énergie photovoltaïque ! Le géant du pétrole et des énergies renouvelables a acheté au groupe indien Adani 20% dans Adani Green Energy Limited (AGEL), premier développeur solaire au monde[126]. » Même scénario pour l’industrie agroalimentaire. L’Empire Unilever a par exemple investi 85 millions d’euros pour construire un centre de recherche sur les alternatives à base de plantes dans la « Silicon Valley of Food », à Wageningen aux Pays-Bas[127]. Des mastodontes états-uniens de la viande industrielle comme Tyson Foods et Cargill ont investi dans Memphis Meat, une startup fabriquant de la viande à partir de cellules cultivées en machine. Tyson a également investi dans Beyond Meat (déjà évoquée plus haut) et Future Meat Technologies Ltd. Même chose pour Perdue Farms qui cherche à diversifier ses activités. L’ensemble du secteur agro-industriel a déjà bien entamé sa mutation[128]. Klaus Schwab, patron du Forum Économique Mondial, parle de « quatrième révolution industrielle[129] ».
Dans sa conclusion, un article du média Vox enfonce le clou sur la collaboration fructueuse entre géants de la viande industrielle et startups véganes :
« Dans l’ensemble, […] les entreprises spécialisées dans les produits alternatifs à la viande ont bien accueilli leurs nouveaux alliés improbables. Il s’agit d’un signe supplémentaire signifiant que le mouvement animaliste est en train de comprendre comment se démocratiser : en construisant une coalition autour de tous les problèmes de l’élevage industriel et en s’engageant de manière flexible dans tous les partenariats qui ont un sens pour un avenir sans viande[130]. »
Au risque de décevoir les lecteurs qui espéraient naïvement voir les industriels végans suivre une quelconque éthique, rappelons la chose suivante : le monde des affaires est amoral. L’éthique sert seulement d’appât dans une stratégie marketing bien ficelée pour faire cracher le pognon au chaland. Si collaborer avec les crapules de la pire espèce – tueurs de masse, violeurs, dictateurs, esclavagistes – peut aider une firme à accroître son pouvoir, elle le fera sans aucune hésitation. Les exemples ne manquent pas.
Selon le sociologue états-unien Charles Derber, la société industrielle, ses règles et ses valeurs, sont sociopathiques :
« Une société sociopathe est une société qui développe des règles de comportement anti-sociétal. L’ensemble de notre structure est conçue pour nous concentrer sur la biologie et les personnalités, et non sur les institutions. Nous voyons des individus, nous ne voyons pas de systèmes.
[…]
Dans mon livre, Sociopathic Society, je soutiens que la diffusion intense et effrayante du comportement sociopathique provient des grandes entreprises, qui sont fondamentalement des sociopathes dans leur ADN, leurs statuts, sur le marché au sens plus large et dans l’économie politique dans laquelle elles opèrent.
[…]
Le comportement sociopathique ne provient pas d’une chimie cérébrale qui aurait mal tourné, mais du triomphe d’un système sociopathique d’institutions et d’élites qui ont réécrit les normes sociales, réécrit la loi, reconfiguré l’arène du pouvoir institutionnel de manière si extrême qu’elles ont créé une société dans laquelle les normes de comportement dominantes exigent une conduite de sociopathe pour survivre[131]. »
Retour aux alternatives végétales à la viande pensées et fabriquées par d’authentiques sociopathes. Ces dernières sont actuellement 200 % plus onéreuses par rapport à la viande, et cela constitue un frein important au développement de l’industrie végane. Bill Gates, qui a lui aussi investi dans Beyond Meat, a encouragé récemment les gens à se tourner vers des produits à base de plantes :
« Réduire vos propres émissions de carbone n’est pas la chose avec le plus d’impact vous puissiez faire. Vous pouvez également envoyer un signal au marché indiquant que les gens veulent des alternatives sans carbone et sont prêts à payer pour cela.
[…]
Lorsque vous payez plus cher pour une voiture électrique, une pompe à chaleur ou un hamburger à base de plantes, c’est comme de dire “il y a un marché pour ces produits. Nous allons les acheter.” »
Plus loin, le milliardaire poursuit :
« Si un nombre suffisant de personnes envoie le même signal, les entreprises réagiront – assez rapidement, d’après mon expérience. Elles consacreront plus d’argent et de temps à la fabrication de produits à faibles émissions, ce qui fera baisser les prix de ces produits, ce qui les aidera à être adoptés en grand nombre. »
Et les investisseurs – dont Bill Gates – seront tout naturellement heureux d’accumuler davantage d’argent et de pouvoir grâce à votre implication pour la supercherie du siècle qu’est la neutralité carbone :
« Les investisseurs seront plus confiants dans le financement des nouvelles entreprises qui réalisent les percées qui nous aideront à atteindre la neutralité carbone[132]. »
Neutralité carbone ou comment achever la biosphère
En consommant végan ou « neutre en carbone », la seule chose dont vous pouvez être certain, c’est d’engraisser Bill Gates et ses copains ultrariches – Jeff Bezos, Xavier Niel, Richard Branson, Peter Thiel, Elon Musk, Reid Hoffman et bien d’autres – qui ont tous investi dans des startups véganes[133]. Pour ce qui est de sauver la planète, rien n’est moins sûr. Servant admirablement l’accélération du développement technocapitaliste, la neutralité carbone a déclenché une course à l’extraction de métaux sans précédent dans l’histoire. Selon la Banque Mondiale, pour répondre à la demande internationale, il faudra extraire 550 millions de tonnes de cuivre dans les 25 prochaines années, soit une quantité équivalente à la production des 5 000 ans passés[134]. Et il ne s’agit que du cuivre. La production de lithium devra croître de 965 % d’ici 2050 pour satisfaire la demande ; celle de cobalt de 585 % ; celle de graphite de 383 % ; celle d’indium de 241 % ; quant à la production de nickel, cette croissance est estimée à 108 %, principalement en raison du stockage de l’énergie (74 % de la demande en 2050), mais le nickel est aussi indispensable à la production de nombreux alliages, à commencer par certains aciers.
Pour remplir leurs objectifs et sécuriser l’approvisionnement des métaux indispensables à la croissance du système technologique, les fêlés au pouvoir sont déterminés à miner les fonds marins de l’Océan Pacifique (deep-sea mining). Selon l’UICN, ce carnage est justifié, puisqu’il s’agit de développer des technologies dites « vertes » :
« Les gisements minéraux des grands fonds suscitent un intérêt croissant. Cela est dû en grande partie à l’épuisement des gisements terrestres de métaux tels que le cuivre, le nickel, l’aluminium, le manganèse, le zinc, le lithium et le cobalt, ainsi qu’à la demande croissante de ces métaux pour produire des applications de haute technologie telles que les smartphones et les technologies vertes comme les éoliennes, les panneaux solaires et les batteries de stockage électrique. »
Les connaissances scientifiques sur les plaines abyssales situées entre 3 500 et 6 000 mètres de profondeur sont anecdotiques, ce qui rend difficile d’évaluer l’impact potentiel de ces extractions :
« Comme les grands fonds marins restent peu étudiés et mal connus, notre compréhension de leur biodiversité et de leurs écosystèmes présente de nombreuses lacunes. Il est donc difficile d’évaluer de manière approfondie les impacts potentiels de l’exploitation minière en eaux profondes et de mettre en place des mesures de sauvegarde adéquates pour protéger le milieu marin. »
Les engins raclant le plancher pourraient détruire des habitats, éradiquer des espèces dont ne connaît pas l’existence, ou encore conduire à une fragmentation ou à une perte de structure et de fonctionnalité de l’écosystème. Certaines techniques d’extraction vont créer d’immenses panaches de particules en suspension qui pourraient se disperser bien au-delà de la zone d’extraction. Personne ne sait combien de temps ils mettront à se redéposer, ni s’ils pourraient étouffer les espèces vivantes qui dépendent d’une eau claire et propre pour se nourrir (krill, requins-baleines). Et l’UICN d’ajouter :
« Les espèces telles que les baleines, les thons et les requins pourraient être affectées par le bruit, les vibrations et la pollution lumineuse causés par les équipements miniers et les navires de surface, ainsi que par les fuites et déversements potentiels de carburant et de produits toxiques. »
Mais les conséquences du deep-sea mining ne vont pas se limiter au niveau local. Interviewé dans le documentaire La ruée vers les fonds marins du Pacifique, Matthias Haeckel, chercheur au centre GEOMAR Helmholtz pour la recherche océanique, déclare :
« Le plancher océanique, surtout celui des abysses qui représente une immense surface, est le moteur principal du cycle mondial du carbone. C’est lui qui équilibre notre climat à une échelle temporelle d’environ 100 000 ans. À cela s’ajoute un 2ème cycle que l’exploitation des nodules [polymétalliques] risque également de perturber, qui est celui de l’oxygène. Les sédiments marins régulent le taux d’oxygène, et là, il s’agit d’un cycle sur plus de deux millions d’années. »
Rien de suffisamment alarmant là-dedans pour tout stopper selon l’UICN :
« Des évaluations des incidences sur l’environnement, une réglementation efficace et des stratégies d’atténuation sont nécessaires pour limiter les effets de l’exploitation minière profondes[135]. »
L’Union internationale pour la conservation de la pègre précise en outre qu’il faut encourager un meilleur design des produits, recycler, réparer et réutiliser les appareils. L’économie circulaire, c’est important pour laver durablement le cerveau des consommateurs. Les responsables de l’UICN sont pleinement conscients des désastres à venir, mais il faut quand même y aller. Le progrès de la civilisation, ça ne se discute pas ! D’après Reuters, l’exploitation minière du plateau continental norvégien est imminente[136]. Selon le site Mining Technology, l’entreprise Debmarine Namibia, possédée à parts égales par le gouvernement et le conglomérat diamantaire sud-africain De Beers, extrait déjà des diamants au large des côtes namibiennes depuis 2002[137]. Charles Derber avait vu juste, les institutions et leurs dirigeants sont des psychopathes. Ajoutons que l’attention concentrée sur la transition carbone et la production énergétique éclipse aussi les besoins annuels en sable et gravier de la civilisation industrielle. D’après l’ONU, la demande se situerait entre 40 et 50 milliards de tonnes par an, un chiffre en augmentation annuelle de 5,5 % en raison de l’urbanisation galopante et du développement des infrastructures[138].
Le rapport Perspectives des ressources mondiales de l’ONU publié en 2019 ajoute au sujet des minéraux non métalliques (sable, gravier et argile) :
« Entre 1970 et 2017, l’utilisation s’est accrue, passant de 9 à 44 milliards de tonnes, et représente un déplacement important de l’extraction mondiale de la biomasse vers les minéraux. »
Sur l’eau :
« Les prélèvements d’eau au niveau mondial pour l’agriculture, l’industrie et les communes ont augmenté à un rythme plus rapide que celui de la population humaine dans la seconde moitié du XXe siècle. Entre 1970 et 2010, le taux de croissance des prélèvements a ralenti, mais augmente toujours de 2 500 à 3 900 km³ par an. Entre 2000 et 2012, 70 pour cent des prélèvements d’eau au niveau mondial ont servi à l’agriculture, principalement à l’irrigation, tandis que les industries ont prélevé 19 pour cent et les communes 11 pour cent. »
Près de 90 % de l’eau pillée dans le monde l’est donc pour l’agriculture industrielle et les industries.
Sur les métaux :
« Une croissance annuelle de 2,7 pour cent de l’utilisation des minerais métalliques depuis 1970 reflète l’importance des métaux dans la construction, les infrastructures, la fabrication et les biens de consommation. »
Sur les combustibles fossiles :
« L’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz naturel est passée de 6 milliards de tonnes en 1970 à 15 milliards de tonnes en 2017, mais la part de l’extraction totale au niveau mondial a diminué de 23 à 16 pour cent. »
Les États-Unis, la Norvège, la Finlande, la Chine, la Russie, tous les États industrialisés n’attendent qu’une chose : la fonte de l’Arctique pour aller y chercher les gigantesques ressources pétrolières et gazières estimées respectivement à 13 % (90 milliards de barils) et 25 % des réserves mondiales[139].
Sur la biomasse :
« La demande totale de biomasse a augmenté, passant de 9 milliards de tonnes en 1970 à 24 milliards de tonnes en 2017, surtout dans les catégories récolte et pâturage. »
Au total, l’extraction de matériaux a été multipliée par trois en quelques décennies seulement :
« Entre 1970 et 2017, l’extraction annuelle de matières au niveau mondial a triplé, passant de 27 à 92 milliards de tonnes, et continue d’augmenter. Depuis l’an 2000, la croissance des taux d’extraction s’est accélérée, atteignant 3,2 pour cent par an, imputable en grande partie à d’importants investissements dans les infrastructures et à l’amélioration du niveau de vie matériel dans les pays en développement et en transition, notamment en Asie[140]. »
Ils font bien de préciser niveau de vie « matériel », car la corrélation positive établie par les technocrates entre niveau de bien-être et accumulation matérielle est un mensonge ; elle ne se matérialise pas dans la vie réelle. Si les gens étaient heureux dans l’Occident civilisé, l’industrie du développement personnel ne pèserait pas 38 milliards de dollars aux États-Unis[141], et la consommation d’antidépresseurs n’exploserait pas dans tous les pays progressistes[142]. La plupart des sociétés non civilisées combattent à raison l’accumulation matérielle, par exemple les Hadzabe de Tanzanie[143].
Devenus hégémoniques avec une capitalisation boursière cumulée qui a dépassé les 5 000 milliards de dollars en 2020 (« la capitalisation seule d’Apple [2 256 milliards de dollars] dépasse la valeur cumulée des entreprises de la place boursière française » annonce le magazine LSA[144]), les GAFA se parent de toutes les vertus quand il s’agit de décarboner la société techno-industrielle. Et pourtant, « le numérique carbure au charbon » d’après Le Monde Diplomatique. L’industrie numérique représente déjà 4 % de la consommation d’énergie primaire mondiale, et cette consommation croît à un rythme de 9 % par an. Les datacenters d’Amazon situés en Virginie, où transite environ 70 % du trafic Internet mondial, carburent principalement au charbon des montagnes Appalaches extrait en écrêtant les sommets à l’explosif. À cette expansion de la gangrène technologique va s’ajouter une forte hausse des émissions de GES, car « un projet standard d’apprentissage automatique émet aujourd’hui, pendant l’ensemble de son cycle de développement, environ 284 tonnes de CO2, soit cinq fois les émissions d’une voiture de sa fabrication jusqu’à la casse. »
D’après le chercheur Carlos Gomez-Rodrigues :
« La majorité des recherches récentes en intelligence artificielle négligent l’efficacité énergétique, parce qu’on s’est aperçu que de très grands réseaux de neurones [plus énergivores] sont utiles pour accomplir une diversité de tâches, et que les entreprises et les institutions qui ont accès à d’abondantes ressources informatiques en tirent un avantage concurrentiel[145]. »
Les GAFAM n’ont par conséquent aucun intérêt à mettre au point des technologies sobres. Pour conclure sur ce point, précisons que Microsoft, Amazon et Google ont pour clientes la plupart des majors pétrolières (Total, Chevron, BP, Exxon, etc.).
La société industrielle consume littéralement notre planète vivante pour exécrer en fin de chaîne de la matière inerte, morte. D’après une étude publiée le 9 décembre 2020 dans la revue Nature, la masse « anthropogénique », ou plutôt industrielle puisque découlant exclusivement de l’appareil productif industriel – constructions et infrastructures principalement –, est aujourd’hui équivalente à la biomasse terrestre vivante estimée à 1,1 tératonne, soit 1 100 milliards de tonnes. Dans les deux cas, il s’agit de la masse « sèche », c’est-à-dire excluant l’eau. Selon les auteurs, la masse anthropogénique « est définie comme la masse incorporée dans les objets solides inanimés fabriqués par l’homme (qui n’ont pas été démolis ou mis hors service, que nous définissons comme “déchets de masse anthropique”) ». On y trouve l’ensemble des matériaux utilisés par le secteur du BTP et l’industrie : béton, agrégats, briques, métaux, bois utilisé pour l’industrie papetière, ou encore verre et plastique. Les auteurs de l’étude estiment également que la seule masse du plastique sur Terre (déchets compris) excède celle de tous les animaux terrestres et marins.
Cette démence nommée progrès ne s’arrêtera pas d’elle-même. Il faudra intervenir, puisqu’un autre objectif dissimulé derrière cette volonté de convertir au végétalisme l’humanité entière est de libérer du pouvoir d’achat grâce à l’innovation technologique, pour stimuler la croissance, donc extraire plus de matériaux et accélérer la dévastation du monde. Selon le think tank RethinkX, auteur du rapport Repenser l’alimentation et l’agriculture 2020–2030 – La seconde domestication des plantes et des animaux, la disruption de la vache, et l’effondrement de l’élevage industriel :
« La famille américaine moyenne économisera plus de 1 200 dollars par an en frais d’alimentation. Cela permettra aux Américains de conserver 100 milliards de dollars supplémentaires par an dans leurs poches d’ici 2030[146]. »
Le surplus ainsi dégagé pour les ménages peut être dépensé pour consommer plus.
Consommer ou combattre
« Ils veulent nous faire croire que nos choix de consommation sont le seul moyen que nous avons de changer les choses. Si nous acceptons cela, ils gagnent. Nous voilà réduits au statut de consommateurs. On ne devrait pas se laisser faire. Parce que, oui, on consomme. Dans cette société, dans cette culture, je suis obligé d’acheter des choses pour survivre. Mais cela ne me définit en rien, pas plus que mon pouvoir d’action dans ce monde. Fondamentalement, je suis un animal doté de mains et de pieds. Je peux aller me balader dans des endroits, je peux faire des choses. J’ai une voix, la capacité de parler avec d’autres, de construire une relation avec eux, de m’organiser, et de me battre si nécessaire. Tout cela importe bien plus que ma capacité à acheter ou ne pas acheter quelque chose. »
– Max Wilbert, auteur et membre du mouvement Deep Green Resistance, interviewé dans le documentaire Bright Green Lies.
À l’instar d’Extinction Rebellion, le mouvement Animal Rebellion inscrit sur son site à plusieurs endroits, en gras et surligné de rouge que leur « philosophie est la désobéissance civile non violente ». Ils prétendent que seule la mobilisation de masse non violente peut changer le système politique et éveiller les consciences et, de manière assez pathétique, s’excusent par avance pour les désagréments causés par leurs actions de blocage[147]. Bref, des rebelles en carton, voire des collabos si l’on se réfère aux propos de George Orwell sur le pacifisme. Il est déjà loin le temps où José Bové démontait le McDonald’s de Millau en compagnie d’autres agriculteurs. Pensez-vous qu’Hitler aurait pu être vaincu par la non-violence ? Aveuglé par son idéologie pacifiste, Gandhi semblait le croire puisqu’il a envoyé deux lettres à Hitler pour lui demander gentiment de cesser ses bêtises[148]. Pensez-vous que les Vietnamiens auraient pu battre les colons français puis repousser l’invasion américaine en leur demandant gentiment d’arrêter ? Bien sûr que non. Ajoutons en sus que l’influence de Gandhi sur le départ des britanniques a été « minimale », dixit le premier ministre britannique de l’époque Sir Clement Attlee, l’homme qui a octroyé à l’Inde son indépendance[149].
« Le pacifisme est ouvertement pro-fasciste. Cela relève du bon sens le plus élémentaire. Quand on entrave l’effort de guerre d’un camp, on aide automatiquement le camp adverse. Par ailleurs, il n’est pas vraiment possible de faire preuve de neutralité dans une guerre comme celle-ci. […] D’autres s’imaginent que l’on pourrait « venir à bout » de l’armée allemande en se couchant sur le dos ; qu’ils continuent à la croire, mais qu’ils se demandent aussi de temps en temps s’il ne s’agit pas là d’une illusion née d’un souci de sécurité, d’un excès d’argent et d’une simple méconnaissance de la manière dont les choses se produisent réellement. […] Les gouvernements despotiques peuvent endurer la ‘’force morale’’ indéfiniment ; ce qu’ils craignent, c’est la force physique. »
– George Orwell
« Il est impossible d’introduire dans la philosophie de la guerre un principe de modération sans commettre une absurdité. »
– Carl von Clausewitz, De la guerre, 1832.
Confortablement installées dans leurs bunkers, les classes dominantes n’ont nullement l’intention d’introduire un principe de modération dans leur guerre mondiale contre la nature. Derrick Jensen résume bien la chose dans la préface du livre Le pacifisme comme pathologie de Ward Churchill, un Indien métis Creek/Cherokee :
« Ceux au pouvoir sont insatiables. Ils feront tout — mentir, tricher, voler, tuer — pour accroître leur pouvoir.
Le système récompense cette accumulation de pouvoir. Il la requiert. Le système lui-même est insatiable. Il requiert la croissance. Il requiert l’exploitation sans cesse croissante des ressources, y compris des ressources humaines.
Il ne s’arrêtera pas parce que nous le demandons gentiment ; autrement, il se serait arrêté il y a déjà longtemps, lorsque les Indiens et d’autres peuples autochtones demandèrent gentiment aux membres de cette culture de bien vouloir arrêter de leur voler leurs terres. Il ne s’arrêtera pas parce que c’est la chose juste à faire, sinon il n’aurait jamais commencé.
Il ne s’arrêtera pas tant qu’il restera quelque chose à exploiter. Il ne peut pas[150]. »
L’ensemble des mesures les plus populaires aujourd’hui pour solutionner la crise écologique et climatique globale – énergie décarbonée, régime végétarien/végétalien, compensation carbone, etc. – le sont parce qu’elles ne remettent aucunement en cause le mode de vie des humains urbano-industriels. Il s’agit tout au plus de quelques ajustements cosmétiques ayant pour principal objectif de relancer le capitalisme en perte de vitesse, d’optimiser la « résilience » de la société industrielle pour réemployer le vocable à la mode. Aucun démantèlement de la société industrielle n’est envisagé, ni même discuté. Les politiciens, les oligarques et les technocrates veulent maintenir le plus longtemps possible la mégamachine en état de marche dans un environnement à l’instabilité croissante – perturbations climatiques, montée des eaux, instabilité géopolitique, effondrements écosystémiques, accélération des flux migratoires, etc.
Plusieurs siècles de recul permettent désormais de juger de la capacité de la civilisation industrielle à cohabiter avec le vivant. Comme toutes les autres qui ont précédé, cette civilisation asservit, manipule, domestique, exploite, détruit et tue. À la différence des civilisations précédentes, la civilisation industrielle, propulsée par les carburants fossiles et l’électricité nucléaire, menace dans un futur proche d’anéantir les conditions propices au maintien sur Terre de formes de vie complexes – mammifères, oiseaux, reptiles, et bien d’autres.
« […] si le développement du système-monde technologique se poursuit sans entrave jusqu’à sa conclusion logique, selon toute probabilité, de la Terre il ne restera qu’un caillou désolé — une planète sans vie, à l’exception, peut-être, d’organismes parmi les plus simples — certaines bactéries, algues, etc. — capables de survivre dans ces conditions extrêmes. »
« Ceci est mon message pour l’Occident – votre civilisation est en train de tuer la vie sur Terre[151]. »
– Nemonte Nenquimo, activiste Waorani de la province de Pastaza (Équateur), cofondatrice de la Ceibo Alliance, titre d’une tribune publiée par le journal britannique The Guardian en octobre 2020.
Il faut stopper la civilisation techno-industrielle et la démanteler par tous les moyens possibles et imaginables – mais surtout efficaces. À ce stade, la question que vous devriez vous poser est la suivante : dans quel camp vous situez-vous ?
Êtes-vous du côté de la civilisation, pour ses prisons urbaines, pour une existence servile calquée sur le rythme infernal des machines et des usines, pour la soumission à la dictature technoscientiste et au despotisme consumériste ? Avez-vous envie de tolérer encore longtemps l’humiliation quotidienne que vous font subir la vermine politicienne et l’aristocratie médiatique, toutes deux aux bottes d’une petite caste d’ultrariches fous à lier ?
Ou êtes-vous pour la vie, c’est-à-dire du côté des milliards d’humains – peuples premiers et communautés rurales du Sud global – déjà en résistance contre cette civilisation depuis plusieurs siècles, pour préserver leurs terres, leur identité, leur culture, leur mode de vie et leur dignité ? Êtes-vous prêt à combattre ? Êtes-vous prêt à sacrifier votre existence pour le cerf élaphe, le loup gris, le renard roux, l’ours brun, la mésange charbonnière, la coronelle lisse, le hamster géant, la bergeronnette des ruisseaux et l’hirondelle ?
« On ne peut pas marcher dans la rue et voir un enfant se faire maltraiter sans intervenir, ni rester à regarder les baleines mourir sans intervenir. Les océans sont en train de mourir, nous avons déjà anéanti 90 % des poissons et nous continuons à exploiter la ressource. Je ne crois pas aux manifestations. Manifester, c’est se soumettre : « S’il vous plaît, ne faites pas ça ». Ils le font quand même ! C’est humiliant. Ce n’est pas manifester qu’il faut, c’est intervenir. »
– Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, propos recueillis dans le documentaire Les Insurgés de la Terre.
https://bteam.org/who-we-are/leaders. Voici quelques-uns des autres membres de la B Team, pour la plupart anciens PDG, PDG en exercice, ou milliardaires : Paul Polman (ancien président de Procter & Gamble), Ajay Banga (président exécutif Mastercard), Marc Benioff (fondateur et PDG Salesforce), Jesper Brodin (PDG IKEA), Emmanuel Faber (ancien PDG Danone), André Hoffmann (milliardaire héritier du fondateur du laboratoire Roche, géant mondial des biotechnologies), Yolanda Kakabadse (ancienne présidente WWF), Isabelle Kocher (ancienne PDG Engie), Indra Nooyi (ancienne PDG PepsiCo), Andrew Liveris (ancien PDG Dow Chemicals), François-Henri Pinault (propriétaire et PDG du groupe de luxe Kering). ↑
« L’inégalité est inscrite dans l’ADN de la civilisation depuis que l’homme s’est installé pour cultiver la terre.», Walter Scheidel, professeur d’histoire à l’université de Stanford, magazine The Atlantic, 2017. ↑
]]>2021-06-13T13:47:59+00:00Philippe Oberlétag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-14:/14279Manifeste contre l’exploitation minière prétendument « verte » ou « durable »Le 5 mai 2021 se tenait, à Lisbonne, au Portugal, une « conférence europ&e...]]>Le 5 mai 2021 se tenait, à Lisbonne, au Portugal, une « conférence européenne sur l’exploitation minière verte (‘green mining’) ». Cette conférence constituait un « événement international de haut niveau dans le secteur des ressources minières ». Y participaient « des entités et des organismes nationaux et internationaux, des entreprises, des universités, des associations de l’industrie et d’autres parties intéressées jouant un rôle pour le secteur des ressources minières ».
Afin de manifester leur opposition aux prétentions avancées lors de cette conférence, et aux projets qui en découlent, 14 organisations et associations populaires se sont rendues dans la capitale portugaise. Beaucoup d’entre elles venaient de la communauté de Covas do Barroso, dans le nord du Portugal, où des conflits sévissent autour d’un projet de mine de lithium.
Le lithium est un des métaux les plus convoités pour la production des batteries des véhicules électriques et le stockage des énergies renouvelables. Malheureusement, le « Green Deal » européen vise à intensifier l’exploitation minière au sein de l’Union Européenne. Au-delà des tensions à Covas do Barroso, à travers toute l’Europe, des conflits de plus en plus visibles et de plus en plus nombreux se forment autour de l’exploitation des matières premières. Le « Green Deal » européen, fondé sur l’idée absurde et nuisible de « croissance verte », souhaite perpétuer un extractivisme infini en vue de garantir la continuation du fonctionnement de la civilisation industrielle. Une partie de la stratégie qu’il propose consiste à rapprocher l’exploitation minière du territoire national – l’idée étant de faire d’une pierre deux coups : une aubaine pour l’autonomie stratégique de l’UE en matière de ressources, et une occasion de superviser les projets de manière plus durable.
Bien entendu, la seule solution saine, décente, souhaitable, consiste à démanteler l’intégralité de la civilisation industrielle, fondamentalement insoutenable. Bien entendu, on peut toujours courir. Cela ne sera jamais l’objectif des classes et institutions dirigeantes. Cela ne constitue même pas l’objectif des mouvements écologistes les plus en vus (les plus médiatiques, subventionnés). Quoi qu’il en soit, les 14 organisations et associations portugaises ayant manifesté leur opposition à la conférence l’ont formulée dans un texte, intitulé « Manifesto de repúdio à narrativa Green Mining » (Manifeste contre l’exploitation minière prétendument « verte » ou « durable »), également signé par d’autres associations et organisations, au niveau européen. En voici une traduction.
Manifeste contre l’exploitation minière prétendument « verte » ou « durable »
Lisbonne, 5 mai 2021
Les associations et mouvements signataires, qui s’opposent aux exploitations minières existantes ou en projets, présentent dans ce document leur opposition au discours sur l’exploitation minière verte, objet de cette conférence européenne.
L’exploitation minière « verte » est présentée par l’industrie minière, la Commission européenne (CE) et les gouvernements des États membres comme une exploitation minière responsable et durable. Une exploitation minière reposant sur une efficacité maximale en ce qui concerne l’utilisation de l’eau, de l’énergie et des minerais extraits, et qui prétend assurer la conservation des ressources naturelles et minérales pour les générations futures. Dans le même temps, elle promet une minimisation des impacts sociaux, environnementaux et matériels causés par l’exploitation.
Nous affirmons que la réalisation de tous ces objectifs est une impossibilité. La plupart des projets proposés impliquent l’exploitation de gisements de moins en moins rentables, une importante production de déchets et le recours à la méthode d’exploitation à ciel ouvert, dans une optique de réduction des coûts et d’augmentation des profits.
Depuis la crise économique de 2008, l’Europe se trouve confrontée à la nécessité de sécuriser son approvisionnement en matières premières considérées comme critiques en anticipant les problèmes géopolitiques et financiers qui pourraient entraver leur obtention auprès de ses fournisseurs habituels. En parallèle, reconnaissant l’impact de l’utilisation des combustibles fossiles dans les transports sur l’accumulation des gaz à effet de serre – principale cause du réchauffement climatique – l’Europe élabore des plans et des objectifs de décarbonisation basés sur le remplacement des véhicules à moteur à combustion par des véhicules électriques (s’engageant auprès de l’industrie automobile). En conséquence, la nécessité de développer la production de batteries, dont les principaux composants proviennent de l’exploitation minière, est désormais affirmée. À l’heure de la « décarbonisation » des « besoins énergétiques », davantage encore de batteries seront nécessaires pour stocker l’énergie obtenue à partir de centrales dont la production énergétique est intermittente (solaire, éolienne). Même au risque que ce modèle ne nous permette ni d’être autosuffisant ni compétitif par rapport à l’industrie minière asiatique et sud-américaine, le développement de ce secteur a été considéré comme une nécessité stratégique dans le contexte européen (European Battery Alliance, 2017), avec la création de divers clusters et alliances stratégiques au sein des États membres, et entre eux.
Nous sommes donc confrontés à un grave conflit entre écologie et économie, puisqu’en vue d’atteindre un objectif supposément bénéfique pour l’environnement, fondé sur une hypothétique réduction des gaz à effet de serre, il nous faudrait sacrifier de vastes zones à l’exploitation minière. Une véritable économie, une gestion appropriée de la planète et de ses ressources finies, se doit d’être écologiquement durable, ce qui est incompatible avec l’existence d’une industrie minière. Conscients qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir l’approbation de la société et des populations directement concernées, les promoteurs de cette nouvelle vague d’extractions minières ont élaboré un récit selon lequel il s’agirait d’une exploitation minière verte. Au moyen de ce récit, aussi appelé « exploitation minière durable », il s’agit de dissimuler les faits suivants :
Que l’exploitation minière ne peut pas être durable, étant donné que les ressources minérales ne sont pas renouvelables – ce qui entre en contradiction avec le slogan selon lequel ils agissent de manière responsable envers les générations futures ;
Que selon le Global Resources Outlook 2019 [« Perspectives des ressources mondiales 2019 » : un rapport élaboré par le Groupe international d‘experts sur les ressources], l’extraction et le traitement des ressources sont globalement responsables de 90 % de la perte de biodiversité, de l’augmentation du stress hydrique et d’environ la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre ;
Que les impacts de l’exploitation minière à ciel ouvert, de même que l’exploitation minière souterraine, génèrent inéluctablement d’immenses quantités de déchets et de boues, de résidus qui causent de graves dommages dans les zones adjacentes, dommages qui, par effet de ruissellement, affectent des régions plus étendues, nuisant fortement à l’utilisation ultérieure de ces terres en vue de pratiquer des activités soutenables ;
L’altération, potentiellement permanente, du fonctionnement hydrogéologique du sous-sol jusqu’à la limite de profondeur de l’exploitation. Non seulement à cause de la pollution de l’eau utilisée dans les phases d’extraction, de lavage et de concentration du minerai, mais aussi à cause de sa consommation extrêmement élevée qu’ils prétendent justifier en évoquant une utilisation prétendument efficace de l’eau dans un circuit fermé. Ce qui pose problème, c’est l’autorisation d’utiliser l’eau potable en vue de générer des profits pour des entreprises privées. L’eau, bien commun de plus en plus rare, est essentielle à la pérennité des territoires et de la vie ;
Nombre de régions où des activités extractives sont en place et où d’autres sont en projets souffrent d’une sécheresse importante, voire extrême, pendant la majeure partie de l’année. Cette sécheresse est associée au phénomène global du changement climatique, principalement induit par le phénomène de l’industrialisation du monde, qui débute au 18e siècle. L’impact de l’industrialisation a été démultiplié par les politiques de production et de consommation excessives qui se sont imposées au cours du siècle dernier. L’extermination des écosystèmes indigènes au profit de l’agriculture et de l’élevage intensifs, massifs, les monocultures de la foresterie industrielle et l’éradication de la forêt indigène, l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles, la massification de l’utilisation de la voiture individuelle, l’impact du tourisme mondial low-cost, etc. sont les caractéristiques du modèle économique actuel, qui use et abuse des ressources de la planète sous la bannière du profit et de la croissance économique infinie – modèle voué à se perpétuer avec la réindustrialisation de l’Europe et une action climatique à courte vue.
La consommation énergétique incalculable des opérations d’extraction, de lavage, de concentration et de transport des minerais implique, pour nombre d’entre elles, l’utilisation de combustibles fossiles – un état de fait qui contredit la prétention d’efficacité dans l’utilisation des ressources énergétiques ;
La nécessité d’extraire d’immenses quantités de roche pour atteindre les filons ; l’impossibilité, tant sur le plan technologique qu’en raison de coûts élevés, de récupérer les nombreux minerais présents dans les résidus en raison de leur faible concentration ; la lixiviation des sulfures présents dans les terrils et les remblais, qui réagissent avec l’eau pour générer de l’acide sulfurique, qui s’écoule dans les cours d’eau alentour, y déposant des métaux lourds, de l’arsenic, etc., menaçant la santé publique et les écosystèmes ; l’existence de demandes d’exploration dans des zones uranifères, qui, si elles étaient exploitées, génèreraient une pollution radioactive sur site et dans les zones environnantes ; le stockage de déchets radioactifs menaçant la santé publique et les écosystèmes ; le dépôt de poussières (contenant par exemple de fortes concentrations de micas et de fluorures) sur de longues distances en raison de l’action du vent, avec pour conséquence la détérioration des conditions des pratiques agricoles et la démultiplication du nombre de régions impactées – les promoteurs de l’exploitation minière verte opposent à cela l’efficacité prétendue de l’utilisation des minerais et quelque minimisation des impacts environnementaux ;
Un besoin limité en main-d’œuvre en raison de la mécanisation presque totale des opérations minières actuelles et de leur spécialisation croissante, qui ne se traduira donc pas par la création promise de nombreux emplois au niveau local étant donné que les quelques emplois créés seront précaires et temporaires ; un bouleversement profond des traditions et de la qualité de vie de la population dû aux diverses formes de pollution et au bruit constant causé par l’extraction et le transport ; la perturbation du tissu actuel de micro et petites entreprises liées à l’agriculture et au tourisme local et naturel ; un impact direct sur la santé de la population ; une diminution de la valeur du marché immobilier, tant urbain que rural, en raison de la proximité des exploitations minières ; une augmentation inévitable de la désertification après la fermeture – autant de faits qui exposent la vérité derrière la prétention illusoire à quelque « minimisation des impacts » sociaux ;
Malgré le récit selon lequel l’industrie contemporaine serait suffisamment réglementée et sûre, l’Europe a été désignée comme le deuxième continent ayant le plus grand nombre d’incidents liés aux digues à résidus ou aux défaillances critiques d’autres infrastructures. Pour exemple, mentionnons les évènements d’Aznalcóllar (1998), Baia Mare et Borşa (2000), Aitik (2000), Sasa (2003), Malvési (2004), Ajka (2010), Talvivaara (2012), Mont Neme (2014) et Cobre Las Cruces (2019). D’autres infrastructures de stockage de déchets, à travers l’Europe, semblent être sur le point de s’effondrer de manière catastrophique : Riotinto et San Finx en Espagne, et Cabeço do Pião au Portugal.
L’impossibilité de réutiliser les terres exploitées. La formation de discontinuités territoriales irréversibles rend impossible la compensation fonctionnelle de la perte de zones d’écosystèmes et de patrimoine protégés par la loi ; empêche la reprise des activités agricoles, forestières ou pastorales dans les zones ciblées pour l’exploitation et leurs environs ; ne permet pas la récupération du tissu social affecté et réduit la probabilité de récupération de la population perdue ; favorise les foyers de pollution, les changements irréversibles dans les cours d’eau et les eaux souterraines et affecte l’utilisation des sources d’eau potable par les populations. On remarque également une absence systématique de prise en compte des graves impacts de la pollution sur la santé, de la prise en charge des pertes de valeur du patrimoine des populations directement ou indirectement touchées et de l’impact réel sur l’équilibre du pays avec la fermeture du projet – autant de réalités qui contredisent les arguments fallacieux de « mitigation des impacts post-exploitation » avancés par les promoteurs.
La réglementation fondamentale de la chaîne d’approvisionnement, tant en Europe qu’au-delà, est imparfaite et insuffisante. En outre, les administrations sont souvent incapables de faire appliquer les réglementations existantes. Les initiatives internationales servant de modèle aux objectifs européens en matière d’exploitation minière verte ne fixent pas non plus de critères stricts. Parmi celles-ci, on retrouve des programmes tels que Mining, Minerals and Sustainable Development (« Extraction minière, minerais et développement durable ») ou l’Extractive Industries Transparency Initiative (« Initiative pour la transparence dans les industries extractives »), ainsi que les cadres nationaux et d’entreprise existants pour les « industries extractives durables » (Australian Mineral Industry Framework, South African Mining Charters, Finnish Mining Act, Netherlands Responsible Mining Index, TSM Canada, Anglo American’s Sustainable Mining Plan, World Bank Climate Smart Mining, etc.) De même, les initiatives européennes les plus récentes, telles que la norme CERA 4in1 ou le réseau finlandais pour une exploitation minière durable, font preuve d’un sérieux manque de transparence et de respect des populations, étant dirigées par l’industrie. Ces initiatives ne s’inscrivent pas dans une législation en mesure de sanctionner les infractions ou de rendre la participation civique obligatoire.
La participation civique, sous l’égide de concepts industriels comme le permis social d’exploitation (SLO, Social License to Operate), est systématiquement réduite à des consultations multipartites ou à d’autres protocoles non contraignants établis avec les communautés concernées. Dans le même temps, l’implication de certaines ONG au niveau national et européen, dans les clusters, les alliances industrielles et les groupes de travail, par exemple dans la nouvelle législation européenne sur les batteries, n’est pas transparente et n’est pas toujours en phase avec les intérêts et les perspectives du public concerné au niveau régional et local.
Les associations et mouvements signataires demandent donc la suppression de l’euphémisme « exploitation minière verte » et du greenwashing qui lui est associé, ainsi que l’accès à une information vraie, claire et transparente, dont il est urgent de disposer concernant les opérations de développement minier impliquant le Portugal et l’Union européenne. En regardant vers l’avenir, nous demandons l’adoption d’un modèle de développement intrinsèquement durable, basé sur la valorisation du territoire, la préservation de l’environnement et l’implication de la population, facteurs qui favorisent la qualité de vie, le bien-être social et le respect des valeurs naturelles, patrimoniales et culturelles comme éléments fondateurs de la société que nous entendons transmettre aux générations futures. L’exploitation minière ne sera jamais verte !
Signataires :
Associação Montalegre Com Vida
Associação Unidos em Defesa de Covas do Barroso
Associação Povo e Natureza do Barroso
Associação Guardiões da Serra da Estrela
Associação Ambiental Petón do Lobo (Galicia)
Associação SOS SERRA da GROBA (Espanha)
Associação Portuguesa para a Conservação da Biodiversidade (FAPAS)
Corema — Associação de Defesa do Património
Movimento de Defesa do Ambiente e Património do Alto Minho
ContaMINAacción (Galiza)
Em Defesa da Serra da Peneda e do Soajo
Defesa Y Conservción Ecológica de Intag (Ecuador)
Fundação Montescola
Greve Climática Estudantil Portugal
Kansalaisten kaivosvaltuuskunta (MiningWatch Finland)
Movimento Minas Não
Movimento ContraMineração Beira Serra
Movimento Contramineração Sátão e Penalva
Movimento Estrela Viva
Movimento Não às Minas — Montalegre
Movimento SOS Serra d’Arga
Movimento de Defesa do Património Natural das Serras de Melres e Rio Mau
Movimento SOS Terras do Cávado
Observatorio Plurinacional de Salares Andinos OPSAL
Plataforma Veciñal Mina Touro — O Pino NON (Espanha)
SOS — Serra da Cabreira — BASTÕES ao ALTO!!
IRIS — Associação Nacional de Ambiente
UIVO — Por uma Reserva da Biosfera Meseta Ibérica livre de minas
]]>2021-06-11T16:25:28+00:00Nicolas Casauxtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-14:/14263Promising Young WomanPromising Young Woman (USA-UK, 2020, 108'), Emerald Fennell avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Lavern...]]>Promising Young Woman (USA-UK, 2020, 108'), Emerald Fennell avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Laverne Cox
Il est question dans cette chronique de viol et l’intrigue du film est largement dévoilée.
Voilà un film qui est presque passé inaperçu sur les écrans français, la faute peut-être à un mauvais marketing. « Thriller féminin et frais », c’est un peu fade pour un film féministe, réalisé par une jeune actrice et autrice, et qui s’attaque aussi frontalement à la culture du viol. Cassandra va avoir 30 ans, elle travaille sans enthousiasme dans un café et vit encore chez ses parents. Son passe-temps : prétendre être complètement ivre dans un bar ou une boîte, à la merci d’une belle âme qui la ramènera chez elle sans encombre. C’est la première scène du film : trois hommes la repèrent dans un bar. Le premier flaire la bonne affaire (une femme qu’on pourra violer sans difficulté ni remords), le second n’a pas de mots assez durs contre son comportement (s’être rendue vulnérable au viol en étant ivre et sans protection amicale), le troisième s’inquiète pour elle, la ramène chez elle… oh et puis non, chez lui où il essaie de la faire boire encore plus, lui servant une liqueur dégueulasse dans un verre trois fois plus rempli que le sien. C’est alors qu’il enlève sa culotte avec des mots rassurants pour une femme quasiment inconsciente que Cassandra se révèle très sobre et lui fait honte de son comportement. Pas de testicules méthodiquement découpées, simplement une femme qui exprime de manière claire son refus et son mépris pour un homme qui pensait profiter d’un viol acceptable.
Cassandra a abandonné ses études de médecine justement parce que les viols de femmes ivres sont acceptables. Alors qu’elle et son amie d’enfance Nina étaient les étudiantes les plus brillantes de la promo, leur destin prometteur est fauché en plein vol par le viol subi par Nina, un soir d’ivresse. Ses camarades de classe ont profité de sa vulnérabilité pour la violer, faisant ensuite tourner la vidéo de ce grand moment de rigolade. Tout le monde a ensuite fermé les yeux. L’intrigue est déclenchée par la rencontre de Cassandra avec un de ces ex-étudiants, pédiatre sympathique et drôle qui la replonge dans les histoires de ce petit groupe et enraye sa routine de la femme torchée à ramener chez elle.
Cassandra commence alors sa vengeance avec la meilleure amie du violeur, une femme très satisfaite de son boulot rémunérateur et de son statut de mère qui répond à toutes les injonctions. Celle-ci lui redit que Nina l’avait bien mérité, étant ivre, pendant que Cassandra la fait boire puis la laisse aux bons soins d’un homme qui doit profiter de son incapacité pour la ramener dans une chambre d’hôtel. Elle s’attaque ensuite à la doyenne à travers sa fille, qui lui a confié son téléphone et dont elle prétend l’avoir laissée seule avec des jeunes hommes. La doyenne, qui jusqu’alors trouvait très juste de ne pas briser la vie de jeunes hommes accusés de viol (innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit matériellement établie), semble comprendre alors que d’autres vies sont brisées par les viols de campus, celles de jeunes femmes dont la parole est systématiquement désavouée par le statu quo : c’est sa parole contre la sienne, on ne peut rien faire. La journaliste Peggy Orenstein a écrit sur cette culture des lycées et des campus US, dans laquelle la sexualité est à la fois obligatoire et honteuse pour les filles, parfois violente, où elles doivent exhiber des corps parfaits qu’elles connaissent au fond très mal et où chaque écart d’avec la norme est sanctionné, pendant que des garçons tout ou presque est accepté selon le fameux adage « Boys will be boys » : ah, les garçons, on ne les changera pas. Alors que si, ce serait bien de les changer.
La culture du viol implique des réponses masculines hyper violentes contre des violeurs emblématiques (le violeur d’enfants, de femmes inconnues dans une ruelle sombre, a fortiori quand il est pauvre et étranger). À ceux-là il n’est fait aucun cadeau, ils font l’objet de la plus grande violence. Laurent Gayer et Gilles Favarel-Garrigues, auteurs d’un ouvrage sur les simulacres de justice populaire dans le monde, rendent compte de la place importante de la justice expéditive qui est exercée contre des violeurs présumés, en particulier d’enfants. Il faut gratter un peu pour comprendre que derrière cette détestation consensuelle, il y a le déni de tous les autres viols, ceux qui sortent de l’évidence de la ruelle sombre. J’en parlais ici.
Loin de ces réponses violentes qui paradoxalement contribuent à la culture du viol, Cassandra exerce des représailles qui donnent à penser. Ses violeurs d’opportunité s’en sortent avec la honte aux joues et elle ne fait pas plus de mal à son ancienne camarade de classe auto-satisfaite qu’à la fille de la doyenne. Ce ne sont que des leçons. La dernière, elle la fait à Al, le violeur de Nina. Cassandra fait irruption à son enterrement de vie de jeune homme, grand moment de construction sociale de l’identité masculine, sous les habits d’une strip-teaseuse travestie en infirmière. Al est sorti major de promo après le drame vécu par les deux jeunes femmes , il est toujours aussi populaire et tout lui sourit. La violence la plus grave qu’elle se propose de lui faire est de le tatouer, de le marquer du nom de Nina, celle que tout le monde a oubliée depuis qu’elle s’est suicidée suite à ce viol. Al s’insurge : elle ne peut pas imaginer l’horreur que c’est, pour un homme, que d’être accusé de viol. Alors que l’horreur de subir un viol est, elle, encore hors du champ de sa compréhension. Cassandra, loin de lui faire mal physiquement, s’offre au contraire en victime et enclenche un mécanisme qui aboutira à ce que la société demande des comptes, enfin, à Al pour la violence qu’il exerce contre des femmes, une violence qu’il trouve jusqu’au bout parfaitement acceptable, voire légitime.
Beaucoup de spectatrices pourront être déçues que la vengeance de Cassandra ne s’exprime pas violemment car oui, devant la culture du viol et le mal qu’elle fait, nous nous complairions volontiers dans la violence vengeresse. Mais Emerald Fennell nous engage dans un récit plus fin, plus juste, plus constructif. Ce que nous voulons, ce n’est pas punir, c’est prévenir. C’est faire comprendre tout ce qui a pour nom viol. « Thriller féminin et frais », non, mais belle comédie noire et féministe.
]]>2021-08-23T18:24:12+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-13:/14261Je n’existais plusPascale Jamoulle, Je n’existais plus. Les Mondes de l’emprise et de la déprise, ...]]>Pascale Jamoulle, Je n’existais plus. Les Mondes de l’emprise et de la déprise, La Découverte, 2021, 300 pages, 22 €
L’ouvrage de Pascale Jamoulle, une anthropologue exerçant sur des terrains français et belges, est composé de cinq parties autonomes décrivant des situations d’emprise sur des terrains bien différents. Les premières sont consacrées au parcours très singulier d’une amie de l’autrice, entre violences sexuelles, emprise dans le couple et dans une organisation politique sectaire, puis à ceux, plus brefs, de femmes victimes de violences dans le couple. Les femmes prises dans ces relations disent à quel point elles « n’existent plus », ne sont plus en mesure d’exercer leur libre arbitre. Jamoulle s’attache aux caractères systémiques de l’emprise, au-delà de la rencontre entre deux personnes. Ces phénomènes d’emprise sont très marqués par la domination masculine et des représentations de mise à disposition (sexuelle, domestique, affective) des femmes. Celles-ci sont d’autant plus susceptibles de s’y engager qu’on socialise les filles à la docilité et au sacrifice de soi, dimension incontournable de l’amour dans les représentations traditionnelles.
Dans le troisième chapitre, Jamoulle raconte comment une famille entière subit dans les années 1970 la volonté de pouvoir d’un maître à penser pervers se présentant comme psychothérapeute autodidacte. L’histoire peut sembler anecdotique mais ces années ont été particulièrement propices à des dérives sectaires en matière de soins et de thérapies alternatives. Un couple d’enseignant·es en difficulté psychologique livrent leur famille et leurs enfants à l’autorité de cette personne prétendant faire leur bien : les filles sont privées d’éducation (le gourou adhère à une idéologie très conservatrice), les familles déchirées quand il impose que les enfants soient hébergé·es dans d’autres familles sous emprise. À cela les enfants réagissent très différemment. L’aînée, déjà étudiante, arrive à poursuivre son chemin malgré les vivres coupés, la benjamine entre sous emprise et après cet épisode renouvellera la situation avec son conjoint. Quant au cadet, on n’entend pas sa voix puisqu’il s’est suicidé peu après. Comme le montre Dorothée Dussy dans Le Berceau des dominations (La Discussion, 2013, réed. Pocket 2021), la violence se réplique d’une génération sur l’autre, en formatant les individus aux relations violentes, côté victime ou côté bourreau.
Dans les deux derniers chapitres, Jamoulle aborde l’emprise dans un cadre moins privé et domestique. Et aussi plus masculin. Elle étudie les effets de leurs conditions de travail sur des livreurs ubérisés, sur le modèle décrit par Ken Loach dans son film Sorry We Missed You. Son analyse met en évidence l’accroche progressive des livreurs par leurs donneurs d’ordres, avec des conditions qui empirent au fur et à mesure que les livreurs se sont investis dans ce travail et ont fini d’en peser les avantages et les inconvénients. Le superviseur tire sur la corde d’autant plus que les travailleurs sont accrochés. Un élément interne les rend d’autant plus vulnérables, c’est la place accordée au travail dans leur système de valeur. En chier au boulot sans se plaindre fait partie de leur ethos, pleinement adapté à un monde néolibéral qui précarise, ce qui réduit d’autant leur capacité d’action, rétifs comme ils sont à l’organisation ouvrière. L’absence de régulation due à leur statut les envoie dans la gueule du loup sans espoir de pouvoir se défendre.
Néanmoins, cette situation d’exploitation sans merci contre laquelle il semble impossible ou illégitime de se rebeller ne fait pas dire à ses victimes qu’elles « n’existaient plus » car les personnes y semblent moins engagées intimement. Il ne semble pas y avoir ici de relation interpersonnelle d’emprise ou de manipulation, enchâssée avec le lien de subordination et d’exploitation, comme dans les récits de harcèlement au travail. Le superviseur exploite au maximum la disponibilité des livreurs mais n’entre pas dans leur intimité, comme je l’ai vécu personnellement, malgré les cadres plus protecteurs du salariat et d’une administration, une situation que j’ai racontée ici et ailleurs.
Et dans le cinquième chapitre, aussi poignante soit l’histoire d’abandon d’une cité marseillaise défavorisée aux mains de réseaux criminels, la qualification d’emprise semble là encore compliquée à utiliser dans les mêmes termes que dans les chapitres précédents. On n’entend pas les ados au premier chef concernés par l’intégration au réseau (avec la même logique de séduction, hameçonnage et exploitation, la menace en plus en cas de défection, que les entreprises de logistique) et il y est surtout question de l’organisation des mères pour protéger la cité du rôle toxique joué par ces réseaux, de leur puissance accrue par l’action collective, de leurs vulnérabilités propres et de leurs forces, amplifiées par leur statut social de femmes racisées. C’est encore une fois la régulation par un collectif plutôt que l’abandon de chacun·e à son sort qui donne les moyens de lutter contre des systèmes dans lesquels prolifèrent des personnes peu respectueuses de l’intégrité des autres mais parle-t-on toujours d’emprise ? Si cette suite de monographies est passionnante, elle semble néanmoins un peu hétéroclite.
Les trois premiers chapitres explorent dans les détails cette situation où un être humain abandonne son autonomie, sa volonté propre, à un autre. L’existence de telles situations invitent à dépasser l’exigence de « consentement », qui est peu attentive aux effets de captivité et aux vulnérabilités. Trop jeune, vulnérable ou sous emprise, l’individu ne peut pas consentir, pas plus qu’il n’est en mesure de refuser. Comprendre ce qui se joue là-dedans, ce qui manque pour reprendre contact avec soi-même, ses désirs et tout simplement ses besoins, est essentiel pour combattre ces violences interindividuelles, intimes mais qui pâtissent aussi d’un défaut de régulation collective et sociale. Je n’existais plus y apporte une contribution intéressante.
]]>2021-06-13T07:56:51+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-12:/1424599 métaphoresJ’ai envie de crever de la médiocrité du monde. J’ai envie de crever de m...]]>J’ai envie de crever de la médiocrité du monde. J’ai envie de crever de ma propre flemme, de mes compromissions, de mes incapacités à tout lire, à tout comprendre. J’ai l’impression de m’enfoncer dans un trou de boue, elle me colle partout, elle empêche même les tâches les plus banales, je suis coincée et chacun de mes mouvements est un nouvel empêchement. J’ai perdu l’entrée au Cercle du Jeu Vertueux, j’ai dans le crâne une patinoire un samedi après-midi, y’a trop de mauvaise musique et de gens que je ne veux pas croiser, y’a la honte d’être incapable d’être gracieux sur la glace comme dans la vie, des chaussettes mouillées et des grands rêves qui ne se concrétisent jamais. Je m’accroche au bord mais je ne sais plus pourquoi, est ce que j’ai peur de tomber ou est ce que j’ai fini par arrêter d’essayer, parce que le milieu de la patinoire c’est pour ceux qui savent, glisser et rire et s’habiller et se faire des amis en 13 secondes, au bord au moins y’a ma bande. J’ai plus envie d’être au milieu de la glace parce que la boue avale tout, et que c’est pire en fait quand tu crois que la patinoire existe et que la glace ne fond jamais. La patinoire n’existe pas et pourtant je voudrais m’y faire une place, quand est-ce que j’arrête, quand est ce que ça s’arrête ?
Faut que je crame la patinoire. Faut que la boue sèche et qu’elle finisse de remplir le trou dans mon bide, qu’on y plante des fleurs et des plants de basilic pour qu’ils y crèvent tranquille, c’est pas grave, ça serait chez moi, ça serait vraiment moi. Y’a pas longtemps je me suis fait tatouer « j’habite une maison en moi ». Je crois qu’il est temps de m’avouer que cette maison n’est pas confortable, qu’elle est impersonnelle, remplie d’objets censés me représenter au monde mais qui ne sont que posture et mécanisme de défense, urgence à être aimé de quelque manière que ce soit, pelletées de boue collante et charognes décomposées des vies que j’aurai essayées sans jamais trouver ma taille, caillou dans la chaussure, étiquette qui gratte à m’en faire saigner. 40 ans pour en arriver là, 40 encore pour continuer à trier, à décider ce que je suis, ce que j’aime, ce que je veux, qui me plait, des piles de linge sale devant mon lit, des photos sur lesquelles je ne me reconnais jamais, quand tu crois que c’est plié, y en a autant derrière la porte à gérer.
C’est pas tout le temps un souci d’avoir toutes ces questions. C’est même un endroit plutôt incroyable. Y’a 10 ans, je connaissais même pas la route pour y arriver. J’ai de la chance. Je suis privilégié. J’ai souvent de la joie, une grande et incroyable joie, à regarder d’où je viens. Ce qui est douloureux et génial, c’est de ne plus trouver d’aires de repos. On est partis, on y va. No turning point from here. Ca va trop vite. Ça secoue. Se regarder en face du dedans, c’est pas une position de yoga que je conseille aux sportifs du dimanche. J’apprends à être souple. J’essaie de m’aimer vraiment. Pas pour rentrer dans un énième moule, une déclinaison pseudo radicale de l’avant-dernier, j’essaie de m’écouter. Je savais pas comment ça faisait. J’avais jamais essayé.
]]>2021-06-12T11:51:33+00:00dariamarxtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-12:/14243Parler de fascisme à propos de la France actuelle n'est pas un abus de langage | Slate.frLe sociologue Ugo Palheta dépeint très justement la situation: «Il n'y a pas de régime fasciste en F...]]>Le sociologue Ugo Palheta dépeint très justement la situation: «Il n'y a pas de régime fasciste en France actuellement, mais il y a des mouvements politiques qui propagent diverses idéologies fascistes.» Il ne faut pas tomber dans le piège de la banalisation.]]>2021-06-12T11:28:43+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-12:/14185Frédéric Lordon : Pour un néo-léninismeNous avons retranscrit ici l’intervention de Frédéric Lordon lors du déb...]]>Nous avons retranscrit ici l’intervention de Frédéric Lordon lors du débat public avec Andreas Malm sur le thème « écologie et communisme », organisé dimanche 6 juin devant la librairie Le Monte-en-l’air par ACTA, Extinction Rebellion et les éditions La Fabrique. Contre les tentations jumelles du mouvementisme et du retrait marginaliste, Lordon plaide pour un « néo-léninisme » seul à même de dessiner une alternative stratégique et macroscopique à la domination capitaliste.
Le texte qui suit est la reprise d’une intervention faite à l’occasion d’un débat avec Andreas Malm, organisé par ACTA, Extinction Rébellion (PEPS) et la librairie Le Monte-en-l’air (6 juin 2021), à qui je dis toute ma gratitude pour avoir rendu cette rencontre possible.
Étant infiniment moins savant qu’Andreas en matière d’écologie, je vais parler d’autre chose, pensant d’ailleurs que nos deux interventions seront bien plus complémentaires que contradictoires. Au reste, contradictoires, elles risquaient peu de l’être. Je pense qu’en réalité nous avons de grandes convergences de vues, à propos de trois choses au moins – mais importantes ! : la première c’est d’où il faut partir ; la deuxième : vers où aller ; la troisième (pour autant qu’on puisse y répondre) : de quelle manière y aller.
D’où partir sinon du constat de l’urgence terrestre, en tant qu’elle incrimine sans appel le capitalisme, et détermine comme seul objectif politique conséquent d’en sortir, de le renverser. Ici l’accord se fait facilement entre « nous » – le « nous » de la gauche radicale, ou de la gauche d’émancipation, bref de la gauche anticapitaliste. Les difficultés arrivent ensuite : vers où aller, comment y aller ? Ici commencent les divergences. Disons d’emblée que ni Andreas ni moi ne sommes en état d’apporter à ces questions quelque réponse clarifiée et détaillée – c’est sans doute tant mieux. Il me semble que nous en avons quand même l’un et l’autre une idée suffisante pour que nous sachions être d’accord sur l’essentiel, à savoir une certaine manière d’attraper le problème, une manière, disais-je, qui fait désaccord à gauche – un désaccord ancien mais constamment réactualisé, investi de nouveaux contenus. Faut-il donner un nom à cette manière, je dirais néo-léninisme. À défaut de parler d’écologie, je voudrais donc dans cette intervention tenter de clarifier ce qu’on peut entendre par néo-léninisme aujourd’hui.
Andreas parle de « communisme de guerre » dans l’un de ses ouvrages. On ose espérer qu’il ne se trouve pas de lecteur assez idiot pour prendre l’expression au pied de la lettre historique avec images de fusils à baïonnettes et de casquettes à étoile rouge. Quel sens pour notre temps peut-on alors donner à l’idée d’un communisme de guerre ? Tout simplement le sens de l’urgence vitale d’une ligne anti-capitaliste, le sens d’une ligne anti-capitaliste en tant qu’elle est une urgence terrestre. Néo-léninisme est alors la position qui se construit à partir de l’idée d’un communisme de guerre ainsi redéfini.
Mais comment faire pour déjouer le réflexe qui fait pousser des cris d’effroi dès qu’est prononcé le mot « léninisme » ? – et pas seulement à France inter, sur Arte ou à Télérama : y compris dans notre gauche. Le centenaire de 1917 a vu une floraison de livres nous expliquer que le léninisme c’est la Tchéka, Cronstadt, les procès de Moscou et le goulag. Que l’URSS ait été ça, tout le monde le sait. Depuis le trotskisme des années 1950, toutes ces choses ont été méditées longuement et profondément. A quoi peut donc rimer d’enfoncer des portes aussi grandes ouvertes ? Personne n’a envie que ça recommence, personne n’a envie de réessayer ça. Comme pour « communisme de guerre », il faut donc consentir l’effort minimal de se décoller des images reçues, et de chercher les voies d’une actualisation historique à l’usage de notre temps – il n’y en a guère d’autres que celle de la définition ou de la conceptualisation si l’on veut que le léninisme soit compris aujourd’hui autrement que comme ce qui s’est fait en Russie, en 1917, à l’initiative de Lénine et sous son nom.
Détachée des conditions historiques de son apparition pour en dégager la généralité, une définition possible du néo-léninisme pourrait poser ceci : le léninisme consiste en 1) une visée, 2) une visée macroscopique, 3) un impératif explicite de coordination stratégique dans une forme adéquate. J’ai à peine besoin d’insister sur l’énormité des problèmes qui se trouvent repliés dans la clause de « forme adéquate ». Le point important ici est qu’un impératif en appelle un autre. L’impératif de la coordination stratégique appelle l’impératif d’en penser la forme qui convienne. Je m’empresse de dire qu’à ce sujet je n’ai pas la première idée. Mon temps est limité, c’est parfait : ça me permettra de ne pas en parler…
Mais il y a déjà faire avec les deux premiers points. Premièrement, le léninisme consiste en une visée. On peine à croire qu’on se sente tenu de dire chose d’une pareille trivialité. Et pourtant il le faut. C’est que nous vivons une époque politique un peu étrange, à gauche, où l’affirmation d’une visée a perdu toute évidence, est même perçue comme un mouvement dont il y a tout lieu de se méfier. Il y a tout un courant intellectuel et politique en France, très dynamique, très intéressant également, mais pour lequel la visée c’est l’ennemi, et qui ne conçoit plus la politique que sous la figure de l’intransitivité. C’est-à-dire le mouvement pour le mouvement. Et surtout, que personne ne s’avise de venir lui donner une direction.
D’où vient cette méfiance ? Elle vient de ce qu’une direction peut en cacher une autre. De la direction comprise comme indication du désirable politique, peut toujours sortir la direction comme commandement, prise en main des opérations, moment en effet périlleux entre tous. Le signifiant léninisme est resté collé à ce deuxième sens de la direction, la direction des dirigeants, mais on a oublié que dans le léninisme il y avait aussi la première, la direction du désirable, la direction qui dit ce qu’on veut faire et où on veut aller.
Ici je vais citer ici deux auteurs. Le premier est Daniel Bensaïd qui parlait de la nécessité « d’une hypothèse stratégique tirée des expériences du passé, et servant de fil à plomb sans quoi l’action se disperse sans but ». Le second auteur est un certain Andreas Malm : « la vieille formule trotskiste selon laquelle “la crise de l’humanité est la crise de la direction révolutionnaire”, cette vieille formule trotskiste doit être mise à jour. La crise est l’absence, l’absence totale, béante, de direction ».
Autant le dire sans détour : j’adhère profondément à ces deux énoncés. Je pense qu’il n’y a pas de lutte possible contre le capitalisme sans proposition politique puissante, c’est-à-dire générale et articulée, capable de faire pièce à la proposition capitaliste. Et je pense que les apologies de l’intransitivité sont un passeport pour l’impuissance politique. Voici donc la première ligne de fracture à gauche. Elle passe entre d’une part la position néo-léniniste qui maintient l’impératif d’une direction, c’est-à-dire d’une proposition, comme constitutive d’une politique anti-capitaliste, et, d’autre part, une pensée de l’intransitivité dont je crains qu’elle ne soit vouée à terminer en antipolitique.
Si l’on veut faire autre chose de cette fracture que de la regarder d’un air désolé, je pense qu’il faut retrouver le sens d’un geste intellectuel qui a été perdu. Le geste dialectique. Ici je parle de la dialectique non pas dans sa version hégéliano-marxiste, comme processus grandiose d’auto-dépassement et de synthèse. Je pense à la dialectique comme tension antagonique objective entre des contraires, tension insoluble dans une synthèse, et qui appelle donc la nécessité de son accommodation dans une forme. Exemple, de nouveau : sans ligne stratégique, sans organisation minimale pour la servir, il n’y aura pas de processus révolutionnaire. Il n’y aura que des flambées insurrectionnelles, et elles seront défaites. Mais, d’une direction comme ligne stratégique coordonnée dans une forme organisationnelle minimale, peut toujours sortir une direction comme commandement, c’est-à-dire comme séparation, et pour finir comme confiscation. Ceci est vrai. Et quand je dis « ceci », je dis les deux. Les deux sont vrais. Donc il faut faire avec les deux. Il faut tenir les deux, et les tenir dans une forme à jamais imparfaite et toujours à réviser.
C’est ça la version non hégéliano-marxiste de la dialectique, une version défaite des promesses de la synthèse réconciliatrice, et qui ne laisse que les possibilités imparfaites de l’accommodation des contraires, de la régulation de leur co-présence, dans des constructions institutionnelles. De ce que les antinomies à réguler sont irréductibles, indépassables dans quelque « dépassement », il suit que les institutions qui les accommodent sont d’une imperfectionessentielle, raison pour quoi elles appellent le processus indéfini de leur révision, c’est-à-dire leur remise en question et leur remise en travail permanentes. Je le fais remarquer au passage mais ceci n’est pas autre chose que la conception que se faisait Castoriadis de la démocratie. La démocratie n’est pas la salade électorale additionnée de « presse libre » qu’on nous vend régulièrement. La démocratie, c’est la capacité d’un corps politique à constituer ses propres institutions et à les garder sous la main pour pouvoir les retravailler en permanence. C’est pourquoi, dès que nous voyons se présenter un olibrius « démocrate » nous expliquant qu’« il faut défendre les institutions », nous savons à qui nous avons affaire – à un escroc. La « défense des institutions », ça n’est pas une idée démocratique, c’est une idée pour tête policière, pour la tête de Lallement ou celle de Macron, c’est l’idée dont on a bourré les têtes de CRS au moment de les envoyer casser du Gilet Jaune : « vous êtes le dernier rempart des institutions », « il faut défendre les institutions », formules par excellence de l’anti-démocratie.
En premier lieu donc : restaurer les droits de la visée comme constitutive de la politique. Mais le néo-léninisme va tout de même bien au-delà de ce réquisit minimal. S’il affirme une visée, il en affirme aussi le caractère macroscopique. Ce qui signifie que le communisme ne se conçoit qu’à l’échelle d’une formation sociale, c’est-à-dire d’un ensemble humain de grande taille. Le néo-léninisme ne se désintéresse certainement pas des expériences locales, mais il rejette leur exclusivité comme principe organisateur. C’est sans doute ici que le préfixe « néo » fait le mieux valoir son utilité. On aura du mal à ne pas admettre que le léninisme « vintage » se moquait comme d’une guigne des autonomies locales – quand, en fait, il ne cherchait pas tout bonnement à les écraser. Parmi les douloureux enseignements du léninisme historique, l’annihilation de toute vie locale autonome a été l’un des corrélats désastreux de la centralisation étatique totalitaire – une sorte de modèle de ce qu’il ne faut pas refaire. Un néo-léninisme aura donc le devoir de s’intéresser aux expériences locales, non pas par respect poli des curiosités mais comme source de sa vitalité même. Alors il se reconnaîtra le devoir rationnel de les faire prospérer autant qu’il le peut. Pour autant, il considère qu’une formation sociale est autre chose qu’un archipel de communes. Pourquoi ? Parce que seul un ensemble de taille et d’intégration suffisantes est capable de soutenir un niveau de division du travail en-dessous duquel on ne descendra pas.
Bien sûr ce sera un niveau de division du travail qui en rabattra considérablement par rapport à la division du travail capitaliste – l’urgence terrestre l’impose –, mais qui n’en sera pas moins très supérieur à ce que pourrait soutenir une division du travail communaliste. Sortir du capitalisme ne signifie donc en aucun cas congédier la catégorie de mode de production. Le communisme aura à être un mode de production, tout simplement parce que les humains auront toujours à produire collectivement les moyens de leur vie matérielle, et à produire les moyens de cette production. Et c’est cela en quoi consiste un mode de production. Communes, expériences locales, s’insèrent parfaitement dans ce mode de production et dans sa division du travail. Mais elles ne sauraient l’épuiser.
Et voici la deuxième ligne de fracture au sein de la gauche : après celle qui séparait, si l’on veut, affirmation d’une visée et antipolitique de l’intransitivité, ou, pour le dire autrement, position d’une direction et conjuration de la direction, la deuxième ligne de fracture sépare, d’un côté, proposition alternative globale macroscopique et, de l’autre, autosuffisance du principe localiste d’autonomie. Et, de même que l’intransitivité finit par tourner en impuissance, l’exclusivité du localisme tourne, elle, en « escapisme ». L’escapisme est une tentation très forte dans notre gauche : on déserte, on s’en va, on laisse le capitalisme derrière nous – on se soustrait. Mais justement, et toute tautologie mise à part : si on laisse le capitalisme derrière nous, le capitalisme… reste derrière nous.
J’en suis venu à penser que l’escapisme n’a eu de succès que comme solution par défaut, une solution de résignation face à l’énormité de l’obstacle. C’est-à-dire la seule solution qui reste quand l’idée de renverser le capitalisme s’est établie dans les esprits comme un impossible radical – tout le monde a en tête la phrase de Jameson –, et que, de fait, on en abandonne le projet. Or nous savons que la situation terrestre est telle que le contournement par désertion n’est plus une option. Et nous savons aussi que le charme de la vie dans les cabanes, ou de la vie dans les arbres – parce qu’on entend beaucoup de poésie sur toutes ces choses –, ce charme, donc, ne fait pas un mode de production. Pour le dire de manière beaucoup plus prosaïque : si on tombe de l’arbre et que la fracture est mauvaise, on ne va pas s’en tirer avec un cataplasme de mousse ou une décoction de racines. On va se finir à l’hôpital du coin, dans un appareil d’imagerie qui sera sans doute siglé General Electric.
La question est de savoir si on laisse l’imagerie à General Electric ou pas. L’escapisme n’a pas le choix. Le communisme, lui, dit que non. Et ça, c’est la visée macroscopique d’un mode de production. Mais d’un mode de production qui fait entrer la question des forces productives dans un régime historique entièrement neuf. Le néo-léninisme ne se désintéresse certainement pas de la question des forces productives. Il sait qu’il aura à les maintenir à un certain niveau, qu’il n’aura pas besoin que d’amis des arbres mais aussi d’ingénieurs, de techniciens, de scientifiques. Mais il sait aussi ce que, jusqu’ici, la production matérielle a fait à la planète, à quelle extrémité elle l’a portée. Aussi le néo-léninisme se conçoit-il sans contradiction comme un communisme des forces productives radicalement ennemi du productivisme. Le productivisme, c’est la production entrée dans un régime d’intransitivité – produire pour produire –, et dans un régime d’absolutisme – la production matérielle absorbant la totalité de l’activité humaine. C’est pourquoi, s’il est un mode de production, le néo-léninisme ne perd aucunement de vue les nouvelles contraintes et les nouvelles finalités autour desquelles il s’organise : les contraintes de la situation terrestre, et les finalités du développement des puissances non-matérielles de la vie humaine.
Frédéric Lordon
]]>2021-06-11T08:21:50+00:00lemarteausansmaitretag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-10:/14143Face aux crises, il est urgent de penser une éthique des métiers de la communicationÀ la suite d’une journée d’étude sur la crise de la communication,...]]>À la suite d’une journée d’étude sur la crise de la communication, des étudiants et des enseignants du Master Conseil éditorial (Sorbonne université),...
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Ayant constaté que la première rencontre de quinze personnes du dit séminaire écologiste s’était tenue sans masque en intérieur ni aération des pièces ni déplacement des réunions à l’extérieur, je m’étais adressée en privé à l’organisateur (dont je tairai le nom, le sien et ceux des suivant·es, par charité et pour ne pas réduire le débat à quelques figures puisqu’il nous concerne tou·tes), lui demandant quelles mesures seraient prises. Celui-ci ne m’avait pas répondu puis avait diffusé les instructions fort sévères de la fondation qui nous accueillait gracieusement. (Fort sévères mais un peu limitées puisque les femmes qui assuraient le service des repas sur des tables en demi-jauge et disposition « en quinconces » refermaient les fenêtres que j’avais ouvertes à fin de prévention, même en l’absence de courant d’air. Bien que l’aération soit un geste de réduction des risques aussi important que le port du masque, il ne figure pas dans tous les protocoles.) Or, une fois sur place la moitié des participant·es a tombé le masque en intérieur, petit à petit presque tout le monde a suivi et à la fin nous n’étions plus que quatre à le porter. Signe que le port du masque n’est pas un choix individuel, d’abord parce qu’il s’agit non pas de se protéger soi mais les autres d’une éventuelle contamination et parce que les efforts sont plus faciles à faire quand ils sont partagés, quand nous sommes d’accord sur un objectif commun : ne pas nuire aux autres, celles et ceux qui sont présent·es et leurs contacts plus ou moins proches qui pourraient contracter la maladie par notre faute.
Personne n’a mis la question sur la table et il n’en a été question que dans des bribes de conversation. M., qui porte le masque au début, me corrige quand je parle de « libéralisme sanitaire » car pour lui il s’agit à proprement parler d’une attitude libertarienne. B. m’explique qu’il porte différents masques selon la situation, notamment un FFP2 dans les transports en commun pour ne pas être contaminé. Étrangement, il porte ici en continu un masque peu efficace alors que la situation me semble bien plus risquée que dans le métro. T., qui porte lui aussi le masque au début, a été cloué au lit deux semaines entre nos deux rencontres et il ne le souhaite à personne. Il n’a été question de porter le masque pour ce groupe que quand se sont imposées les exigences de l’extérieur : l’injonction du coordinateur lors d’une visite des gendarmes puis le recadrage musclé du cuisinier sur le port du masque pendant les déplacements dans la salle à manger, avec rappel des risques de fermeture administrative des lieux. Nous ne sommes pas chez nous – mais cela n’empêche que nous fassions ce que nous voulons tant que la menace de coercition reste abstraite. Le respect pour les choix de la fondation qui nous accueille royalement compte pour rien dans la balance de nos choix.
« Oui mais au final personne n’est tombé malade. » En effet, il est possible que personne ne tombe malade suite à ce séminaire. Mais cela désavoue-t-il feue notre vision du risque et du principe de précaution ? La dernière fois que j’ai regardé, c’est les élites productivistes qui étaient riscophiles, qui se satisfaisaient que des catastrophes nucléaires aient eu lieu ailleurs mais pas en France pour prédire que ça n’arriverait jamais chez nous (quand bien même nous avons fait l’expérience d’incidents mineurs et très nombreux). Ces hommes bourgeois qui nous gouvernent ont été élevés dans des milieux protégés, ils ont bénéficié toute leur vie d’une belle assurance (matérielle et morale), ils prennent des risques dont ils sont les derniers à subir les éventuelles conséquences. Ils chient depuis des décennies sur le principe de précaution et moquent les craintes excessives des écologistes – quand bien même elles finissent inéluctablement par être justifiées et quand bien même l’« heuristique de la peur » qui les fonde serait bien plus fine que les caricatures qui en sont faites.
Ce principe de précaution ne semble plus une vision partagée de l’écologie politique. Dans les milieux écologistes que je fréquente, cette dernière année nous avons annulé des rencontres, nous en avons organisé certaines avec un niveau élevé de réduction des risques et d’autres sans aucun geste de précaution (ni aération, ni port du masque, densité de participant·es élevée). Nous n’étions visiblement pas tou·tes sur la même ligne. Sans surprise, ce sont les endroits où aucune mesure n’a été prise qui ont contaminé leurs participant·es, pas les autres. À ma connaissance personne n’en est mort·e directement, il n’a été question que de sales crèves, de semaines passées au lit, de toux qui durent des semaines, d’isolement et de dépression. Et de contribution à la circulation d’une maladie qui a tué plus de 100 000 personnes dans le cours d’une année, soit deux fois plus que la pollution de l’air. On s’en fout ? On s’en fout, disent certain·es, ces personnes sont majoritairement vieilles et elles ont eu une belle vie (manière de dire qu’elles sont désormais improductives). Maintenant c’est aux enfants et aux jeunes qu’il faut penser et ils doivent apprendre la liberté absolue de rester le nez à l’air même si papi doit en crever. Qu’importe que ce qui fait notre humanité, ce soit le soin aux personnes vulnérables. On a trouvé des restes humains qui montrent que des groupes préhistoriques s’encombraient de vieux inutiles qui marchaient avec difficulté mais aujourd’hui, jusque dans les discours écologistes, la vie de ces personnes semble de trop. Surnuméraires, les vioques. Adios les boomers (je précise que lors du séminaire des septuagénaires acceptent de se mettre en danger par négligence ou politesse). Sous prétexte de prioriser la jeunesse, on sacrifie la vieillesse (et les gros·ses et les immunodéprimé·es et les malades chroniques, etc.). Et l’on parle de confiner les vieux, tiens, comme si c’était simplement faisable de confiner les vieux mais aussi leurs soignant·es, les familles de leurs soignant·es, sans réinventer la léproserie. Sans laisser des personnes mourir d’isolement et comme si se priver de leur compagnie était moins rude que de se contraindre à mettre un bout de tissu sur sa gueule.
Telle qui par ailleurs nous offre des analyses fines et documentées de la société industrielle s’insurge cette année dans Reporterre : pourquoi doit-on mettre un masque quand on n’est pas malade ? Rappelons-lui que le Covid est souvent asymptomatique (les malades s’ignorent donc), que la période de latence avant que les symptômes apparaissent est entre une et deux semaines, et enfin que les tests ne sont probants que sept jours après un contact. Nous ne connaissons pas notre état de santé lors de contacts alors oui, les libertariens US ont raison au moins sur un point, le masque est un face condom, une capote pour le visage. De même que nous prenons des précautions qui s’avèrent parfois inutiles dans nos rapports sexuels avec de nouveaux/elles partenaires, de même il nous appartient de lutter contre la circulation de ce virus en prenant cette précaution. Comme beaucoup, je ne souhaite pas que nos mesures de précautions incluent l’abstinence, en réduisant notre vie sociale (c’est la pire option, la mesure de dernier recours) mais en la menant avec des gestes simples, pas spécialement agréables mais au fond peu contraignants. Comme porter un masque ou ouvrir une fenêtre.
Depuis mai 2020 je suis étonnée de voir les critiques se focaliser sur un bout de tissu (« alors, tu es pour ou contre le masque ? » me demande un auteur anti-indus pourtant plus fin que ça d’habitude, comme si le rapport coût-bénéfice du masque était le même partout, comme si on pouvait aimer le masque en soi). La gestion des circulations dans les espaces intérieurs est autrement plus infantilisante (et inutile, on ne chope pas le Covid en croisant une personne infectée) et en matière de libertés publiques, rappelons que la lutte contre un arsenal de lois autoritaires est autrement plus importante que nos nez à l’air. Cerveaux non disponibles fait le point ici sur l’activisme anti-masque : « Le masque permet de limiter la propagation du virus », point final, alors abandonnons cette cause à l’extrême droite qui s’en est emparée, nous avons de plus belles luttes à mener. D’autres voix non-autoritaires s’élèvent ici, là et là encore pour rappeler aux activistes anti-masque qui prétendent avoir des valeurs de solidarité que tout le monde n’a pas de revenu régulier ou de protection sociale et que tomber malade peut mettre en difficulté une personne en auto-entreprise ou qui travaille au noir, leur rappeler aussi que certain·es d’entre nous ont une santé plus fragile, que d’autres vivent entassé·es dans des foyers ou des squats ou des prisons et que cette promiscuité fait mathématiquement exploser le risque d’être contaminé·e. Aux USA, les personnes noires ont été plus touchées par l’épidémie et sans surprise ce sont elles qui demandent les mesures de protection les plus fortes, elles qui sont le plus rétives à renvoyer leurs enfants à l’école. Mais en France des membres (écologistes radicaux) de la petite bourgeoisie enseignante incitent dans leur déclaration « leurs pairs à utiliser toutes les marges de manœuvre dont ils disposent pour alléger et réduire le port du masque à l’école ». Peut-être parce que quand on aime son métier, il faut accepter comme une fatalité de passer trois semaines à cracher ses poumons ? Peut-être parce qu’ils et elles n’ont pas compris que les gosses qui se mélangent à l’école ont aussi des familles, une maman en surpoids, un papa malade, une mamie qui fait partie de leur vie, qu’on le veuille ou non ?
Au fond, quelle est leur proposition ? Ni la vaccination, apparemment, ni l’acceptation de la maladie comme une punition divine, façon témoins de Jéhova, mais alors quoi, le déni ? Il n’y a pas eu de morts du Covid ? T. n’est pas resté deux semaines au lit, je n’ai pas toussé pendant trois semaines, mon ami n’a pas passé un mois sous respirateur, mes amies n’ont pas vu leur père mourir de syndromes respiratoires aigus ? Ou bien prônent-ils et elles encore l’immunité de groupe ? Le truc que Boris Johnson, grand leader écologiste anti-autoritaire s’il en est, a été contraint d’abandonner devant l’ignominie que constituait le refus de soin aux personnes en détresse au motif que les places sont toutes occupées ? Ou bien de multiplier par dix puis vingt puis trente les capacités d’accueil hospitalières en formant du personnel soignant en quelques semaines, qualité de soin garantie ? Le nombre de cas, d’admissions hospitalières et de morts sont étroitement corrélés et plus on laisse la maladie filer jusqu’au nombre d’admissions encore possibles (comme ce fut le choix de Macron cet hiver), plus on accepte qu’une proportion significative et toujours à peu de choses près égale de personnes en meure. Ou comment le discours qui condamne bien légitimement l’austérité en matière de soins ne tient plus dans le cadre d’une politique de santé humaniste et non-malthusienne. (Et on risque d’autant plus d’offrir au monde, aux pays qui ont encore moins de moyens que nous pour lutter contre la maladie, des variants inquiétants.)
La critique de la dictature sanitaire n’implique pas un libéralisme sanitaire et l’abandon de chacun·e à ses contraintes plus ou moins merdiques, façon « les sans-pap n’ont qu’à arrêter de s’entasser en Seine-Saint-Denis et venir dans le Tarn mener comme nous des activités vivrières ». Cette critique peut aussi se traduire en une démocratie sanitaire. J’entends bien que les comportements puérils sont une réaction à une gestion autoritaire, vexatoire, violente, inhumaine, cynique, inéquitable, monarchique et pour toutes ces raisons peu efficace de la crise sanitaire. Mais nous n’avons pas à entrer dans un jeu qui justifie l’autoritarisme de papa Macron. Quand on ne souhaite pas être infantilisé·e, le meilleur moyen est justement de ne pas se comporter comme un enfant (dès qu’on ne nous enferme plus chez nous, c’est le retour des sans masque dans le métro et les lieux publics fermés, comme si nous ne comprenions que la trique). Le meilleur moyen est de s’administrer soi-même, de reconquérir son autonomie. J’ai la faiblesse de penser que celle-ci ne peut être que collective. Et qu’elle passe par une information de qualité (disponible ici ou là), par la délibération et par la prise en compte dans nos arbitrages des plus fragiles d’entre nous, économiquement, physiologiquement et psychologiquement, sans postuler que nous sommes tou·tes un membre de la petite bourgeoisie protégée, en parfaite santé et dans la force de l’âge. Gwen Fauchois, dès le 12 mars 2020, nous rappelait quelques leçons de la pandémie de Sida. Nous n’avions pas à chercher très loin.
Notre séminaire écologiste était une micro-société capable d’arbitrer entre la contrainte et le bénéfice sanitaire, au regard de ce que nous savons de la diffusion du virus et sans obéir à des règles sanitaires dictées par en-haut selon des critères qui ne sont pas les nôtres (contrainte minimale sur les activités économiques et maximale sur celles qui ne coûtent rien qu’humainement (3)). Tout dans notre protocole était discutable – hors de la salle à manger, domaine où la fondation faisait appliquer ses (pauvres) règles. Mais nous n’avons pas seulement parlé du virus en amont ou en plénière, nous avons fait comme s’il n’existait pas, ne prenant pas même la peine d’ouvrir les fenêtres de la grande pièce où nous étions trente-cinq alors que c’était un geste qui n’entraînait aucune perte de confort thermique ou phonique. Mélange d’ignorance (qu’une communication sanitaire indigente a contribué à entretenir), de déni et d’égoïsme à courte vue, soit les grandes valeurs des défenseurs de l’automobile, ceux-là même que nous prenions à partie en leur mettant sous le nez 48 000 morts précoces. Ceux-là même qui nous disaient « Je m’en fous, j’assume » quand nous parlions de pollution de l’air. Nous voici à leur place, avec les mêmes mauvais arguments, la même mauvaise foi qui le dispute à la simple ignorance, le même refus de négocier en quoi que ce soit son mode de vie, de faire le moindre effort pour aménager sa vie pour le bien de tou·tes. Voilà qui nous fait dégringoler de notre piédestal de militant·es bien-pensant·es, très fier·es d’être une minorité à la grande valeur morale, moquée par le plus grand nombre. Mais au fond nous sommes des cochons comme les autres. Grouiiiik !
NB : Oui, j’ai déjà abordé plusieurs fois ici chacune de ces questions, suivre le tag Covid-19. La gestion gouvernementale me fout en colère autant que notre incapacité à gérer collectivement cette crise. Les valeurs politiques et morales dont tout cela témoigne de la part de personnes et de groupes avec qui je pensais en partager quelques-unes me font vomir et c’est comme ça que je gère ma colère, mon désarroi, ma honte et mon dégoût.
(1) L’étude a été actualisée cette année et il est question désormais de 40 000 morts. Les causes sont diverses, parmi lesquelles le chauffage des maisons, les épandages agricoles et surtout les transports.
(2) Nous autres, c’est ce tas qui se pense majoritaire et ne prend jamais la peine de se définir. Blanche, éduquée, petite-bourgeoise, je pense y appartenir mais je suis parfois surprise de constater que les femmes n’y sont pas vraiment intégrées.
(3) Le refus du gouvernement français d’entendre que le virus se transmet par les aérosols et non par les mains tient à plusieurs facteurs dont le plantage sur les masques au printemps 2020 ou le fait que le gel hydro-alcoolique est moins cher que l’investissement dans des capteurs de CO2 et systèmes de ventilation. Ou que l’obligation inutile, vexatoire et idiote du port du masque en plein air est moins chère que la fermeture des restaurants et des bars en intérieur. Rozenn Le Saint fait le point dans cet excellent article.
]]>2021-06-09T06:35:08+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-09:/14098Pauvre petit BlancAutour de Sylvie Laurent, Pauvre petit Blanc, Éditions de la MSH, 2020, 320 pages, 12 €...]]>Autour de Sylvie Laurent, Pauvre petit Blanc, Éditions de la MSH, 2020, 320 pages, 12 €
« Amérique : L’exalter quand même, surtout quand on n’y a pas été. Faire une tirade sur le self-government. » Voilà ce qu’il fallait penser des États-Unis du temps de Flaubert. Aujourd’hui il est de bon ton de déplorer tout ce qui nous arrive d’Amérique du Nord avec dix ans de retard, un peu moins depuis que les idées traversent l’Atlantique en moins d’une seconde. C’est bien connu, tout ce qui nous vient d’Amérique, plus précisément des campus états-uniens, est haïssable. Le vulgarisateur de philosophie Pascal Bruckner n’avait il y a quelques semaines à la radio (1) pas de mots assez durs contre l’expression male gaze, forgée par Laura Mulvey dans les années 1970 et très en usage de nos jours chez les féministes françaises. Si l’on traduit comme il le fait gaze par regard, l’expression n’a pas lieu d’être utilisée en français, si ce n’est pour faire croire qu’on a lu Visual Pleasure and Narrative Cinema en VO. Sauf que le regard, c’est look en anglais, et que gaze est un regard appuyé qui correspond à notre verbe fixer. C’est un universel anthropologique (valable même au-delà de la barrière des espèces) : un regard appuyé est a priori agressif, on ne regarde pas autrui comme on regarde un bout de gras. C’est pourtant comme cela que les hommes s’accordent le droit de regarder les femmes, au motif de leur seul plaisir scopique et sans considération pour ce qui n’est que l’objet de leur regard. J’ai tenté un jour une traduction en français de male gaze, pour faire plaisir à Bruckner, et j’ai risqué relougarder, un mot-valise à la québécoise moyennement satisfaisant… Oui, c’est vrai que nous féministes utilisons beaucoup de mots et de concepts nés aux USA. C’est vrai que c’est parfois ridicule quand cela semble mal plaqué sur la France (le « pro-sexe » à la française, l’« inclusivité » à la française) ou que l’anglais est mal prononcé ou sert de critère de distinction sociale. Mais c’est vrai aussi que les USA accueillent beaucoup de chercheurs et chercheuses de partout, d’Amérique du Sud, d’Inde et même de France… Ça bouillonne et le résultat est partagé avec le monde entier.
Les milieux en faveur de la justice sociale (féministes, anti-racistes, etc.) ne sont néanmoins pas les seuls à importer idées et pratiques des États-Unis. « La devise "protéger et servir" est de plus en plus utilisée pour parler de la police française. Seulement, la devise de la police nationale est "pro patria vigilant" ("pour la patrie ils veillent"). » (Le Bolchejuif sur Twitter). « To Protect and to Serve » est la devise du département de police de Los Angeles, imité par d’autres départements US… et désormais très informellement par des individus et des institutions françaises (par exemple le lycée d’Auch, dans le Gers, suite à un stage de sécurité routière avec des gendarmes). Autre importation des « campus américains », la mauvaise habitude de faire irruption dans les hémicycles, comme ce 25 mars à la région Occitanie, dix semaines après l’extrême droite US au Capitole mais version cassoulet, voir le tweet revendiquant cet acte de sédition par l’Action française, association toujours pas dissoute ni même évincée de la plate-forme comme le fut Trump en janvier.
Puisque la France a les yeux rivés sur l’Amérique, autant s’informer aux meilleures sources, comme avec l’ouvrage de Sylvie Laurent, Pauvre petit Blanc. Laurent est historienne et américaniste, et avec elle nous reprenons l’histoire du conflit racial aux USA. Au départ, il y a la colonisation, l’esclavage d’Africain·es déporté·es et les migrations d’Européen·nes pauvres. Même « engagé·es », soit sous statut servile, ces dernier·es bénéficient d’un statut supérieur. Suite à la guerre de Sécession, l’égalité des droits hésite, comme si elle était inacceptable aux yeux des Blanc·hes, comme si ce pays était le leur. Suite au mouvement des droits civiques dans les années 1960, les discriminations les plus flagrantes sont interdites et l’idée s’installe que désormais le problème est réglé. Nous sommes deux générations plus tard et des politiques d’affirmative action ont même tenté de compenser certaines inégalités mais celles-ci demeurent : les Blanc·hes ont en moyenne accumulé des patrimoines dix fois supérieurs à celui des familles noires, ils et elles ont 40 % plus de chances d’accéder aux études supérieures et deux ou trois fois moins de mourir sous les balles de la police. Malgré tout, à l’heure où écrit Laurent, alors que le mouvement #BlackLivesMatter de 2020 vient d’embraser l’Amérique et que le mandat de Donald Trump touche à sa fin, le déni de cette inégalité évidente est de mise. De plus en plus fort. D’où vient cette mauvaise foi ?
Les années 1960 ont été celles du parti démocrate. Nixon le renverse en s’appuyant sur un récit nouveau : les démocrates ont beaucoup donné aux minorités mais rien au petit peuple méritant (blanc), un électorat traditionnellement plus à gauche mais qui aurait été abandonné par son parti. Le républicain choisit de s’appuyer sur une base nouvelle, les Américain·es blanch·es catholiques ou juifs/ves, des classes perçues comme méritantes, travaillant dur pour accéder au rêve américain. Pendant ce temps, les Noir·es vivraient d’allocations. C’est un récit qui a le double intérêt de trouver aux mécontent·es un bouc émissaire et de dévaloriser des politiques redistributives. Ronald Reagan puis George H. Bush n’auront bientôt plus besoin de rappeler la race : pauvres, criminel·les, dépendant·es des aides sociales… ce sont les Noir·es, cela va sans dire. Cela va si bien sans dire que lors de l’avènement du leader nationaliste autoritaire, en 2016, les Blanc·hes pauvres qui pourraient bénéficier de droits aux soins de santé accessibles les refusent, pensant que cette politique ne leur est pas destinée (elle est pour les « pauvres »).
Qui donc racialise la question aux USA ? C’est la droite, pour évacuer la question sociale au profit du mérite individuel. Puis le stéréotype se fige, aussi faux soit-il (aucune welfare queen vivant dans le luxe en multipliant les fraudes aux allocs n’a jamais existé, c’est Reagan qui a forgé le personnage), et ceux qui ont prospéré dessus peuvent désormais se payer le luxe d’être aveugles à la couleur, fièrement universalistes, et de refuser tout rattrapage aux Noir·es. C’est un anti-sociologisme libéral qui justifie le tour de passe-passe et l’idée est florissante, jusqu’à aujourd’hui en France. D’abord la réalité des faits, établie par les sciences sociales, est ignorée, cachée par des clichés qui tournent en boucle à la télé et dans les discours des politiques. Ensuite le récit libéral se déploie : tout le monde est sur la même ligne de départ, il n’y a pas de contraintes, pas d’avantages, seulement une belle égalité, de droit comme de fait. Or on sait à quel point la pauvreté est héréditaire, que se transmettent de génération en génération aussi bien un patrimoine matériel qu’un capital social et culturel, qu’une aisance psychique et que les enfants de pauvres en sont privé·es. Cela court sur des générations parfois et nous n’en avons passé que deux depuis les années 1960. Déni des contraintes propres à certaines expériences sociales, illusion du mérite (le philosophe Michael Sandel y consacre un ouvrage récent) et… clichés racistes, encore, justifient désormais les inégalités.
La crise des opiacés, dans les années 2010, a souvent été comparée à celle du crack dans les années 1980. Celle-ci avait touché massivement des jeunes Noir·es mais c’était leur faute, c’étaient des dealers. Quand la crise des opiacés touche massivement des Blanc·hes, les excuses fleurissent, ce sont des patient·es victimes de l’industrie pharmaceutique et de médecins douteux (c’est vrai mais l’épidémie de crack avait aussi ses raisons sociales). Laurent raconte comment les clichés racistes entourent a priori les Blanc·hes d’un halo d’innocence et pour les Noir·es de vice. Au fond, les Blanc·hes se sentent menacé·es par les Noir·es. C’est un complexe ancien mais toujours renouvelé. Et depuis quelques décennies de néolibéralisme et de montée des inégalités au niveau national, donc également entre Blanc·hes, alors que la démographie des USA est en passe de leur enlever la majorité numérique, le ressentiment et la crainte de perdre le moindre avantage sur les Noir·es se muent en panique, quelle que soit sa position dans l’échelle sociale.
Ce conflit se déploie sur une vision confuse de la classe sociale (2). Laurent signale que l’une des contributrices au débat, professeure à Berkeley, a dans les années 2010 opportunément reformulé ses études sociologiques sur la « classe moyenne » en études sur la « classe laborieuse », plus présente dans les discours politiques… sans changer de corpus. Le sixième le plus pauvre des pauvres Blanc·hes déclassé·es, meurtri·es, appauvri·es par la mondialisation et mis en avant par tous les discours dominants pour leur contribution à l’accession de Trump au pouvoir, un sixième seulement gagne moins de 50 000 $ par an. À 7,25 $ le salaire minimum fédéral et un temps de travail de 3 000 heures par an (c’est beaucoup), une personne en bas de l’échelle des salaires gagnerait 22 000 $ annuels. Voilà un vote populaire qui n’a existé que dans l’imagination des conseillers politiques, complaisamment repris par les journalistes et validé par quelques universitaires déméritant·es : les électeurs et électrices de Trump avaient plus peur de perdre leurs avantages qu’ils et elles n’étaient les perdant·es de la guerre économique. D’ailleurs, aux USA comme ailleurs, les pauvres votent peu.
Laurent consacre beaucoup de pages à expliquer ce qu’est le privilège blanc, cette certitude de mériter les avantages dont on bénéficie et la crainte d’un jeu à somme nulle où un rattrapage des populations noires nuirait mécaniquement à ses intérêts de classe. L’historienne ne psychologise néanmoins pas à outrance la mauvaise foi et le refus de toute remise en cause de la part des membres d’un groupe social politiquement et économiquement dominant mais hétérogène. Et c’est heureux, puisque cette vision individualiste et moralisante a pris beaucoup d’importance dans les milieux radicaux. Qu’importe donc pourquoi cette militante républicaine, dans le documentaire Hello, White Privilege. It’s Me, Chelsea (Chelsea Handler, 2019, sur Netflix en ce moment), a besoin de ne pas céder et préfère dire que les Noir·es ont des « non-privilèges » plutôt que d’admettre que les Blanc·hes aient ces privilèges.
L’autrice finit sa longue histoire des relations de race aux États-Unis sur la montée de l’extrême droite dans ce pays, qu’elle met en partie sur le compte d’un backlash suite à l’élection de Barack Obama. Elle consacre aussi quelques pages à ses liens avec l’environnementalisme américain, conseil de lecture maintenant qu’écologie politique et survivalisme d’extrême droite convergent parfois. Alors que depuis des décennies la race se cachait derrière la classe, dans une vision par ailleurs confuse des rapports socio-économiques, cette extrême droite (dont des membres de l’élite républicaine, politiques et universitaires, ont fait le lit) est plus frontale. Son prisme principal est la race. Au moins les choses sont redevenues claires. Le propos est riche (cette chronique y fait encore moins honneur que d’habitude), les traductions sont précises et élégantes. Voilà un livre à lire de toute urgence avant de sortir ses idées reçues sur l’Amérique…
(1) Le pauvre vieux se plaignait, dans une émission où il est invité tous les quatre matins depuis trente ans, d’avoir entendu l’expression à la radio et d’avoir compris « merguez ».
(2) Il faudrait parler un jour du flou autour de la classe sociale, des mots pour la nommer, flou qui va jusqu’à son auto-détermination… Une chanteuse queer dit porter en elle la mémoire de la classe ouvrière. Mais de loin, alors, puisqu’elle est fille de profs (d’université, pour papa). L’activiste radical Thomas J’aurais est décrit sur le site de Pièces et main d’œuvre (dans la présentation de la brochure où je suis sa cible principale, « Alors du coup ») comme « un jeune gars de milieu populaire, arrivé d’Amiens »… Il y a fait, comme il s’en est souvent vanté, le lycée dans la même boîte à bac privée catholique que Macron, cet autre provincial de classe laborieuse. Après le genre (voir mon ouvrage La Conjuration des ego), après la race (voir Rachel Dolezal), la classe socio-économique n’est désormais plus un fait social mais une identité laissée au choix ou à l’appréciation des individus.
]]>2021-06-09T06:14:56+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-08:/14015Les artistes sont aussi des travailleurs — discussion avec Convergence des Luths [1/2]Entretien avec le collectif de musiciens Convergence des Luths.
L’article Les artistes sont a...]]>Entretien avec le collectif de musiciens Convergence des Luths.
]]>2021-06-05T12:00:08+00:00Ballasttag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-08:/13971Bulletin épidémiologique – Semaine 22du 31 mai au 06 juin 2021 Ensemble des soins critiques : soins de réanimation (SR), surveill...]]>du 31 mai au 06 juin 2021 Ensemble des soins critiques : soins de réanimation (SR), surveillance continue (SC), soins intensifs (SI). Retours à domicile. Au moins 1 dose. Résumé de la situation actuelle: L’amélioration des indicateurs hospitaliers se poursuit, à un rythme sensiblement similaire ou supérieur à la semaine précédente, à l’exception des nouvelles… Lire la suite »Bulletin épidémiologique – Semaine 22
]]>2021-06-07T10:14:00+00:00David Simardtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-08:/13982L’art du vide« Si mon mépris était une source d’énergie, la nuit n’e...]]>« Si mon mépris était une source d’énergie, la nuit n’existerait plus.«
Loin de votre serviteur l’idée de contredire cette brillante conclusion, puisqu’en ces temps aussi stupides qu’absurdes, la métaphore est juste.
Hélas, il faut croire que l’artiste n’a pas compris la pertinence de sa déclaration, puisque se prenant très au sérieux, il n’hésite pas à comparer ses œuvres à des représentations divines. Qu’il souhaite louer, au nombre maximum de sept à de grandes villes qui… l’ont déjà contacté pour ce faire, comme par exemple, New York.
Bien.
Passons sur l’artiste qui dit et fait n’importe quoi : c’est un classique. Brasser du vent, c’est un peu comme briser le tabou du clitoris : dans le milieu artistique, si ça n’arrive pas trois fois par semaine, c’est que les subventions sont en retard.
Passons aussi sur l’acheteur qui nous confirme que la fable des Habits neufs de l’empereur est plus vraie que jamais : certains sont prêts à payer du rien pour mieux prétendre que si, il y a quelque chose, mais seuls les gens intelligents comme eux peuvent le voir. Un peu comme les malheureux qui ont acheté les DVD de Lost, mais là n’est pas le sujet.
Non, le vrai sujet est : à quel moment est-on arrivé à un tel niveau de médiocrité générale que nous avons des décideurs, de Milan à New York, prêts à claquer du pognon pour exposer du rien ?
Surtout qu’hélas, ce n’est pas la première fois. Revenons sur de grands moments de vent à faire pâlir un marin.
En 1958, Yves Klein proposait ainsi déjà une exposition dite du Vide. Qui ne l’était pas entièrement, puisque le filou sortait quand même son pot de peinture et une ou deux lampes pour tenter, au moins, de dire qu’il exposait un truc. Un effort colossal, comparé à la suite.
En 1993, Bethan Huws va ainsi plus loin en décidant d’exposer du rien dans Haus Esters Piece. Par contre, Bethan Huws demande quand même du vrai pognon pour le travail prodigieux qu’elle a dû fournir à cette occasion. Ce qui pour bien des gens ressemble à une arnaque est alors sobrement appelé un concept dans les même milieux qui appellent une bonne affaire un appartement de 20m² à 350 000€ avec vue sur la colline du crack.
En 2006, c’est un certain Roman Ondak qui avec More Silent Than Ever propose une pièce vide dans laquelle c’est au spectateur de chercher s’il y a une œuvre ou non. On pourrait se demander au passage si l’auteur a du talent ou non, mais personnellement, je n’ai pas eu à chercher longtemps pour trouver la réponse.
Rappelons que l’ensemble du contenu de ces expositions était inférieur à celui d’une dissertation de Kilyan, élève de CM1 à l’école Loana Petrucciani d’Etretat, mais malgré tout, en 2009, le Centre Pompidou a décidé de faire une rétrospective de tout cela, Vides, dans laquelle vous pouviez aller vous régaler devant des photos de rien, de 1958 à 2009.
Les scientifiques qui me lisent apprécieront donc de savoir qu’une division par zéro a ainsi été opérée en 2009 au cœur de Paris.
Vendre du vide n’est donc pas chose neuve. L’acheter avec le sourire l’est un peu plus. Et confirme que nous vivons une époque formidable où de petits bourgeois qui s’ennuient ferme en sont réduits à acheter des sculptures invisibles pour essayer de faire croire qu’ils sont plus malins que leurs voisins. Difficile de leur vouloir, tant il en va de la vie comme du poker : quand on n’a rien pour soi, il ne reste que le bluff.
Et puisqu’ils sont joueurs, je propose de l’être aussi.
En effet, si l’art invisible et intangible s’officialise, cela ouvre désormais quantité de possibilités ! Car quitte à vivre dans un monde de médiocres, pourquoi ne pas en profiter ? Voyez plutôt.
Le procès en contrefaçon
Un artiste propose une œuvre invisible ? Attaquez-le en expliquant qu’il a tout pompé sur la vôtre ! D’ailleurs, vous pouvez le prouver, photo à l’appui. Regardez par exemple, ci-dessous, voici l’œuvre de Salvatore Garau exposée à Milan et intitulée Buddha in contemplazione.
Et maintenant, voici mon œuvre, intitulée L’éthique de Gérald Darmanin.
Je demande donc très officiellement 200 000€ de compensation pour le préjudice subi, ainsi que la destruction de l’œuvre originale, devant huissier, qui devra attester qu’il a bien vu ladite œuvre être mise en pièces.
Bien sûr, l’huissier ne pouvant rien voir, il est possible de ré-attaquer un artiste de l’invisibilité à l’infini. À la limite, si vous êtes taquin, vous pouvez même l’accuser d’avoir détruit une copie. Au bout d’un moment, l’artiste visé devrait finir à Fleury-Mérogis à découvrir les performances artistiques de ses codétenus autour du thème Flûte, ça glisse.
LE VOL
Vous avez produit une œuvre invisible et vous ne la retrouvez pas ? Accusez quelqu’un de vol, preuve à l’appui. Tenez, par exemple, je suis particulièrement fier de ma sculpture intitulée Les connaissances scientifiques de Jean-Marie Bigard, où une muse invisible chuchote à l’oreille d’un personnage invisible (mais avec de la couperose). Sauf que ce matin, impossible de la retrouver. Qui diable me l’a volée ?
J’en étais sûr ! Un vol ! Et ainsi, prouvé : on reconnait parfaitement l’objet !
En plus, c’est pas la première fois qu’on me la vole, ça commence à bien faire, comme le prouve cette autre photo qui rappelle que mon œuvre est d’une valeur historique inestimable puisque de par sa nature intangible, elle n’est pas affectée par le temps et avait déjà été piquée par des gens vaguement connus.
À vous, donc, la joie de récupérer du pognon et d’envoyer au trou tous vos voisins en les accusant de vous avoir piqué vos intangibles affaires. Et si jamais la défense tente de retourner les accusations contre vous, revenez à l’étape précédente : dites que non, ça, c’est l’original. Votre original. L’œuvre de l’autre c’est une copie. Donc hop, procès en contrefaçon, ça t’apprendra, rabouin.
LE VOL, MAIS DANS L’AUTRE SENS
Vous avez toujours rêvé d’être Arsène Lupin ?
Plus de problème avec l’art intangible ! Il vous suffit d’envoyer une lettre à la police dans laquelle vous expliquez que « Ce soir, à minuit, je volerai l’œuvre de Salvatore Garau au beau milieu de Milan !« , et de signer le tout Arsène Lupin (vous pouvez même coller une photo d’Omar Sy pour semer la confusion), et vous causerez de sérieux problèmes à tout ce petit monde.
Doivent-ils mettre des policiers tout autour de l’œuvre ? S’ils ne le font pas, n’est-ce pas reconnaître que l’œuvre n’existe pas et qu’il s’agit donc d’une arnaque ? Vous pourrez donc, à loisir, mobiliser de pauvres carabinieri pour garder un mètre carré de sol italien qui n’en demandait pas tant, avant de déclarer à minuit que votre forfait est accompli, photo à l’appui.
De là, vous ne pouvez que gagner :
Si on vous dit que vous n’avez pas l’œuvre, vous pouvez dire « Pourtant vous la voyez bien sur la photo ! » et dire le contraire serait admettre qu’elle n’existe pas et qu’il n’y a aucune œuvre ici, plombant le discours du propriétaire.
Si on vous accuse d’avoir l’œuvre, vous aurez pris soin de prouver que le soir du vol, à minuit, vous étiez avec 80 témoins sous la caméra de surveillance du Macumba en train de danser, et donc, pas du tout à Milan. Vous ignorez donc tout de l’identité du mystérieux monte-en-l’air qui s’est emparé de tout cela !
Le crime parfait : soit on admet que l’œuvre n’existe pas, soit il est impossible de vous la reprendre puisqu’introuvable, tout comme votre culpabilité est improuvable.
Alors, vous me direz « Oui mais s’ils utilisent la technique précédente pour dire qu’on me voit sur plein de photos avec l’œuvre volée » ?
Facile : s’ils utilisent la méthode précédente, c’est qu’ils admettent que c’est du foutage de gueule. Donc, que vous n’avez rien volé. CQFD.
LE DROIT À L’IMAGE
Si vous n’avez pas envie de vous ennuyer avec des histoires de vol, faites simplement jouer votre droit à l’image. Par exemple, mettons : je suis allé au Louvre. J’ai très bien pu y égarer mon œuvre (que je promène souvent, je suis comme ça, c’est de l’art, vous ne pouvez pas comprendre). Mais quelle surprise de découvrir que le Louvre l’expose sans autorisation ! Pire encore : que c’est l’une de ses plus grandes attractions, comme on le voit sur ce cliché !
Je pense pouvoir demander au musée de fabuleuses compensations, étant donné son emploi de mon incroyable travail. En plus, ça va faire monter la valeur de toutes mes autres productions.
Bon, notez que là j’ai pris le Louvre. Mais tentez la technique au Centre Pompidou : comme l’exposition de 2009 le prouve, eux sont incapables de nier qu’ils ont bien une œuvre invisible sous les yeux. Donc soit ils vous paient, soit ils admettent qu’ils ont exposé de la daube.
L’ACCUSATION
Vous n’aimez pas un artiste de l’invisible ?
Expliquez d’un air choqué que sa dernière œuvre comporte un caractère tout à fait scandaleux. Homophobe, transphobe, raciste, que sais-je : faites comme sur Twitter et indignez-vous. Et tout comme sur le célèbre réseau social, n’oubliez pas : l’important n’est pas que ce soit vrai. L’important est de pouvoir donner une sorcière à brûler à la foule en colère.
Si vraiment vous n’aimez pas l’artiste, n’hésitez pas à carrément sous-entendre que l’œuvre représente un prophète dont la seule mention provoque des grincements de dents dans l’assemblée. Je pense bien évidemment à Didier Raoult, mais si vous avez un autre exemple, n’hésitez pas à le dire pendant que je me recule prudemment de quelques mètres.
Voilà.
Grâce à l’art invisible, à vous les joies d’arnaquer des arnaqueurs – et leurs trop complaisants clients – en les forçant soit à vous payer, soit à admettre l’arnaque.
J’en profite, aimable lectorat : guettez les nouvelles. Car s’il se confirme que de grandes villes décident d’exposer très officiellement des œuvres d’art invisibles, je me ferai un plaisir d’être le premier à très officiellement signaler leur vol et à envoyer des photos du butin pour voir si la ville confirme que l’œuvre a disparu ou si elle fait semblant de rien pendant que je poste des photos de la bête faisant le tour du monde tel un nain de jardin d’Amélie Poulain. Aussi n’hésitez pas à me faire signe si vous voyez passer quelque chose, afin de se lancer dans une performance artistique qui fera rentrer l’art invisible dans une ère dadaïste inattendue.
Après tout, nous n’assistons ici qu’à un grand concours de mauvaise foi.
Ce serait criminel de ne pas participer.
]]>2021-06-07T06:34:17+00:00Un odieux connardtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-04:/13874Le dernier appelJe suis bon public. Je ris facilement. Je pleure facilement. Je suis bon public. Je reste, malgr&ea...]]>Je suis bon public. Je ris facilement. Je pleure facilement. Je suis bon public. Je reste, malgré tout, après toutes ces années, bon public pour les films hollywoodiens. Je suis vulnérable émotionnellement, et le cœur de métier d’Hollywood, notamment, c’est … Lire la suite →]]>2021-06-03T21:58:45+00:00prototypekblogtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-04:/13834Monstruosité de la femme qui a vieilliJe lis plusieurs journaux en ligne et mon regard se pose nécessairement sur ces fameux &laqu...]]>
Je lis plusieurs journaux en ligne et mon regard se pose nécessairement sur ces fameux « contenus sponsorisés ». La typo différente, les titres un peu loufoques, les photos toutes floues me font, sans même m'en apercevoir, glisser plus bas (et donc renoncer à savoir comment « acheter des actions sans payer de commissions » ou encore découvrir le « nouveau couteau japonais qui envahit les cuisines de France »). Récemment pourtant l'une de ces pubs, ou plutôt la récurrence de ce genre de pub, a attiré mon attention.
« Vous vous souvenez de Sophie Marceau ? C'est à cela à quoi (sic) elle ressemble à 54… » ; ou encore « « Anne-Sophie Lapix : son évolution physique en image » ; et plus direct « Vielle, ridée et moche : Laura Tenoudji durement ».
Des personnalités autour de la cinquantaine, dont on annonce la déchéance physique : sur la base de quelle ignoble étude de marché je ne sais quels ignobles responsables marketing ont-il abouti à la conclusion que le spectacle de ladite déchéance allait déclencher une avalanche de clics ?
Contempler la chute de femmes célèbres en associant le vieillissement (c'est-à-dire le franchissement de la cinquantaine, l'âge soit-disant sexy des mecs célèbres) à la chute : peut-être le nombre d'hommes émoustillés par ce spectacle (beurk, beurk, beurk, gnârk, gnârk, gnârk, des femmes ridées en gros plan !), mais aussi de femmes comparant à l'avance, avec angoisse, leurs rides et celles d'autres femmes, est-il vraiment faramineux.
Peut-être, en effet, cela touche à des ressorts encore plus profonds que l'envie de connaître la dernière rupture de Valérie Trielweiler ou la photo d'une grosse bagnole.
(D'ailleurs quel suivi de mes navigations sur le net m'a fait valoir ÇA, dont je ne comprends même pas les mots : « DS Automobile. Crossback connected chic à découvrir en édition limitée ». Sans parler de la « résidence seniors de haut standing » de ma commune qu'on m'invite à visiter – ça m'apprendra à parcourir le site du Figaro).
Toujours rappelées au triste, inéluctable et précoce compte à rebours, inlassablement confrontées à ce miroir monstrueux qu'on leur tend au quotidien, les femmes n'en ont pas fini avec la honte ou le dégoût de soi.
C'est pourtant la délectation à contempler des femmes célèbres dépourvues de leur capital jeunesse, c'est pourtant ce sentiment de revanche malsain qui est proprement honteux et dégoûtant.
]]>2021-06-03T16:46:34+00:00Sylvie Tissottag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-02:/13814« Hitler n’a pas fini le travail » et autres insultes racistes par des policiers du TGISelon un rapport et le témoignage de deux gardiens de la paix, deux policiers ont tenu des p...]]>
Selon un rapport et le témoignage de deux gardiens de la paix, deux policiers ont tenu des propos racistes et antisémites à l’encontre de leurs collègues. Deux ans après, ils n’ont toujours pas été sanctionnés.
]]>2021-06-02T15:44:23+00:00fanta-kébétag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-02:/13763« Carry back », un tour de passe-passe fiscal pour aider encore un peu plus les entreprisesLe gouvernement français veut débloquer 15,5 milliards d'euros d'aides supplém...]]>
Le gouvernement français veut débloquer 15,5 milliards d'euros d'aides supplémentaires pour le secteur privé, toujours sans condition sociale, fiscale ou environnementale. Il ouvre même la possibilité pour les entreprises déficitaires en 2020 de reporter leurs pertes sur les années précédentes... et de se faire rembourser les impôts qu'elles ont versés ! Une nouvelle aide publique qui ne dit pas son nom, dont pourraient bénéficier des groupes comme Total, Engie, Airbus ou Renault. Nouvelle publication dans le cadre de notre campagne Allô Bercy ? Pas d'aides publiques aux grandes entreprises sans conditions.
L'argent public continue de couler à flots en faveur des entreprises. Un projet de loi de finances rectificative, présenté ce mercredi 2 juin en Conseil des ministres, prévoit 15,5 milliards d'euros supplémentaires pour le secteur privé. Ils s'ajoutent aux 155 milliards d'euros d'aides publiques débloquées entre mars et décembre 2020 (selon les estimations de la Commission européenne), dont une grande partie a déjà été prolongée en 2021. Et ce alors que les aides publiques aux entreprises existantes avant la crise santaire étaient déjà elles-mêmes estimées à 150 milliards d'euros.
Sur le principe, on ne peut pas contester le besoin de soutenir les acteurs économiques face à l'épidémie. Mais en l'absence de transparence sur les bénéficiaires des aides et de véritables conditions sociales, fiscales et environnementales, il est impossible de savoir si tout cet argent est utilisé à bon escient, c'est-à-dire s'il sert vraiment à soutenir l'activité et l'emploi, ou s'il ne va pas en partie dans les coffres d'entreprises qui n'en ont pas vraiment besoin, pour rémunérer les actionnaires ou financer des activités contestables.
Comme nous l'avons expliqué dans notre rapport Allô Bercy ? Pas d'aides publiques aux grandes entreprises sans conditions, publié la semaine dernière, les grands groupes du CAC40 ont capté une partie significative des aides publiques débloquées face à la crise sanitaire, tout en continuant à prioriser le versement de dividendes et les suppressions d'emploi.
Sur ces 15,5 milliards d'euros supplémentaires, une partie doit aller à la prolongation des aides mises en place il y a un peu plus d'un an : 6,4 milliards de plus pour le chômage partiel, 3,4 milliards pour le fonds de solidarité, 4 milliards pour les exonérations de cotisations sociales et de charges fiscales. Et 1,5 milliard pour des dépenses accidentelles et imprévisibles. Toujours sans transparence et sans conditions sociales, fiscales et environnementales.
Une subvention publique qui ne pas son nom
Le projet de loi de finances rectificative concocté par le gouvernement contient aussi un cadeau supplémentaire au secteur privé : une extension sans précédent du mécanisme fiscal dit de « carry back ». Celui-ci permet à des entreprises déficitaires de reporter une partie de leurs pertes rétrospectivement sur les années précédentes, et de se faire rembourser en conséquence l'impôt sur les bénéfices qu'elles avaient versé... Auparavant, ce dispositif était plafonné à 1 million d'euros et les pertes ne pouvaient être reportées que sur un an en arrière. Le plafond est aboli, et les pertes pourront désormais être reportées sur trois ans.
C'est une subvention publique directe qui ne dit pas son nom, qui viendra abonder directement la trésorerie des entreprises, et dont le coût est estimé à 500 millions d'euros.
Secret fiscal oblige, il sera impossible de savoir quels groupes en bénéficieront effectivement. Mais on peut au moins nommer les grands groupes du CAC40 qui ont encouru des pertes en 2020 : Renault (-8 milliards d'euros), Total (-7,2 milliards), Unibail (-7,2 milliards), Engie (-1,5 milliard), Airbus (-1,1 milliard) et Société générale (-0,3 milliard). Trois d'entre eux ont tout de même choisi de verser des dividendes ce printemps : Total (plus de 7 milliards d'euros), Engie (1,2 milliard), et Société générale (467 millions). Des versements aux actionnaires qui pourraient donc être en partie remboursés par les contribuables via ce nouveau tout de passe-passe fiscal.
OP
]]>2021-06-02T04:43:45+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-06-02:/13762Piégées – Le blog de Manderley et d'Alex VigneGwénola Sueur : La période post-séparation est une période particulièrement dangereuse dans la mesur...]]>Gwénola Sueur : La période post-séparation est une période particulièrement dangereuse dans la mesure où les agresseurs tentent par tous les moyens de maintenir contrôle et pouvoir sur leur ex-conjointe. Ils estiment que la femme et les enfants leur appartiennent et voient la séparation comme une trahison et un attentat à leurs droits qui justifient vengeance et punition allant jusqu’au meurtre des femmes et des enfants. Ce sentiment d’appropriation du corps des femmes et leur production est renforcé par l’occultation et la minimisation des violences masculines par les groupes de pères séparés, les médias qui parlent de « crime passionnel », l’image de la femme, le « victim-blaming » qui est véhiculé. Les mères séparées courent pourtant un risque cinq fois plus élevé d’être tuées que les autres femmes. Une étude anglaise a montré que pour 82 % des homicides conjugaux de 2014 les actes non physiques de contrôle et de coercition n’avaient pas été pris au sérieux.]]>2021-06-02T08:05:47+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-30:/13666Les mérites de l'exemplaritéFaites ce que je dis, mais pas ce que je fais… Alors que la situation sanitaire qui s’...]]>Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais… Alors que la situation sanitaire qui s’impose à nous depuis plus d’un an requiert des changements de comportement importants et que changer est difficile (même quand les efforts demandés sont moindres, c’est en soi un effort que d’acquérir de nouvelles habitudes), les personnes qui prétendent la gérer nous imposent le spectacle de leur incapacité à adopter elles-mêmes les comportements auxquels elles nous contraignent avec plus d’autoritarisme que jamais.
À la radio les spots se suivent et se ressemblent qui nous répètent niaisement de porter le masque en toute circonstance (1). Mais Jean Castex, le héros du déconfinement, celui-là qui a réussi à nous faire perdre en quatre mois tout le bénéfice de deux mois d’une épreuve extrêmement douloureuse pour beaucoup d’entre nous, s’affiche parlant au micro du train de nuit avec un masque qui pendouille à son oreille gauche. Quel message nous envoie-t-il ? La radio publique diffuse les vidéos de ses émissions et chacun·e peut constater que les intervenant·es sont tou·tes masqué·es au micro et que malgré ça on les entend très bien. Les enseignant·es non plus ne se prévalent pas de leur nécessité de parler pour l’enlever, et dans tant d’autres professions on travaille toute la journée masqué·e quand bien même on devrait parler. Une amie libraire me raconte le mal qu’elle a eu à faire comprendre aux client·es tenté·es d’enlever le masque pour lui poser une question qu’il est d’autant plus nécessaire à ce moment-là et qu’elle les entend très bien avec. En mai 2021, me dit-elle, ce ne sont plus que les personnes très âgées, celles qui ne sortent plus beaucoup de chez elles, qui ont encore ce réflexe.
Mais c’est pourtant ce geste que des internautes ont noté chez Emmanuel Macron, 43 ans, au moment de commander son premier café en terrasse de l’année. Celui-ci a pourtant la responsabilité de promouvoir les gestes barrière et s’est mis complaisamment en scène dans une com plus politique que sanitairement correcte (on se lave les mains avec de l'eau et du savon, à proprement parler). Alors oui, au niveau macro, le fait que Jean Castex ou Emmanuel Macron enlève son masque pour parler pendant 10 ou 30" ne change rien au R0 observé en France… mais c’est peu de dire que ça brouille la communication des autorités.
J’en profite pour signaler que c’est la même chose quand le chef de l’État mime maladroitement une masculinité hétérosexuelle et grossière en s’asseyant les jambes ouvertes à 150°, coupant de fait le passage des autres client·es et des serveurs. Combien d’efforts faits par les autorités de transports en commun pour enjoindre les voyageurs à ne pas se comporter aussi mal l’ont été en pure perte quand le président lui-même, qui est prescripteur, se met en scène souffrant du syndrome dit « de la couille de cristal », cette incapacité culturelle à ne pas s’étaler sur les autres voyageurs ni les empêcher de passer confortablement dans l’allée ? Voilà une testicule bien aérée mais à un prix élevé pour la collectivité.
Au-delà de ces gestes du quotidien, ceux qui nous gouvernent s’affranchissent aussi très délibérément des règles communes. Gérald Darmanin, le supposé trafiquant d’influences et violeur, a ainsi célébré son mariage fin août 2020 dans la plus stricte intimité de sa famille, ses amis et ses collègues du gouvernement alors que la deuxième vague s’annonçait et que les autorités comptaient sur le civisme de tout un·e chacun·e pour ne pas tenir ce type de rassemblement privé, non recommandé. Emmanuel Macron, malade du Covid qui s’ignorait et au pic de sa contamination, a lui aussi réuni en plein confinement neuf autres personnes lors de ce qui nous a été présenté comme une réunion de travail au sommet de l’État alors qu’il s’agissait bien d’un dîner de quatre heures au sommet de La République en marche, soit un parti politique où ces messieurs sont bénévoles (il ne s’agit ni de mission publique ni d’activité économique, ni non plus d'une réunion dûment masquée à côté de laquelle on se restaure dans un temps limité comme nous autres étions invité·es à faire). Ces actes d’incivisme n’ont rien coûté à leurs auteurs.
De l’autre côté de l’océan, en Californie, le gouverneur Gavin Newson a perdu vingt points de popularité et fait l’objet d’une procédure de recall (les électeurs et électrices auront la possibilité de couper court à son mandat lors d’un vote) notamment car il a dîné avec douze personnes, quelques jours avant l’annonce d’un confinement, dans un restaurant… français, ironiquement. Cet incivisme accepté est un trait culturel qui ne fait pas honneur à notre pays. Pour le coup, il ne s’agit plus simplement de brouiller la communication sanitaire mais de saboter tous les efforts de mobilisation. En s’accordant des passe-droits aux règles sanitaires, ceux qui prétendent nous gouverner ne font pas que normaliser leur non-respect aux yeux de chacun·e, ils rendent en outre désirable le fait de les outrepasser. Car la course à la distinction est féroce et si ne pas respecter des procédures de réduction des risques est perçu comme un privilège, alors ce non-respect gagne en prestige (quand bien même dans un monde idéal il devrait signaler un incivisme et une bêtise crasseuses) et devient une manière d’affirmer un statut social élevé… ou dont on aimerait qu’il le fût. C’est ce qui peut arriver de pire à la mobilisation générale pour la sauvegarde d’un bien commun, faire des entorses un signe extérieur de prestige.
C’est ainsi, donc, qu’Emmanuel Macron se dispense de quarantaine au retour d’un voyage sud-africain (je conseille pour ma part d’aller en Inde en ce moment, tant qu’on y est) au motif qu’il aurait déjà été malade du Covid et donc peu susceptible de transporter un variant qui inquiète les autorités sanitaires. D'une part l'immunité de Macron, malade il y a presque six mois, commence à être scientifiquement douteuse… Rappelons d'autre part les raisons pour lesquelles aucun passe-droit n’est accordé aux personnes déjà infectées. Leur risque de réinfection est très faible mais la durée de leur immunité mal connue et surtout nous avons besoin de mobiliser tout le monde pour ne pas signaler une baisse de vigilance (si les personnes déjà infectées dans les six derniers mois pouvaient prendre le métro sans masque, nul doute que celles qui sont idiotes ou manquent de civisme en profiteraient pour s’accorder la même souplesse) mais aussi parce qu’un effort doit être partagé. Ici on retrouve un autre trait français, le désir d’égalité. C’est lui qui nous poussera à niveler vers le haut ou vers le bas l’adaptation de nos comportements au contexte sanitaire. Ceux qui prétendent nous gouverner stimuleront-ils ce désir-là, très fort et qui nous a fait supporter le premier confinement, ou continueront-ils à promouvoir les gestes barrière et les mesures sanitaires (l'amputation de sa vie sociale et affective) comme un truc à imbécile qui n’a pas la possibilité d’y échapper ?
Si je suggère à ces connards l’exemplarité, c’est que je la pratique et que je l’observe autour de moi. Une amie cadre supérieure et qui bénéficie à ce titre d’un bureau y porte le masque par solidarité pour ses subordonné·es qui sont contraint·es de le porter dans leur open space. Par solidarité et par exemplarité car comment demander aux autres un effort dont soi-même on s’affranchit ? Comme on dit dans Spiderman, un grand pouvoir entraîne de grandes responsabilités vis-à-vis des autres. Lors de ma seule rencontre d’autrice en présence physique depuis le début de la crise sanitaire, on m’a proposé de parler sans masque. Ça a du sens, en matière de réduction des risques, puisqu’on réduisait ainsi de trente à une le nombre de personnes susceptibles de partager leur virus. Et parler pendant une heure et demie avec un masque n’est pas spécialement agréable, au bout d’un moment ça ne sent plus très bon. Mais j’aurais trouvé sale de m’accorder un tel privilège dans un lieu animé par des personnes qui cultivent la solidarité et l’équité. Ces derniers jours j’ai également porté le masque chaque fois que j’étais en intérieur lors d’une rencontre de trente-cinq personnes qui se tenait dans le plus grand irrespect des règles sanitaires de base, au mépris des conditions strictes exigées par la fondation qui nous accueillait gracieusement. Ce groupe d’écologistes, très occupé·es à parler de soin et de qualité relationnelle, refusait de poser des règles de port du masque et j’étais la seule à penser à ouvrir les fenêtres (à 20° dehors et pour seule nuisance sonore le chant des oiseaux, cette mesure ne coûtait strictement rien). Une petite dizaine d'entre nous portaient le masque au début de la rencontre, à la fin nous n’étions plus que quatre. Cela n’avait plus de sens sur le plan sanitaire, et je n’avais d’emblée aucune raison de le porter puisque j’ai déjà été infectée il y a moins de trois mois. Mais nous avons tenu bon. Puisque porter le masque dans les lieux confinés permet de réduire le risque de transmission, en portant le masque nous avons rappelé notre position éminemment politique et écologiste (on en reparlera) de prendre sur soi une contrainte au fond assez légère qui permet de ne pas risquer de faire du mal à autrui (de quelques jours d’inconfort à quelques semaines au lit, sans compter les morts et les Covid longs) et au niveau plus macro de ne pas contribuer à la diffusion d’un sale virus sur cette petite planète dont les sociétés sont si fragiles et ont bien besoin de ces valeurs.
Il y a des gens comme ça, et il y a des gens qui se goinfrent du pouvoir plus ou moins grand qu’ils ont de cracher à la gueule des autres et de les mettre en danger plus ou moins directement. La politique n’est pas affaire que de morale mais enfin, ça aide.
(1) Le masque n’est pas utile en toute circonstance et il me semble plus efficace d’expliquer pourquoi et donc dans quelles situations il est utile mais son port obligatoire est une mesure pas chère, qui ne coûte que notre peine. Il faudra attendre encore un peu pour voir l’intelligence au pouvoir.
]]>2021-05-30T18:06:54+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-27:/13510Allô Bercy ? Abreuvé d'aides publiques, le CAC40 continue à gâter ses actionnaires et détruire des emploisAprès avoir montré que 100% du CAC40 bénéficie d'aides publiques et qu'...]]>
Après avoir montré que 100% du CAC40 bénéficie d'aides publiques et qu'il verse de manière agrégée 51 milliards d'euros à ses actionnaires (+22%), soit l'équivalent de 140% de ses profits en 2020, l'Observatoire des multinationales révèle dans un nouveau rapport comment les grands groupes français profitent de l'absence de vraies conditions au soutien apporté par les pouvoirs publics pour supprimer des emplois et sacrifier les besoins du "monde d'après" aux intérêts court-termistes des marchés financiers.
Le gouvernement a débloqué des aides publiques massives pour soutenir le secteur privé face à la crise sanitaire, dont les grandes entreprises du CAC40 ont largement bénéficié. Malgré les demandes qui émanaient de toute part, il s'est obstinément refusé à assujettir ces aides à des véritables conditions sociales, environnementales et fiscales, notamment en matière de versement de dividendes, de protection de l'emploi et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Des aides publiques massives qui profitent aux très grandes entreprises
100% du CAC40 a bénéficié d'aides publiques massives à l'occasion de la crise du Covid-19 - y compris certains groupes qui persistent à prétendre le contraire.
La France a consacré 155 milliards d'euros supplémentaires, s'ajoutant aux aides déjà existantes de l'ordre de 150 milliards, à soutenir les entreprises en 2020. C'est le record en Europe.
La transparence sur ces aides publiques est très limitée, de sorte qu'il est impossible de dire combien exactement chaque groupe a reçu.
Seulement six groupes du CAC40 affichent une perte pour 2020. Dix groupes affichent des profits supérieurs à 2 milliards d'euros, dont certains ont été largement soutenus par les pouvoirs publics.
Le CAC40 a déclaré 20 millions d'euros de dépenses de lobbying pour 2020, dont plus d'un tiers pour obtenir des aides publiques ou des dérégulations.
Le CAC40 priorise plus que jamais les dividendes
Avant la crise sanitaire, le CAC40 s'apprêtait à verser la somme record de 64,7 milliards d'euros à ses actionnaires. Malgré les appels à la modération, les deux tiers du CAC40 avaient maintenu le versement de leurs dividendes. Ce sont finalement 42 milliards qui avaient été versés aux actionnaires.
Un an plus tard, quand bien même l'épidémie n'est pas finie, les dividendes du CAC40 repartent à la hausse, avec près de 51 milliards de versements aux actionnaires.
Cela représente presque 140% des bénéfices cumulés du CAC40 en 2020. Autrement dit, le CAC40 a consacré tous ses profits et puisé dans sa trésorerie pour rémunérer ses actionnaires.
Le premier bénéficiaire de ces dividendes est BlackRock avec 1,7 milliard d'euros, devant l'État français et le groupe Arnault.
La plupart des aides publiques n'ont été assorties d'aucune condition relative au versement de dividendes. 80% des groupes du CAC40 ayant recours au chômage partiel ont versé un dividende en 2020 et/ou 2021.
Les aides publiques ne protègent pas l'emploi
Le CAC40 a annoncé 62500 suppressions d'emplois dans le monde depuis le début de la crise sanitaire, dont près de la moitié en France. Une partie de ces suppressions est encore à venir.
Si certaines entreprises du secteur numérique ont connu une forte augmentation de leurs effectifs en 2020, la plupart ont supprimé des emplois. 7 groupes du CAC40 ont supprimé plus de 5000 emplois l'année dernière.
Certaines des entreprises les plus soutenues (Renault, Air France, Safran) sont aussi celles qui suppriment le plus d'emplois. 7 des 10 des plus gros bénéficiaires de prêts garantis par l'Etat, dont Renault et Air France, ont supprimé des emplois.
Climat, rémunérations patronales, fiscalité : les aides publiques n'ont pas encouragé des pratiques plus vertueuses
Le gouvernement a systématiquement opposé son veto à toute forme de condition climatique aux aides aux entreprises, même si certains secteurs particulièrement problématiques (automobile, aérien) ont été au centre de l'attention. Parallèlement, le CAC40 s'est opposé aux changements concrets proposés par la Convention citoyenne pour le climat.
Aucune véritable condition n'a été posée en matière d'optimisation fiscale. Certains groupes du CAC40 les plus abreuvés d'argent public sont aussi les plus présents dans les paradis fiscaux.
7 dirigeants du CAC40 ont vu leur rémunération augmenter en 2020 malgré la crise sanitaire. Carlos Tavares (PSA) refuse encore de révéler sa rémunération en 2020. François-Henri Pinault (Kering) cache l'essentiel de sa rémunération (12 millions d'euros) sous prétexte que cette somme est versée en 2021.
Au-delà des effets d'annonce du printemps 2020 sur la réduction de leur rémunération par solidarité, les dirigeants du CAC40 n'ont en réalité diminué leur rémunération que de 8% en moyenne. Dix patrons du CAC40 n'ont pris aucune initiative de réduction de leur rémunération.
]]>2021-05-26T05:58:48+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-22:/13386Réouverture de la drague en terrasseAh, le retour des beaux jours et des terrasses.
Passons sur l’inévitable pluie de s...]]>Ah, le retour des beaux jours et des terrasses.
Passons sur l’inévitable pluie de selfies de fanfarons, une bière ou un cocktail à la main, que vous subissez en ce moment, car nous devons parler ici d’un véritable fléau : le retour des parasites des terrasses. Puisque comme chaque année, pandémie ou non, deux espèces nuisibles n’attendent que l’apparition d’un verre sur votre table pour venir se joindre à vous. Ces deux êtres qui vous font dire « Raaah, pfouuu » quand vous les voyez approcher, ce sont bien sûr les guêpes et les experts en séduction. Et si les deux jouent un rôle intéressant dans la pollinisation de ce bas-monde et sortent leur dard un peu facilement, on regrettera que les raquettes électriques n’existent que pour les premières.
Oui, les experts en séduction sont de retour.
L’occasion de faire un petit tour chez eux pour parler de leurs dernières trouvailles qui, comme toujours Mesdames, si elles ne vous font pas tourner la tête, vous donneront du moins envie de faire 180 degrés avec la votre pour qu’un craquement de vos vertèbres achève vos souffrances.
Mais, assez parlé, faisons un petit tour d’horizon.
En effet, vous le saurez : « Bonjour », c’est un peu ringard. La femelle, cet être mystérieux, préfère recevoir des choses plus directes, qui provoqueront chez elle diverses redirections sanguines. Il n’est en effet pas rare qu’après avoir lu un SMS d’expert en séduction, la plupart des femmes saignent des yeux, puis des oreilles, avant de mourir d’une hémorragie du sens de l’humour.
Serait-ce une honteuse exagération ? Voyons plutôt ce que recommande notre expert, qui nous raconte d’abord comment il a récupéré le numéro de téléphone d’une damoiselle en lui sortant cette incroyable réplique :
« Ma mère me dit que je viens du Paradis… Mais je pense que je viens de l’Enfer. Qu’est-ce que t’en penses ? »
Etant donné la qualité de la citation, je pense que la bonne réponse est « Je ne sais pas, mais ta répartie sort clairement de l’anus de Satan. Maintenant casse-toi. ». Mais dans le monde imaginaire des experts en séduction, cela fonctionne bien évidemment à merveille.
Conclusion : échange de numéro + Sylvia me suppliait presque de l’appeler.
Probablement car elle était partie chercher l’exorciste le plus proche, mais je m’avance un peu. En tout cas, nous y voilà : notre héros a désormais le numéro de la bête – de bien des manières, mais n’insistons pas – et décide de tenter la séduction par SMS. Mais alors, comment s’y prend-t-il ? Quel est ce message, Mesdames, qui va vous faire pousser des « Oh ! » et des « Ah ! » rien qu’à sa lecture, et vous faire oublier un certain Christian Grey en quelques instants seulement ?
« En fait, je viens d’un pays où il faut toujours beau : 360 jours de soleil. Sauras-tu deviner lequel ? Ce fut un plaisir de te rencontrer, Sylvia – Kamal »
Sylvia peut donc d’ores et déjà en déduire qu’en plus de ne pas avoir de répartie, son nouveau contact est en plus mythomane. Sauf si bien sûr, Kamal est en fait le pseudonyme de Thomas Pesquet, et qu’il lui envoie des SMS depuis la station spatiale internationale où en effet, on voit régulièrement le soleil et où les essuie-glaces servent rarement.
Mais puisque ce n’est probablement pas la bonne réponse, j’invite donc les Sylvia de mon lectorat à répondre « 360 jours de chaleur, c’est pas un pays, c’est une crise de priapisme ». Si vous souhaitez ajouter « Gros con », c’est cadeau.
A ce stade, la plupart de mes lectrices sont sûrement déjà émoustillées par tant de talent de séduction, aussi permettez-moi de vous recommander d’aller boire un verre d’eau avant de poursuivre. Puisque cela va vous intéresser : notre expert Kamal nous explique les 4 SIGNES QUI PROUVENT QUE CETTE FILLE VEUT TE RENCONTRER ! (immédiatement)
Et si c’est écrit en majuscules, c’est forcément vrai.
Voyons donc, Mesdames, ces signes non-verbaux que vous laissez filtrer pour faire comprendre que vous voulez faire des rencontres immédiatement. Pas dans dix minutes, non. Tout de suite. Alors, qu’est-ce ? Se promener nue avec son numéro tatoué sur le corps ? Danser sur des tables en entonnant Prends-moi comme Napoléon a pris Berlin ? Nenni.
1) Elle ne tient pas la main de sa copine.
Voilà.
Oui, c’est allé très vite. Mesdemoiselles, c’est donc très simple, si vous n’avez pas toujours une copine à la main, c’est probablement que vous avez envie de rencontrer l’ensemble du régiment de marche du Tchad, là, tout de suite. Ce qui prouve une fois de plus que très souvent, vous avez quand même envie de faire des rencontres. Tenez par exemple, là tout de suite, alors que vous me lisez, tenez vous la main d’une de vos copines ? Non ? Eh bien voilà, vous êtes visiblement très intéressées. Je vous suggère donc de vous calmer de suite parce que hein, bon, oh, c’est un peu cavalier. Tenez-vous quand même. Que diable.
Notez que c’est une technique de défense célèbre dans les tribunaux de Charleroi.
« Pourquoi avez-vous violé la petite Nathalie lors de cette sortie scolaire ? – Elle avait lâché les mains de sa copine pour refaire ses lacets M’sieur le juge. – Ah oui, quand même. Bien, vous êtes relaxé Monsieur. Quant à Nathalie, nous la poursuivrons pour harcèlement sexuel et exhibitionnisme. »
Ah, hé. C’est comme ça.
2) La fille bouge beaucoup.
Hmmm.
Quand je pense que depuis toutes ces années, aux Jeux Olympiques, toutes ces athlètes m’allumaient devant les caméras et voulaient SORTIR AVEC MOI (immédiatement), bon sang.
En tout cas, voilà. Vous dansez ? Vous avez envie d’un homme. Vous faites votre jogging ? Vous avez envie d’un homme. Vous faites de l’aquagym ? Vous avez envie d’un homme.
Franchement, faudrait vous calmer;
D’ailleurs, que se passe-t-il si une damoiselle danse mais qu’elle tient la main de sa copine ? Par exemple, si elle fait la chenille ? Me désire-t-elle fort, mais en fait pas trop ? Dois-je insérer ici une blague impliquant un chat de sexe féminin et Schrödinger ? Que de questions
3) La fille change son body language quand vous croisez son regard.
Passons sur l’anglicisme et allons droit au but : quand vous la regardez depuis votre camionnette blanche, la petite Léa devient pâle, rentre la tête entre ses épaules, et se met à bredouiller ? Elle vous veut. Quand vous sortez pour vous saisir d’elle, elle lâche la main de sa copine ? Hohoho, eh bien ! Elle en veut ! Mieux encore, elle se met à courir ?
Alors là, mon vieux, ce n’est plus du désir, c’est Cupidon armé d’une MG42.
Bon, le site nous met d’ailleurs en garde contre les allumeuses :
Les allumeuses sont les filles qui se montrent seulement pour obtenir la validation des hommes, sans jamais aller plus loin. En croisant son regard, vous remarquerez que son expression faciale ne change absolument pas.
Donc je résume : les filles qui dansent sans tenir la main de leurs copines vous désirent comme une tarte aux pommes chaude, par contre les allumeuses ne souhaitent rencontrer personne, laissez-les en paix.
S’il y a une logique là-dessous, elle a sa place au gouvernement.
4) La fille n’est pas engagée envers son groupe d’amis.
Par exemple, si elle s’éloigne pour aller chercher à boire, ou qu’elle écoute les autres parler, c’est probablement qu’elle a envie que Jean-Emile le séducteur vienne s’assoir près d’elle pour lui faire part de sa fabuleuse conversation et lui demande : « Salut coquine. Tu penses que je viens du paradis ou de l’enfer ? ».
Mesdames, vous en rêvez et vous le savez.
Cependant, Séduction by Kamal, c’est un peu comme un champ de mines : à chaque fois que l’on creuse un peu, une nouvelle surprise nous saute au visage. Ainsi, après ces 4 signes d’intérêt pour les Messieurs pourtant évidents, voici qu’un autre article nous en mentionne 36.
36.
Cette multiplication par neuf des signes d’intérêt, et ce sans aucune explication rationnelle, n’est pas sans rappeler les pouvoirs de multiplication d’un certain J. de Nazareth, qui connut un grand succès dans la multiplication des pains avant d’être abattu par le syndicat des boulangers. Trente-six signes, à ce stade, Mesdames, c’est tant de signaux émis en si peu d’espace que la 5g semble bien inoffensive à côté. Laissez-moi enfiler ce chapeau en papier d’alu et continuons.
Là aussi en majuscules, comme le titre d’à peu près tout ce qui tient du pipeau sur internet.
Elle relance la conversation lorsque vous arrêtez.
C’est connu : si la femelle communique par elle-même, c’est que la femelle est en rut. Une femme qui tient une conversation par elle-même ? Allons. Et pourquoi pas la laisser discourir seule ?
Mes lectrices apprécieront. Déjà qu’elles lisent par elles-mêmes, alors si en plus, elles parlent !
Elle rit sans retenue.
Au soir du 2 septembre 1666, à Londres, James Giggles raconte l’histoire du fou qui tient le pinceau pendant que son copain retire l’échelle. Plusieurs femmes à portée de voix l’entendent et rient : c’est trop de chaleur d’un coup, et les toiles tendues d’un marché voisin s’embrasent. L’incendie durera trois jours et rasera une bonne partie de la ville.
Depuis, les femmes doivent se retenir de rire, et pour plus de sécurité, ne sont autorisées qu’à écouter des chroniques de Guillaume Meurice.
Elle vous touche.
Avec un taser, ça compte ?
Elle se retourne et vous regarde de manière répétée.
En même temps, vous la suivez depuis vingt minutes en faisant un bruit de bouche proche de « Mrhohohohon ».
Elle agite ses cheveux et les bougent (sic) brusquement dans tous les sens
Techniquement, ça veut dire qu’elle vient de commencer à courir, cf point précédent.
Elle soutient votre regard quand vous la regardez.
C’est vrai qu’une femme qui ne baisse pas les yeux, c’est une femme qui a visiblement oublié quelle était sa place. Ah, les sites de séduction. Quelle classe.
Elle vous sourit et rigole à vos blagues (même les plus pourries)
On en revient à James Giggles.
Elle se tient près de vous (proximité)
Lectrices qui prenez le métro, arrêtez ! Ca commence à bien faire d’allumer tout le monde. On vous voit, ça ne prend plus. Il va falloir vous calmer maintenant.
Elle rit à quelque chose que vous avez dit ou interrompe (re-sic) une conversation que vous avez avec quelqu’un d’autre.
Ah, oui, je m’en souviens encore. Elle était grande, blonde, coiffée d’un chignon. Je discutais avec Diego quand elle nous a interrompus pour dire « Ici le capitaine Piccolini de la gendarmerie nationale ! Rendez-vous Monsieur Connard, nous savons que vous cachez des stagiaires dans votre cave ! »
Il était évident que c’était du désir. J’ai eu beaucoup de remords à l’abattre, mais d’un autre côté, à cette distance et derrière une haie, c’était quand même un beau tir.
En passant, elle tourne son corps vers vous.
Quand elle a visiblement peur de vous tourner le dos, c’est clairement qu’elle vous veut, Messieurs.
Elle dit quelque chose à sa copine, puis elles rient toutes les deux.
« Tu as vu cette grosse merde ? – Oui, hihihi ! »
Pire encore, selon une légende orale remontant à des temps oubliés, il paraitrait que deux femmes seraient capables de se raconter un truc rigolo sans que ça ne concerne un type du voisinage proche. Mais, ce n’est qu’une légende. Tout le monde sait que la femme n’a qu’un seul centre d’intérêt, et c’est vous Monsieur.
Elle vous demande l’heure, du feu, bref elle initie une conversation.
Elle ne peut pas simplement vous demander l’heure ou du feu comme le ferait Roger cinquante mètres plus loin. En effet, la femme n’a pas besoin de l’heure ou du feu. Pour la première, elle a son horloge biologique, pour la seconde, il lui suffit de lire Séduction by Kamal pour se transformer en Smaug.
Alors que vous parlez avec le groupe, elle est particulièrement bavarde (pour avoir votre attention).
Non, elle ne peut pas tout simplement avoir des choses à dire. Vous êtes un homme, donc si elle essaie de parler plus que vous, c’est forcément dans le but de finir dans votre lit. C’est comme ça. Les conférencières : toutes des coquines.
Elle vous demande votre nom.
Vu le nombre de fois où elle fait ça chaque jour, la dame de l’accueil de l’état-civil sert visiblement aussi de chaudière.
Elle vous demande votre âge
Arrêtez Madame de l’état-civil, je vous ai dit non.
Elle vous complimente. (il faut être aveugle pour ne pas voir qu’elle séduite)
Si cet article vous donne envie de commenter pour dire « C’était rigolo », visiblement, il va falloir aller vous mettre des glaçons dans le slip.
Elle est joueuse et essaie de vous défier.
Je comprends mieux pourquoi les joueuses restent encore relativement à distance des conventions de Magic et autres Warhammer.
Elle n’est pas d’accord mais elle rigole (à ce que vous dites).
Mon atout séduction ? Les blagues nazies.
Elle vous tape le bras en riant (genre « Mais t’es vraiment drôle toi ! »).
Vous avez le droit de riposter.
Elle utilise un surnom pour vous.
« Hé, fiente de fouine ! – Oooooh, je crois qu’elle me désire secrètement, honhonhonhon. »
Elle joue avec ses cheveux en vous parlant.
Surtout si ses cheveux sont déjà dans votre oreiller.
Vous voyez ? Je vous avais dit que les blagues nazies, c’était mon atout séduction.
Lorsqu’elle est assise près de vous, vos jambes se touchent.
Oui, celle-ci est écrite en gras, tant c’est indéniable.
Encore une fois, que de signes d’attirance tous les jours sur la ligne 13.
Elle vous touche de manières différentes et répétées.
Taser, bombe à poivre, pistolet de défense… elle vous touche à chaque fois avec quelque chose de nouveau. Vraiment, elle vous désire.
Elle vous demande si vous avez une copine.
C’est donc au numéro 24 de cette liste que nous tombons sur, éventuellement, le premier signe qui pourrait ressembler à de l’intérêt pour plus que votre conversation. Bravo.
Elle mentionne votre petite amie sans même savoir si vous en avez une. (Celui-là est mon préféré…je sais que ma petite poupée est complètement charmée)
« Ma petite poupée » ? Bon sang, on dirait ce que dit quelqu’un qui drague des collégi… oui non, attendez, je retire le « on dirait ». C’était inutile dans ma phrase.
Après, je reconnais que ça m’est aussi arrivé qu’une femme évoque ma petite amie sans me demander si j’en avais une.
« Eh bien Monsieur, que sont ces traces de griffure partout sur vos joues ? Votre petite amie ? – Oui Madame de la patrouille des gardes forestiers. C’est ça. C’est elle. Maintenant, pourriez-vous arrêter de me désirer très fort ? J’ai ce trou à finir de creuser et ce tapis roulé à jeter au fond. – Bien sûr. Et n’oubliez pas de ne pas laisser de mégot, on ne voudrait pas d’un incendie, les bois sont secs. – Sans problème. Je ferai attention à ne pas raconter de blague non plus, alors. »
Elle maintient votre regard tout en vous parlant pendant un long moment.
Là encore, si elle ne baisse pas les yeux ET qu’elle a de la conversation, ça ne peut pas être une femme. C’est forcément une succube.
Elle évite de parler de son petit ami.
Puisque là encore, c’est connu, une femme ne peut pas parler plus de trois minutes sans mentionner son compagnon. C’est comme ça. On a essayé en soufflerie, la meilleure candidate a tenu trois minutes et sept secondes. Celles qui se sont retenues plus longtemps ont explosé.
Mes lectrices le savent bien d’ailleurs. Depuis le début de la lecture de cet article, elles ont dû prononcer plusieurs fois le nom de leur compagnon à voix haute, comme ça, par principe. Les célibataires, elles, se sont contentées de répéter Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn, comme il se doit.
Lorsque vous parlez de quelque chose que vous aimez, elle dit qu’elle l’aime aussi ou qu’elle aimerait bien connaître quelqu’un qui le lui fasse découvrir. Elle essaie de créer des points communs entre vous deux.
« J’aime bien la géographie. – Moi aussi ! C’est fou ça ! – Oui, surtout dans une fac de géographie. »
Seul le mâle peut aimer des choses parce qu’il aime bien ça. Si une femelle aime des choses, c’est forcément pour que le mâle lui explique ou finisse par coucher avec elle.
Vous êtes sûres de ne pas vouloir aller prendre une douche froide avant que l’on poursuive la lecture ? Je vous sens tendues, lectrices. Et merci de baisser les yeux quand vous me lisez, je trouve ça un peu tendancieux, sinon.
Lorsqu’elle dit ou fait quelque chose, elle vous regarde pour observer votre réaction.
C’est-à-dire que si elle s’adresse à vous, ça parait vaguement normal plutôt que de contempler la fougère la plus proche. Après, peut-être êtes-vous aussi la fougère. C’est ce qui rend la séduction si difficile au Nord-Vietnam et pose quantité de problèmes démographiques.
Elle vous regarde par le côté, pas de face, pour éviter que vous ne voyiez qu’elle vous regarde.
Non : là, elle vérifie que vous ne la suiviez pas. Or, vous êtes en train de le faire, puissant séducteur. Voilà qui promet une soirée riche en odeurs de sueurs et en lits qui grincent dans les plus belles cellules du commissariat.
Elle vous présente à ses amis.
Mais ? Je ? Dans quel cadre ?
Mesdames, apparemment, si vous avez un petit camarade avec vous en soirée et que vous le présentez à d’autres personnes, entre autres pour qu’il arrête de vous coller, c’est visiblement que vous avez là encore envie – décidément – de lui.
Finalement, je pense qu’on aurait gagné du temps avec une liste des signes comme quoi une femme n’est pas intéressée, car à en croire ce que nous lisons ici, visiblement, ça n’arrive pas souvent.
Elle vous offre un verre.
Allez, ça fait deux signes, et encore. Si elle est opticienne, c’est peut-être juste que le deuxième est gratuit.
Elle vous appelle « Dragueur » ou « Séducteur » etc…
Au vu des sites de séduction, je crois qu’il vaut mieux encore se faire traiter d’étron qui parle.
En partant elle passe vous dire qu’elle s’en va.
Non. Non, là, vous venez de vous faire plaquer.
Alors que vous partez, elle vous demande où vous allez
Et si en plus elle ajoute « Revenez ! Donnez-moi au moins à manger ! » quand vous verrouillez la porte de la cave, c’est qu’elle est prête.
Et ne me dites pas que c’est un truc de tordu : je vous rappelle qu’un certain livre à base d’abus divers et d’érotisme digne d’une vidange chez Feu Vert a connu un succès fou ces dernières années.
Elle trouve des prétextes pour être avec vous, près de vous.
C’est le trente-sixième point de la liste, qui la conclut magnifiquement : si elle veut être avec vous, c’est qu’elle veut être avec vous. A ce stade, une telle capacité d’observation et d’analyse, ce n’est plus de l’expertise, c’est de la scatomancie intellectuelle.
Mesdames, vous voici donc prêtes à sortir aux terrasses sans envoyer les mauvais signaux aux séducteurs en maraude. Je vous rappelle donc ce que nous venons de voir :
Tenez toujours la main d’une amie
Ne riez pas (même avec l’amie en question)
Ne parlez pas.
Ne bougez pas (ou alors très lentement, la vision du séducteur est basée sur le mouvement)
Si un homme s’adresse à vous, baissez les yeux et ne répondez pas (ça relancerait la conversation)
Et surtout n’oubliez pas : vive le XXIème siècle.
Que de progrès !
]]>2021-05-21T08:47:13+00:00Un odieux connardtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-22:/13327Grossophobie, image de soi et thérapie : une expérience personnelleJe viens de terminer la lecture de votre ouvrage « C’est mon corps », e...]]>Je viens de terminer la lecture de votre ouvrage « C’est mon corps », et je vous écris pour vous faire part de mon expérience personnelle par rapport à la question du surpoids.
Aux pages 312-313, vous attirez l’attention des lectrices et des lecteurs sur la grossophobie. Puis vous écrivez que « Plus on harcèle quelqu’un au sujet de son poids, plus on risque de lui ouvrir l’appétit ». Cela fait six mois que j’effectue un travail avec une psychologue, spécialisée dans la gestion de l’alimentation. Et elle a changé ma vie.
Je ne vais pas vous raconter toute mon histoire familiale, il faudrait un livre, mais pour aller vite, j’étais à l’école primaire lorsque le médecin scolaire a écrit sur mon carnet de santé : « attention à la courbe pondérale ». Parce que mon poids était au dessus des courbes dessinées dans les carnets de santé de l’époque.
Cela m’a suivi toute ma vie, a poussé ma famille à me mettre au régime, à me faire consulter des nutritionnistes etc etc. Vous vous en doutez, les choses n’ont fait qu’empirer. Je suis une femme sportive, j’aime les activités de plein air, et je mangeais ce que l’on qualifie de « nourriture équilibrée ». Mais je faisais une taille 48, quand mes soeurs faisaient un 36 ou un 38.
Ce qui rend le surpoids si compliqué, ce n’est pas l’appétit. C’est la nourriture émotionnelle. On mange, de façon automatique, parce qu’on a peur, qu’on est triste, qu’on est contrarié, qu’on est stressé ou encore qu’on se sent coupable.
Et quand tout le monde passe son temps à vous faire remarquer votre surpoids, les émotions explosent. Il n'y a même plus besoin de mots. Ça peut être vous offrir des vêtements qui sont trop petits par exemple. Quand vous mangez, vous culpabilisez constamment. Et vous mangez encore pour faire passer la culpabilité.
En six mois de travail avec cette psychologue (que j’ai trouvé grâce au site du GROS), j’arrive désormais à ne plus considérer un aliment comme « bon » ou « mauvais » de base. Je mange ce que j’aime et ce dont j’ai envie. (Il m’a fallu du temps pour savoir ce que j’aimais réellement. Et c’est là que j’ai compris l’ampleur du problème). J’écoute mieux mon corps. Je l’accepte mieux. Donc je mange moins. Je culpabilise moins. Et c’est un cercle vertueux. Je ne sais pas combien de poids j’ai perdu, parce que je ne me pèse plus. Mais il m’a fallu racheter une nouvelle ceinture, j’étais arrivée au dernier cran de l’ancienne. Et surtout, manger n’est une angoisse que de façon très ponctuelle.
Je sais que votre ouvrage n’était pas à propos du surpoids. Mais aujourd’hui, cette soignante extrêmement bienveillante m’a permis de me sortir d’un cercle vicieux. Et j’ai l’impression que toute la société a encore beaucoup trop d’oeillères. Tout le monde ne me parle que de régime et de maigrir et de supprimer le fromage et le dessert.
Et j’aimerais tellement que la libération que je vis en ce moment puisse être vécue par d’autres personnes. Je ne connais pas votre histoire personnelle et si vous avez été confronté à cela ou pas. Mais si vous saviez à quel point il est douloureux d’être une femme en surpoids en France. A quel point j’ai souffert en silence.
Je vous l’écris parce que je me dis que vous arriverez peut être à faire passer le message, d’une manière ou d’une autre.
A.
]]>2021-05-21T20:22:07+00:00Martin Winckler (Marc Zaffran)tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-19:/13253Lobbying et aides publiques : petits arrangements entre amis en temps de pandémieComment les grandes entreprises ont-elles réussi à capter l'essentiel des aides publi...]]>
Comment les grandes entreprises ont-elles réussi à capter l'essentiel des aides publiques liées à la pandémie, en échappant à toute forme de condition environnementale, sociale ou fiscale ? Essentiellement en profitant de leur proximité avec les décideurs, qui a été encore renforcée par la crise. Nouvelle publication dans le cadre de notre campagne Allô Bercy ? Pas d'aides publiques aux grandes entreprises sans conditions.
Le CAC40 a déclaré globalement près de 20 millions d'euros de dépense de lobbying à Paris pour l'année 2020. À quoi s'ajoutent les plus de 3 millions d'euros déclarés par les principaux lobbys patronaux, le Medef, l'Association française des entreprises privées (Afep) et France industrie. Une grande partie de cette activité de lobbying a été directement consacrée à obtenir des aides financières ou des assouplissements législatifs sous prétexte de crise sanitaire. Selon notre recensement, sur les 287 activités de lobbying déclarées par les groupes du CAC40 en 2020, plus du tiers (96) porte spécifiquement sur l'obtention d'aides ou de dérégulations du fait de la pandémie [1]. Et encore, du fait des insuffisances du registre de lobbying de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, bon nombre d'activités sont formulées en des termes si vagues qu'il est impossible de comprendre leur objectif.
Certains groupes apparaissent comme des champions de la sollicitation d'aides publiques, à laquelle ils ont consacré toutes leurs activités de lobbying déclarées : Air Liquide (« Soutien à un mécanisme de financement pour la filière hydrogène en France »), Airbus (« Faire connaître les impacts de la Crise COVID19 dans la perspective de la définition par l'Etat de mesures de relance »), ArcelorMittal (« Demander le soutien du gouvernement français en matière d'aides : financières, chômage partiel,… suite aux impacts de la pandémie du Covid-19 sur la sidérurgie »), Sanofi (« Demander les modalités de soutien des pouvoirs publics pour localiser un investissement stratégique en France ») ou encore Thales (« Plan de soutien aéronautique : Sensibiliser sur l'importance du soutien à l'industrie aéronautique civile et de défense dans le cadre de la crise de la Covid-19 »). Les autres ont été soit moins actifs, soit moins transparents.
Le constat se retrouve du côté des grands lobbys sectoriels et patronaux. Qu'il s'agisse de France Industrie, de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), de l'Afep ou du Medef, une grande partie de leurs activités déclarées pour 2020 porte sur les conditions de gestion de la crise et notamment sur les aides directes et indirectes aux entreprises. Le Medef et France Industrie ne cachent pas qu'une partie de leur lobbying a visé à éviter la mise en place de conditions contraignantes aux aides publiques.
L'Union européenne étant également une grande pourvoyeuse d'aides publiques aux entreprises, notamment dans le cadre de la préparation du plan de relance communautaire, les groupes français ont également été actifs à Bruxelles, mais dans la plupart des cas on ne connaît pas encore le montant de leurs dépenses de lobbying. Leur proximité avec les décideurs européens se mesure aussi au nombre de leurs rendez-vous avec les dirigeants de la Commission à Bruxelles : on en dénombre pas moins de 142 entre janvier 2020 et avril 2021, soit un tous les trois jours et demi. Là encore, plus d'un tiers de ces rendez-vous (50) portait explicitement sur l'élaboration des plans de sauvegarde et de relance [2].
Vase clos
Ces activités de lobbying les plus visibles ne représentent cependant que la partie émergée de l'iceberg. Il suffit de consulter le répertoire de la HATVP pour constater que tous les secteurs économiques sans exception ou presque ont sollicité le gouvernement pour être inclus dans le plan de relance. Ce qui fait la force des grandes entreprises comme celles du CAC40, c'est leur accès privilégié aux décideurs. Cette proximité tient à plusieurs facteurs, parmi lesquels leur recrutement dans les mêmes grandes écoles, la pratique des « portes tournantes » (ou allers-retours de personnel) entre secteur public et secteur privé, ou encore l'existence de nombreux organes de « concertation » et de lieux de sociabilité (clubs, événements...) souvent financés par les entreprises elles-mêmes.
Dans la gestion de la crise sanitaire, le vase clos entre secteur public et secteur privé a été la règle. Le dispositif des prêts garantis par l'État a été conçu par Bercy et la Fédération bancaire française, lobby du secteur financier dont les dirigeants sont issus… de Bercy. Les mécanismes de sauvetage ont été mis en place et menés conjointement avec France Industrie, organe des grands industriels. Le plan de soutien à l'aéronautique a été piloté par un ancien cadre d'Airbus, dans le cadre d'un groupe de travail regroupant État, les quatre grandes entreprises du secteur (Airbus, Safran, Thales et Dassault) et des représentants des fournisseurs. Autre exemple : le groupe de travail mis en place pour plancher sur la rénovation énergétique des bâtiments dans le cadre du plan de relance était présidé par le groupe Saint-Gobain, qui risque d'en être le principal bénéficiaire.
[1] Source : Répertoire des représentants d'intérêts de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), https://www.hatvp.fr/le-repertoire/. Consulté le 30 avril 2021. À cette date, plusieurs groupes du CAC40 n'avaient pas respecté leurs obligations légales de déclaration de leurs dépenses de lobbying pour 2020 : Alstom, Capgemini, Hermès, L'Oréal, Saint-Gobain, Teleperformance et Wordline.
]]>2021-05-19T05:00:00+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-18:/13206Dividendes et suppressions d'emplois : “business as usual” chez OrangeSurfant sur sa bonne performance financière en 2020 malgré la pandémie, Orange...]]>
Surfant sur sa bonne performance financière en 2020 malgré la pandémie, Orange s'apprête à verser 2,4 milliards d'euros à ses actionnaires. Ni son actionnaire principal l'État ni les aides publiques reçues à l'occasion de la pandémie n'empêchent en revanche le groupe de télécoms de poursuivre sa politique de réduction drastique de ses effectifs, notamment en France. Nouvelle publication dans le cadre de notre campagne Allô Bercy ? Pas d'aides publiques aux grandes entreprises sans conditions.
Au printemps 2020, en pleine première vague de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement français avait « demandé » aux entreprises dont il est actionnaire de suspendre le versement de dividendes. L'instruction avait été très inégalement suivie (lire Aides publiques et dividendes : les hypocrisies de l'État actionnaire). L'un des groupes qui a dû faire un geste - au grand dépit de son PDG Stéphane Richard - a été Orange, l'ancien service public des télécoms dont l'État détient encore environ 23%. Pourtant, le groupe n'avait en réalité amputé son dividende que d'un petit tiers, de 1,86 milliard d'euros prévus à 1,33 milliard.
Ce printemps, les appels à la modération ne sont plus de saison. Orange, qui tient son assemblée générale annuelle ce 18 mai, propose à ses actionnaires l'un des plus importants versements de dividendes du CAC40, avec 2,39 milliards d'euros - soit environ la moitié de son bénéfice 2020.
Il faut dire que la première année de Covid a été plutôt bonne - d'un point de vue financier - pour le groupe de télécoms, peut-être favorisé par le passage forcé au numérique du fait des confinements. Son chiffre d'affaires a été stable par rapport à 2019, et son bénéfice net s'est envolé à + 60%, pour atteindre 4,8 milliards d'euros. Orange n'en a pas moins reçu plusieurs formes d'aides publiques, dont au moins les achats d'obligations de la Banque centrale européenne, la baisse des impôts de production et le plan de relance, notamment dans son volet « numérisation ».
Comme c'est devenu l'habitude au sein de ce groupe, ce sont les salariés qui font les frais des priorités de la direction. Malgré l'appui public reçu, Orange a encore sabré dans ses effectifs en 2020, en baisse de 3% au niveau mondial et de 5,5% en France.
OP
]]>2021-05-18T05:30:00+00:00Olivier Petitjeantag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-15:/13064Un livre personnel sur l'expérience des grossesses arrêtées - par Diane Léonor Je m’appelle Diane, j’ai 35 ans et je suis l’autrice du livre «...]]>
Je m’appelle Diane, j’ai 35 ans et je suis l’autrice du livre « Deux corbeaux et une cigogne », publié aux Editions Michalon.
Avant de faire des fausses couches, je ne pensais pas que cela pouvait m’arriver. Je savais, évidemment, ce qu’était une fausse couche mais je ne me sentais pas concernée. J’étais jeune, en bonne santé, enthousiaste et surtout très naïve. Disons-le clairement, j’étais, sur le sujet de la maternité, en-dehors de la réalité.
Je me suis pris claques sur claques en faisant deux fausses couches consécutives. Et certaines m’ont été données par des soignants. Si elles m’ont sonnée dans un premier temps, elles m’ont aussi donné l’envie d’écrire sur un sujet encore trop tabou : les arrêts naturels de grossesse et leur accompagnement.
L’envie était là. L’élan, je l’ai trouvé auprès de Martin Winckler qui m’a encouragée dans mon projet.
L’annonce d’une grossesse arrêtée est toujours un moment violent. Parce qu’on ne s’y attend pas, voire pas du tout. Et même si on a des doutes, on plonge inévitablement dans un état de sidération. Face à nous, on a un médecin, qui a une salle d’attente remplie de patients et moins de trente minutes à nous accorder. Pour lui, c’est banal. Ça arrive à tellement de femmes. Une femme sur quatre, 200 000 femmes en France par an. Alors il nous propose un arrêt maladie et deux alternatives médicalisées : prendre un médicament abortif, dont il note le nom de son écriture illisible sur un ordonnance ou un curetage. Vous, vous êtes à côté de lui mais en réalité à dix mille lieux. Vous ne réalisez pas ce qui est en train de se passer. Vous comprenez à peine ce qu’on est en train de vous dire. Et c’est bien normal.
Il y a quelques minutes à peine, vous pensiez mener votre grossesse à terme.
Ce sentiment, je l’ai éprouvé. J’ai aussi rencontré ce type de soignants. Mais dans mon parcours, j’ai eu la chance de rencontrer une sage-femme qui a eu une attitude et un discours différent. Elle m’a écoutée attentivement, longuement et à plusieurs reprises. Elle A ACCEUILLI MES EMOTIONS SANS ME JUGER. Elle s’est rendue disponible toutes les fois où j’en avais besoin, particulièrement dans les moments critiques où j’étais complètement perdue. Elle m’a proposé de ne rien faire et d’attendre que mon corps de lui-même se sépare de cette grossesse. J’ai fait ma première fausse couche en vacances, en Islande, au milieu d’une nature à l’état sauvage. J’étais en paix avec ce que j’étais en train de vivre. Je connaissais les situations d’urgence, j’étais bien informée, j’avais CONFIANCE EN MOI ET EN MON CORPS. Et mon mari était à mes côtés.
Depuis que je suis sur les réseaux sociaux (@gloriamamapodcast) et que j’ai lancé mon podcast, je me rends compte que la majorité des femmes ayant vécu des fausses couches n’ont malheureusement pas bénéficié du même accompagnement que le mien. Beaucoup d’entre elles ont été renvoyées chez elles avec un médicament abortif à prendre. On leur a dit qu’elles allaient avoir des grosses règles. Elle se sont senties seules, abandonnées, voire en danger et la majorité d’entre elles en sont sorties traumatisées.
Ce livre, je l’ai aussi écrit pour que les femmes sachent qu’il n’y a pas que des solutions médicalisées concernant les arrêts naturels de grossesse. Tout comme l’accouchement, une fausse couche peut se vivre de manière PHYSIOLOGIQUE.
Mon propos n’est pas de dire qu’une méthode (médicament / curetage / ne rien faire) est meilleure que l’autre. L’important est que les femmes aient le choix. Et pour ce faire, le rôle des soignants est de les INFORMER sur les avantages et les inconvénients de chaque méthode afin qu’elles puissent faire le CHOIX QUI LEUR CORRESPONDE. Puis de les ACCOMPAGNER DANS LEUR CHOIX, avant, pendant et après leur fausse couche.
Ce livre, je l’ai aussi écrit pour queles soignants se rendent compte du vécu des femmes et des couples et de l’importance de leurs mots et de leur accompagnement. J’ai pour certains d’entre eux une immense reconnaissance.
Soignants, vous qui lisez ces lignes, ne nous considérez pas comme un UTERUS QU’IL FAUT VIDER à tout prix LE PLUS RAPIDEMENT POSSIBLE, mais comme des femmes qui viennent de perdre leur bébé et cela quel que soit le stade de nos grossesses. Avant la technique, ce qui compte à mon sens, c’est un accompagnement émotionnel.
Car comme le dit si bien Martin Winckler dans son ouvrage Les Brutes en blanc« pour soigner sans nuire, il est important avant tout d’avoir le souci de l’autre et de ce qu’il éprouve. »
Diane Léonor
Diane Léonor vit au Maroc où elle a écrit un premier livre « Deux corbeaux et une cigogne » aux éditions Michalon. Elle y raconte le vécu de fausses couches consécutives et l’accompagnement des soignants. Mais aussi le bonheur de la grossesse et d’un accouchement choisi.
Pour aider les couples, elle a créé le site Gloria Mama où on retrouve les enjeux et les messages clefs de son histoire ainsi qu’un podcast du même nom. Florilège de témoignages de femmes du monde entier et d’interviews de professionnels, elle invite à s’interroger sur ce que les femmes souhaitent pour que leur grossesse et accouchement restent des moments uniques de leur vie, vécus de manière positive et respectés par le corps médical.
]]>2021-05-14T22:29:59+00:00Martin Winckler (Marc Zaffran)tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-14:/13053De la sauce Worcestershire au fish and chips : des aliments-fétiches réconfortent les expats confinésAvec le phénomène grandissant de la mondialisation, le développement des moyen...]]>Avec le phénomène grandissant de la mondialisation, le développement des moyens de transport et de communication, il n’a jamais été aussi facile et rapide de se déplacer aux quatre coins du monde. Londres, Barcelone, Rome ou encore Dubaï, New York, Sydney n’ont jamais été aussi accessibles et plébiscitées pour le plaisir de voyager ou les affaires.
Selon l’un des derniers rapports sur la mobilité humaine, les déplacements transnationaux ont explosé. De plus en plus de personnes ont quitté leur pays d’origine pour s’installer à l’étranger, que ce soit pour un motif personnel ou professionnel, voire économique. Ainsi, plus de 214 millions de personnes ont tenté l’aventure de l’expatriation, un chiffre qui a triplé ces dernières décennies alors que la population mondiale n’a fait que doubler dans le même temps.
Expatriation et acculturation alimentaire
Quitter son pays d’origine, ses amis, sa famille n’est jamais facile ! Quand des personnes de cultures différentes entrent en contact de manière directe et continue, différents changements se produisent au niveau individuel et comportemental renvoyant au phénomène « d’acculturation psychologique », appelée également « acculturation individuelle ».
Celle-ci fait référence à la fois au processus d’adaptation des migrants au contact d’un nouvel environnement culturel d’accueil, mais également à l’ensemble des modifications au niveau individuel (comportements, valeurs, attitudes, etc.) qui résultent des contacts culturels prolongés avec les membres de la société d’accueil. Ces changements peuvent affecter tous les aspects de la vie des individus. Parmi eux, et non des moindres, figurent ceux liés à l’alimentation renvoyant au phénomène et au processus sous-jacent « d’acculturation alimentaire ».
Cette dernière peut être définie comme l’ensemble des modifications qui touchent les comportements alimentaires des individus au contact d’une autre culture. En outre, l’acculturation alimentaire englobe le processus d’apprentissage des comportements, des normes, des valeurs, des savoirs et savoir-être liés à la consommation alimentaire d’autres cultures.
Les spécialistes de l’anthropologie et de la sociologie de l’alimentation ont montré que le choix des produits alimentaires et les méthodes de préparation culinaire sont étroitement liés à la « culture ». Ils jouent notamment un rôle important dans un contexte d’acculturation dans la mesure où ils sont le miroir de l’identité culturelle.
Plus spécifiquement, la consommation alimentaire est un « instrument identificateur » qui permet de recréer l’identité des individus dans le cadre d’une migration. Selon Annie Hubert (2000), anthropologue de l’alimentation,
« Les habitudes alimentaires sont les dernières à disparaître et les préférences alimentaires se conservent plus que la langue maternelle. »
Les experts du domaine notent, en outre, un lien étroit entre l’alimentation et l’identité des migrants soulignant plus particulièrement son caractère persistant dans le temps.
Dans le domaine du marketing, des études en comportement du consommateur se sont intéressées à l’acculturation alimentaire de ces derniers. Ces études ont considéré les préférences alimentaires et les comportements d’achat et de consommation qui en découlent comme : soit la volonté de maintenir son identité d’origine, et/ou soit le désir de s’adapter à la culture d’accueil.
Dès lors, la consommation alimentaire représente un indicateur puissant et fécond pour appréhender les stratégies identitaires des consommateurs expatriés dans le cadre d’une migration.
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es…
Au travers d’une étude que nous avons menée en 2018 auprès de 16 foyers d’expatriés professionnels hautement qualifiés d’origine américaine, britannique et allemande, temporairement installés en France, quatre positions identitaires ont été relevées à travers l’analyse de leurs habitudes alimentaires.
Elles ont donné lieu à l’élaboration d’une typologie de consommateurs expatriés :
1. Les « traditionnels »
Ces expatriés restent encore très attachés à leur identité culturelle qu’ils perpétuent en maintenant une grande part des habitudes alimentaires de leur culture d’origine durant le séjour d’expatriation. Néanmoins, l’ouverture vers les nouvelles pratiques alimentaires de la culture hôte est bien présente et se fait progressivement dans le temps.
Pete, expatrié britannique depuis une quinzaine d’années en France, reste encore très attaché à l’incontournable « English breakfast » qu’il ne remplacerait pour rien au monde tout comme son épouse Diana qui n’est pas prête de troquer son thé anglais contre du café français à l’heure du petit-déjeuner !
2. Les « expatriés dans leur bulle »
Ces personnes ont un réseau de socialisation très clanique (associations d’expatriés) et apprécient se retrouver entre concitoyens autour d’un verre ou d’une table avec des plats typiques du pays d’origine. Ils ont également tendance à consommer des plats emblématiques de leur culture d’origine lors de la célébration de fêtes culturelles ou religieuses. Quand l’occasion se présente, certains expatriés n’hésitent pas à revêtir leurs plus belles tenues traditionnelles affichant de manière ostentatoire leur identité culturelle !
Ainsi, à l’occasion de la fête nationale américaine du 4 juillet, l’Independence Day, les expatriés américains n’hésitent pas à arborer les couleurs du drapeau national américain. Ils se retrouvent entre concitoyens pour partager un bon moment autour de grillades et de gâteaux traditionnels.
3. Les « intégrés voyageurs »
Durant leur séjour en France, ces expatriés plébiscitent et adoptent très vite les nouvelles habitudes alimentaires françaises. En outre, ils sont très friands de cuisines ethniques à l’image de leur profil cosmopolite. Ces personnes ne se définissent pas sur la base de leur identité culturelle d’origine, mais au travers de celle qui a été façonnée au cours de leurs voyages et rencontres interculturelles :
« Mes voyages en Italie, en Espagne et en Grèce ont beaucoup influencé mes habitudes alimentaires qui se sont diversifiées au fil du temps. J’adore cuisiner toutes sortes de plats méditerranéens. » (Margaret, expatriée britannique)
4. Les « intégrés nostalgiques »
Ces expatriés, bien qu’ils aient très largement adopté les habitudes alimentaires françaises et qu’ils soient pleinement intégrés à la société d’accueil, ressentent par moments un fort sentiment de nostalgie. Ce dernier leur rappelle souvent leur origine culturelle voire leur douce enfance au pays et déclenche la consommation de mets du pays d’origine qui apportent réconfort, à l’image de la fameuse madeleine de Proust :
« En hiver, j’ai souvent envie de manger des saucisses anglaises que ma maman me préparait, mais qui sont introuvables ici en France, alors je les cuisine moi-même… » (William, expatrié britannique en France depuis 20 ans)
Par ailleurs, les résultats de notre recherche montrent la volonté des parents expatriés de véhiculer auprès de leurs enfants une part de leur identité culturelle à travers la cuisine. Cela se traduit par la confection de plats typiques du pays d’origine et la perpétuation de recettes traditionnelles de famille transmises oralement de génération en génération :
« Avec mes enfants, le mercredi j’aime préparer des plats que faisait ma grand-mère en Allemagne, ça me rappelle mon enfance, les bonnes odeurs dans la cuisine… Les enfants cuisinent avec moi et ils adorent ça ! »
Par ailleurs, alors que la sphère publique est plus propice à consommer des mets du pays d’accueil, la sphère privée est marquée par la volonté de maintenir des habitudes alimentaires du pays d’origine :
« Le soir, à la maison, mon épouse et moi, nous continuons à proposer à nos enfants un dîner typiquement anglais, c’est important de garder ça et de le perpétuer ici pour nos enfants… »
D’autres parents vont au-delà et éprouvent le désir d’ouvrir leurs enfants aux cuisines du monde à l’image de leur identité cosmopolite :
« C’est également mon rôle en tant que parent d’ouvrir mes enfants à de nouvelles choses que soit à travers les voyages, l’apprentissage de nouvelles langues, ou encore leur faire découvrir de nouvelles cuisines… »
Crise sanitaire, frontières fermées et moi et moi… ?
Une seconde étude que nous avons menée au premier trimestre 2021 sur la base d’une netnographie et d’un questionnaire auprès d’une centaine d’expatriés révèle que le contexte sanitaire actuel a une incidence sur le processus d’acculturation alimentaire des expatriés.
En effet, les confinements à répétition depuis un an, la fermeture des frontières et le sentiment d’incertitude ont redessiné la dynamique globale de l’acculturation alimentaire des expatriés. L’éloignement du pays d’origine, accentué par l’impossibilité de s’y déplacer et de recevoir dans le pays d’accueil ses amis et ses proches, a exacerbé le sentiment d’appartenance culturel chez certains expatriés interrogés qui se reflète au travers de leur consommation alimentaire.
Sur les forums d’expatriés, les questions fusent pour trouver certains produits du pays d’origine notamment les condiments et sauces dont les expatriés américains et britanniques sont très friands en France à l’image des mythiques Hellmann’s sauces, la fameuse Frank’s red hot sauce, ou encore l’incontournable French’s yellow mustard…
« We’re almost out of it ! No imminent chance to restock from UK. Has anyone seen it sold in the area ? Thanks ! »
Certaines associations organisent même des masterclass ou des apéros en ligne autour de la préparation de plats typiques du pays d’origine, parfois confectionnés avec les moyens du bord.
Ces événements sont également l’occasion de se retrouver entre expatriés d’ici et d’ailleurs et de créer des liens en partageant les mêmes préoccupations et besoins. Quand ça n’est pas les associations, ce sont les membres de la famille et les amis restés au pays qui prennent le relais pour organiser des « happy hours » ou « tea time » en ligne permettant ainsi de partager un moment de convivialité.
Autant de moyens de perpétuer son appartenance culturelle et le sens du « chez soi » au travers de la cuisine par-delà les frontières et malgré les contraintes.
Raficka Hellal-Guendouzi does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
]]>2021-05-14T15:01:41+00:00Raficka Hellal-Guendouzi, Enseignante-chercheuse en Sciences de Gestion, EM Strasbourg Business School, Université de Strasbourgtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-15:/13079La valeur du temps, au cœur du grand bouleversement de nos sociétésNous manquons de temps. Au cœur de ce constat, il y a deux grands phénomènes. Le premier est économi...]]>Nous manquons de temps. Au cœur de ce constat, il y a deux grands phénomènes. Le premier est économique. Il a été décrit par Gary Becker. Avec lui, le temps apparaît comme un actif économique, un capital fini amené à devenir de plus en plus rare. Le deuxième est d’ordre sociologique et a été développé par Hartmut Rosa qui propose de relire l’histoire moderne à l’aune du concept d’accélération sociale. Ces deux phénomènes se renforcent l’un l’autre. Plus nos sociétés accélèrent, plus notre capital-temps se raréfie et prend de la valeur. Cette combinaison forme un processus d’une puissance inouïe, qui se situe au cœur du grand bouleversement de nos sociétés et défie la possibilité même de l’action politique dans sa capacité à transformer l’ordre des choses.]]>2021-05-15T09:09:35+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-14:/13019Quelques réflexions sur la catastrophe en cours]]>2021-05-13T18:04:23+00:00Bruno Thométag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-11:/12904La peinture après la fin de la peinture« Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Metropolitan Museum ?1 » est l’une des affiches ...]]>« Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Metropolitan Museum ?1 » est l’une des affiches les plus connues des Guerrilla Girls, groupe d’artistes femmes activistes dont les actions ont consisté, depuis 1985, à dénoncer le sexisme et le racisme dans le milieu de l’art. Réalisée en 1989 à partir de la célèbre toile de Jean-Auguste-Dominique Ingres qui représente La Grande Odalisque (1814) coiffée pour l’occasion d’un masque de gorille (celui que les Guerrilla Girls portent pour leurs actions), l’affiche a été actualisée au fil du temps et de ses contextes d’exposition, dénonçant l’accablante et constante méconnaissance des artistes femmes, toutes géographies confondues2.]]>2021-05-11T07:48:53+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-09:/12806« Ensemble, combattons le coronavirus »Évidemment qu'une maladie infectieuse se combat « ensemble » et oblige à ...]]>Évidemment qu'une maladie infectieuse se combat « ensemble » et oblige à penser les politiques de santé non comme l'organisation d'une offre de soins qu'il faudrait mériter (par ses cotisations ou son appartenance nationale) mais comme un bien commun auquel il appartient à chacun·e de prendre soin. Mais « ensemble », vraiment ?
« Ensemble » n'a plus trop de sens au regard de ce qui s'est passé depuis plus d'un an et qui n'est qu'une accélération du rythme de concentration des richesses en France, ce que Romaric Godin appelle la guerre sociale et dont même BFM doit constater qu'elle est depuis dix ans très favorable aux ultra-riches. L'intervention de l'État depuis mars 2020 s'est dirigée vers le soutien aux entreprises à travers le chômage technique et des aides non-conditionnées, simple invitation à les faire ruisseler sur leurs salarié·es (alors même que la « théorie du ruissellement », déjà remise en cause depuis quelques années dans les recherches publiées par le FMI ou la Banque mondiale, vient de se voir finalement désavouée par le président états-unien). Les entreprises du CAC 40 qui ont toutes bénéficié des largesses de l'État (soit de notre argent) non seulement débauchent mais aussi empruntent 51 milliards d'euros pour verser des dividendes à leurs actionnaires (voir ici l'Observatoire des multinationales et là une chronique radio qui explique l'essentiel). Les bénéfices ne sont pas au rendez-vous cette année, c'est en anticipation des prochains gains. Les aides accordées sur notre pognon ne seront pas à rembourser alors que le ministre de l'économie nous a promis que nous rembourserions dans la douleur le plan d'austérité « France Relance », à peine le double des dividendes du CAC 40 et loin de répondre à la hauteur des pertes essuyées comme tente de le faire le plan états-unien (décidément).
Le plan français s'attache plutôt à faire ruisseler sur les entreprises plutôt qu'à soigner les personnes les plus fragilisées par cette crise économique qui s'annonce (personnes dont le ralentissement de la consommation, y compris la partie la plus nécessaire, est susceptible d'affecter l'ensemble de l'économie, qui continuerait sa récession sans pour autant entrer en décroissance et affecter l'industrie du jet privé ou du yacht de luxe, au contraire). Quid des personnes qui ne sont pas ou plus en emploi ? Une réforme de l'assurance chômage plus sévère que jamais, qui va faire passer bien en-dessous du seuil de pauvreté nombre d'allocataires. Quid des personnes qui n'ont plus d'argent pour manger trois fois par jour ? Elles sont 8 millions à se régaler des invendus des industries agricoles et agro-alimentaires, défiscalisés à nos dépens, triés gratuitement par les petites mains des associations (oui, même ce qui ne peut être que jeté est défiscalisé), lesquelles cinq associations charitables se satisfont presque toutes du scandale. « Ensemble » ? Ça ressemble plus à « chacun·e sa gueule ».
Au niveau mondial, les gouvernants européens ne nous payent pas même de promesses, alors que la maladie est un phénomène qui connecte comme jamais les un·es aux autres les habitant·es de cette planète. Qu'un autocrate choisisse de ne pas prendre de mesures sanitaires dignes de ce nom, comme Jair Bolsonaro au Brésil et Narendra Modi en Inde, et c'est le monde entier qui est sous la menace des variants créés par une intense circulation du virus dans les pays en question. Les brevets sur les vaccins empêchent l'Inde, pays doté d'une des plus grandes capacités de fabrication de produits pharmaceutiques, de contribuer à combattre ensemble le virus. Les profits de quelques compagnies passent avant nos besoins… Là encore, le social-libéral Joe Biden, dont on n'attendait pourtant rien, propose de poser quelques limites à la toute-puissance de Big Pharma, après que ses investissements ont déjà largement été payés de retour. Les gouvernements européens, qui n'ont à la bouche que des mots encourageants sur des efforts partagés, continuent à imposer ces efforts principalement à nos petites personnes ni bien rentables et ni bien dangereuses.
Dans ces conditions où « ensemble » ne veut plus rien dire mais où on nous le ressasse dans des spots qui ne sont pas à la hauteur des besoins (criants, hurlants) d'information sur le Covid d'une immense partie de la population qui reste mal informée, les critiques les plus radicales se focalisent sur le port du masque obligatoire (protéger les autres dans les cas où le masque est nécessaire ? que nenni !) et la rebellitude sur le besoin urgent de s'alcooliser ensemble malgré le couvre-feu (1) ou dans les bars qui doivent absolument rouvrir parce que le client est roi. Rien ne va…
Qu'est-ce qu'« ensemble » pourrait signifier ? « Ensemble » pourrait signifier effort partagé, interdépendance, responsabilité et reprise en mains par en-bas d'une politique sanitaire cohérente. Comme le résument des camarades ici : « Quelqu’un·e qui n’aurait "même pas peur" que le virus passe par lui/elle fait courir un risque plus important aux collègues de son/sa colocataire ou aux parents d’élèves de la classe de son enfant (entre autres). Les conditions de vie des un·es mettent certain·es plus en danger que d’autres, en particulier celles et ceux qui n’ont pas le choix d’échapper à la promiscuité : les habitant·es de foyers d’hébergement, les travailleur·ses qui ne peuvent télétravailler, les détenu·es, etc., les rendant plus tributaires du comportement collectif. Notre santé physique, notre santé mentale, celle de nos proches, de nos voisin·es sont interdépendantes. » Ensemble, oui, plus que jamais, mais pas n'importe comment.
NB : À lire sur un sujet proche, cet ouvrage de Kate Pickett et Richard Wilkinson déjà chroniqué ici, Pour vivre heureux, vivons égaux ! Comment l'égalité réduit le stress, préserve la santé mentale et améliore le bien-être de tous, Les Liens qui libèrent, 2020.
(1) Je ne suggère pas ici que le couvre-feu est une mesure sanitaire efficace et intelligente (ce n'est pas le cas) mais qu'en matière de désobéissance civile il est des causes moins nombrilistes.
]]>2021-05-10T06:17:49+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-08:/12767The "Lost in the Rabbit Hole" Problem. De la torsion algorithmique.A l'origine de cet article il y a le déclencheur que fut ce bref échange Twitter avec...]]>
A l'origine de cet article il y a le déclencheur que fut ce bref échange Twitter avec le copain-collègue Marc Jahjah qui (se) demandait :
"Ça change quoi de penser [l'algorithme] comme partenaire à part entière ?"
Et à qui je répondais :
"l'algorithme comme être imaginal ? Un truc dans le genre ? Où plutôt un "Lost in the Rabbit Hole Problem" qui serai un lointain écho au "Lost In Hyperspace Problem" de Conklin. Ah tiens ça me donne une idée d'article ;-)"
Lost in Hyperspace Problem.
Je vous en ai déjà assez souvent parlé sur ce carnet de recherche(s). Il est considéré comme "le" problème fondateur de l'étude des environnements hypertextuels, et formulé dès 1987 par J.Conklin dans l'article :
Conklin faisait à l'époque du sentiment de désorientation ressenti par les internautes lors d'une navigation et/ou d'une tâche de recherche d'information, la conséquence d'une surcharge cognitive définie comme "l’effort additionnel et la concentration nécessaire pour maintenir plusieurs tâches ou plusieurs parcours [trails] en même temps." Il s'agissait, en 1987, de résoudre le problème "top-down" de la quantité d'information effectivement gérable par un utilisateur dans le cadre d'une tâche donnée, sans que l'utilisateur ne soit perdu ou désorienté au beau milieu de sa (ses) stratégie(s) de recherche. Une réponse fut apportée au bout de 10 ans par les industries de l'accès (Google naissait en 1998) avec ces nouveaux Gatekeepers que sont aujourd'hui moteurs de recherche et médias sociaux, principalement au travers de leurs algorithmes de recommandation ou de popularité et leurs systèmes de notifications, croisés avec leurs intérêts économiques et leur manière de modeler à la fois nos compétences attentionnelles et nos appétences informationnelles (et tout aussi efficacement nos appétences attentionnelles et nos compétences informationnelles).
Lost in the Rabbit Hole.
Le Rabbit Hole c'est au départ le choix d'Alice (au pays des merveilles) de suivre un lapin blanc super chelou dans son terrier, moment à partir duquel commencent réellement ses aventures extraordinaires. J'ai récemment découvert que Lewis Carroll était avant tout un logicien et que son oeuvre la plus connue (Alice au pays des merveilles) peut-être lue comme un moyen d'expérimenter la série de paradoxes logiques sur lesquels il passa l'essentiel de sa vie à travailler. Alice est aussi et peut-être avant tout une oeuvre et une interrogation sur la manière de représenter (et d'incarner) des paradoxes logiques ou logico-mathématiques tournant autour des notions d'inférence, de déduction ou d'implication, comme dans l'un des paradoxes que Lewis Carroll proposa lui-même, "le paradoxe de ce que la tortue dit à Achille".
L'effet Rabbit Hole c'est donc lorsque vous "tombez" via un lien ou un algorithme de recommandation sur un contenu qui vous entraîne dans un monde pouvant apparaître comme déconnecté de la réalité ou à tout le moins dans lequel certains faits, certains sujets, certains points de vue sont radicalement altérés. Et cette "altération" se produit en masquant l'existence de tout un tas d'autres faits, sujets ou points de vue, en n'en représentant qu'une partie la plus souvent extrême, en proposant des stimuli informationnels qui fabriquent de la "consonance cognitive", cet état ou "le sujet évite tout ce qui pourrait produire de la dissonance en s’exposant de façon sélective aux informations qui sont congruentes avec ses propres croyances".
A la différence de "bulles de filtre" qui demeurent toujours en prise avec des dispositifs et des formes éditoriales ou inter-individuelles de rappel au réel, les Rabbit Holes apparaissent comme des expériences de navigation profondes et aveugles et l'on pourrait presque les assimiler à des formes de "privations cognitives" de la même manière que l'on parle de "privation sensorielle" dans certaines expériences.
La plongée dans un Rabbit Hole peut en effet produire un effet de sidération qui nous fige dans l'incitation au défilement ininterrompu de propos, de discours et de contenus que l'on n'imaginait pas comme simplement "possibles".
Autour de Youtube par exemple, de nombreux travaux ont montré que les recommandations vous emmenaient vers des vidéos qui présentent des points de vue de plus en plus extrêmes ou radicaux par rapport à vos visionnages initiaux. Ainsi après une requête sur le mot clé vaccin, une fois visionnée une première vidéo même simplement "neutre" et informative, l'algorithme de recommandation va vous entraîner dans le "Rabbit Hole", fait de vidéos toujours plus antivax et complotistes. La raison c'est que cette stratégie permet à Google / Youtube de maintenir votre attention au sein de son écosystème de services, et donc d'engranger toujours davantage de recettes publicitaires et de données qualifiées sur nos comportements (ou nos errances) informationnelles.
Mais le Rabbit Hole ce sont aussi les chaînes quasi-infinies de commentaires sous des vidéos, chaînes dans lesquelles chacun va se trouver conforté dans ses propres croyances ou, à l'inverse, être amené à sur-réagir tant les fils de discussion heurtent ces mêmes croyances. Un court exemple qui pourra vous donner une idée via cette vidéo d'une manifestation d'anti-masques lors du 1er mai, même si la chaîne de commentaire est ici relativement courte il faut imaginer que ces Rabbit Holes peuvent parfois ramasser plusieurs dizaines de milliers ou des millions de commentaires. Idem pour certaines pages ou groupes Facebook (je vous avais raconté celle du groupe pro Raoult) qui sont eux-mêmes déjà des Rabbit Holes par leur positionnement délibérément marginal ou provocateur corrélé au volume d'interactions, commentaires et pages ou groupes satellites qu'ils agrègent et qui vous permettent ou vous amènent à vous enfoncer toujours davantage vers le fond du "terrier".
Facebook est lancé en 2004 et Google rachète Youtube en 2006. Les années 2010 / 2015 votre être marquées par l'essor exponentiel des plateformes sociales (tant "médias" que "réseaux") et par une massification constante et exponentielle des usages se concentrant sur très peu d'entre elles (dont Facebbok et Youtube). L'effet "Rabbit Hole" s'est trouvé sur le devant d'une petite partie de la scène médiatique grand public depuis en gros 2018, époque à laquelle Guillaume Chaslot mais aussi et surtout Tristan Harris commencent à bénéficier d'une importante visibilité médiatique et où, entre autres, Zeineb Tufekci signe un impeccable édito dans le New-York Times simplement titré : "Youtube, the great radicalizer".
Mais les travaux universitaires sur les algorithmes de recommandation sont bien plus anciens et nombre d'entre eux (notamment sur Youtube et notamment pour les contenus haineux apparentés à l'extrême droite) avaient déjà permis d'établir de manière non-ambigüe le rôle prépondérant de ces algorithmes dans des stratégies que l'on qualifiera de simple "bulle" ou de "conformité de croyance" si l'on veut les euphémiser ou "d'enfermement" si l'on veut au contraire en accentuer le trait. Mais dans les deux cas (simple "bulle" ou stratégie carcérale de captation de l'attention), tout le monde s'accorde à constater que nos passages dans différents terriers attentionnels occupent un temps de plus important de l'ensemble de nos stratégies de navigation et de présence en ligne.
Le lapin dans la chambre à air.
Voila comment il me semble possible de caractériser la transition et la parenté entre le "Lost in Hyperspace Problem" de Conklin en 1987 et le "Rabbit Hole Problem" des années 2015.
Pour le Lost in Hyperspace Problem, il s'agissait de comprendre et d'analyser les effets de "désorientation" liés à une surcharge cognitive mobilisée comme remède pour compenser le maintien d'une activité de recherche ou de consultation se déployant sur plusieurs plans simultanés.
Pour le Rabbit Hole Problem, il s'agit de comprendre et d'analyser les effets de polarisation liés à un abaissement du seuil de vigilance cognitive mobilisé comme poison pour compenser l'immersion dans des agglomérats informationnels homogènes et souvent convergents.
Pour le résumer en une formule : le problème était que nous étions (trop) facilement désorientés, le problème est aujourd'hui que nous sommes (trop) facilement (ré)orientés. Ou pour le dire encore autrement : nous sommes passés d'une indétermination topologique de nos navigations (ne pas savoir où nous étions, où nous allions, et comment nous y rendre) à un hyper-déterminisme situationnel de nos navigations (qui fait que nous ne nous posons même plus la question de savoir comment et pourquoi nous sommes arrivés là, et que nous ne savons pas nécessairement comment en sortir ou que nous n'en avons simplement plus envie parce que nous n'imaginons pas d'autres possibles).
[Anecdote personnelle] Il y a peu en discutant avec un collégien mien (en classe de 3ème) il m'expliquait pourquoi l'algorithme de TikTok était "intelligent" parce que "il savait ce qu'il aimait". Quand je lui rétorquais que cela l'empêchait peut-être de découvrir de nouveaux contenus ou que cela l'obligeait à regarder toujours la même chose, il répliqua à son tour qu'il (l'algorithme) lui proposait parfois des trucs nouveaux mais que s'il ne les regardait pas alors l'algorithme s'en souvenait et ne lui reproposait plus. Mais par contre si l'algorithme lui propose des vidéos sur des thèmes qu'il aime suivre, en général il les regarde et les ajoute à ses abonnements. Donc pour lui (et c'est tout à fait normal à cet âge et dans ce contexte), la question entre "variété" de contenus et "diversité" éditoriale n'est pas opérante. Regarder des vidéos de différents Youtubeurs ou Tiktokeurs parlant de bricolage ou de Gaming, c'est avoir le sentiment d'éprouver une diversité alors qu'il ne s'agit que d'une déclinaison d'autant de variétés. Et tant que cette variété et ces variations sont pensées et éprouvées comme autant de ritournelles de la diversité, le sentiment d'être enfermé n'est ni concevable ni même en un sens métabolisable. [/Anecdote personnelle]
Il ne s'agit aucunement de défendre une sorte de "c'était mieux avant" mais de pointer des invariants. Le premier invariant à rappeler dès que l'on aborde la question des algorithmes de recommandation, est que nous sommes et nous avons toujours été des êtres extrêmement prévisibles. Nous sommes, pour plein de raisons psychologiques, culturelles et sociales, pétris de routines et "d'habitus" comme disent les sociologues. Il n'est donc pas extrêmement difficile de prévoir nos comportements ou nos goûts, a fortiori quand on dispose d'un volume de données considérables permettant de les historiciser autant que de les caractériser finement. L'autre invariant est que nous portons en nous deux grandes catégories de limitations. Des limitations cognitives "quantitatives" : nous ne pouvons pas tout lire / voir / écouter tout le temps, nous sommes contraints de choisir (oui / non), de hiérarchiser (1,2,3) et de linéariser (1 puis 2 puis 3). Et des limitations cognitives "qualitatives" : nous n'avons pas envie de tout lire tout le temps ; nous avons des préférences dans nos routines ; nous n'aimons pas la dissonance cognitive, en tout cas pas trop ou pas trop souvent.
Si les effets de type "Rabbit Hole" ou les effets de polarisation "en général", posent aujourd'hui un problème si important à l'échelle des médias sociaux, c'est parce qu'ils introduisent une dissymétrie fondamentale entre nos limitations cognitives quantitatives et qualitatives. Ils leurrent ou biaisent les secondes en sur-représentant ce que nous aimons au sein de nos navigations, et ils lèvent la limite raisonnable des premières en provoquant artificiellement des sentiments de perte ou de manque dont la FOMO (Fear Of Missing Out) est le paradigme ultime. Le reste n'est affaire que d'organisation sociale (le fameux "temps d'écran" qui s'est installé comme métonymie pleine et entière du "temps de loisirs"), de disponibilité des terminaux d'accès (avec 6,4 écrans connectés en moyenne par foyer) et de design d'interface (Dark Patterns, Infinite Scrolling et autres astuces captologiques).
L'autre problème de ces "Rabbit Hole" c'est qu'ils ne sont presque jamais perçus comme des "trous" mais comme des "surfaces". Et que si l'on peut se sentir à l'étroit ou enfermé au fond d'un trou, on ne le peut pas si la perception topologique que nous en avons est celle d'une surface plane. D'où l'impression contre-intuitive de certains adeptes fréquents de ces Rabbit Holes de ne pas s'y sentir totalement enfermés et d'avoir même l'impression de pouvoir continuer à s'y informer "normalement". D'où vient cette perception contre intuitive ? Il y a longtemps que l'on sait que le premier principe du web et de l'hypertexte est un principe topologique. C'est notamment ce que décrivait Pierre Lévy dès 1991 avec les 6 principes de l'hypertexte :
"Dans les hypertextes, tout fonctionne à la proximité, au voisinage. Le cours des phénomènes y est affaire de topologie, de chemins. (…) Le réseau n’est pas dans l’espace, il est l’espace."
Or dans la science topologique, deux objets sont équivalents si l'on peut déformer l'un pour arriver à l'autre (sans aucune découpe et par simple étirement ou torsion). Ainsi un carré est topologiquement équivalent à un rond. Ce qui ne lasse pas de me fasciner depuis que je l'ai découvert au travers de la lecture de René Thom et de sa théorie des catastrophes :-)
De la même manière, "une tasse à café est identique à une chambre à air, car toutes deux sont des surfaces avec un trou." (Stewart I., "Simples pavés : une méthode générale pour créer des pavages du plan.", pp.106-107, in Pour la science, n° 272, Juin 2000).
Nous sommes ainsi souvent tout au fond de la tasse mais par simple torsion (la recommandation algorithmique ou celle de nos amis) ou par simple étirement (l'appétence d'aller voir le lien d'après) nous naviguons avec l'impression de nous balader librement à la surface surplombante de la chambre à air. "Car toutes deux sont des surfaces avec un trou."
Et que pour nous faire basculer de l'une à l'autre il n'est besoin ... que d'un étirement ou d'une torsion algorithmique.
L'algorithme avec un trou.
Marc se demandait :
"Ça change quoi de penser [l'algorithme] comme partenaire à part entière ?".
Je l'ignore. Mais je lui réponds :
"Ça ressemble à quoi un algorithme avec un trou ?"
Ou plus exactement, ça change quoi de penser "l'algorithme" ou en tout cas la dimension opératoire et applicative de la science algorithmique en termes topologiques ? Cela peut-il permettre d'en mieux comprendre l'itinérance et les itérations, et fournir quelques éléments d'explication à des situations de navigation aux perceptions souvent contre-intuitives ou à l'analyse des phénomènes de "bulle" et autres "Fake News" que l'on ne parvient sinon que très difficilement à replacer dans le bon repère et sur le bon plan ? J'espère que cet article aura permis de répondre en partie "oui" à tout cela.
A nous de voir ensuite comment il pourrait être possible et intéressant de classer topologiquement les algorithmes (de recommandation notamment) : ceux qui sont, par exemple, "des surfaces avec un trou". Et d'analyser les torsions ou étirements qu'ils peuvent subir et les conséquences sur nos pratiques informationnelles et sur nos mondes sociaux.
Et d'ailleurs qu'est-ce qu'un algorithme de surface ? Et qu'est-ce qu'un algorithme avec un trou ?
Mais ce sera l'objet ... d'un autre article :-)
[ ... à suivre]
]]>2021-05-07T17:26:15+00:00olivierertzscheidtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-07:/12738How I work, Part V: Zettlr and Academic MarkdownSome of you who are following me mainly via the project’s official Twitter account might have...]]>Some of you who are following me mainly via the project’s official Twitter account might have waited for this piece on Zettlr. But all of you who don’t know me will also find today’s part of my How I work-series interesting: Because it’s all about leaving your comfort zone of Word and entering a world that is still in flux, but nevertheless more powerful than anything before it. So read on to see why I think Markdown, and not Word Processors, will mark the future of academic writing!]]>2021-04-05T07:00:00+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-06:/12683Écoles et Covid-19 : l’État se défausse-t-il sur les collectivités territoriales ?La lutte contre l'épidémie de Covid-19 impose de nouvelles contraintes matérie...]]>La lutte contre l'épidémie de Covid-19 impose de nouvelles contraintes matérielles du côté des élèves comme des écoles.Shutterstock
En matière d’affaires scolaires, l’État essaierait-il d’échapper à ses responsabilités pour les faire peser sur les régions, villes et départements ? La question se pose face aux mesures matérielles envisagées pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
Le 22 avril dernier, les collectivités territoriales ont été « encouragées » par le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer à équiper les établissements scolaires en capteurs de CO2 et purificateurs d’air, lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre et ses homologues de la Santé et de l’Intérieur.
Un capteur de CO2 vaut entre 80 euros et 300 euros, et il en faudrait un par salle de classe. Il y a un certain nombre de salles dans chacun des 61510 établissements de France, sans compter les réfectoires, les halls, les bibliothèques qu’il faudrait aussi logiquement équiper.
On voit l’ampleur du problème à résoudre non seulement pour ce qui concerne la production industrielle à mettre en place, mais aussi quant à sa dimension financière qui s’ajouterait aux efforts de plus en plus conséquents consentis de fait par les collectivités territoriales.
Loi de décentralisation
En 1980, à la veille de la loi de « décentralisation », la part des collectivités territoriales dans les dépenses intérieures d’éducation était de 14 %. Elle atteint actuellement 24 % selon les statistiques ministérielles.
On aurait pu croire que les principes de base de ce qui a été appelé « la décentralisation » avaient été dûment et solidement établis dans le cadre de la réforme institutionnelle mise en œuvre à partir de la loi du 2 mars 1982, initiée notamment par le ministre de l’Intérieur du gouvernement Mauroy, Gaston Defferre. Une nouvelle collectivité territoriale est alors créée : la région.
Il y a transfert à l’ensemble des collectivités (régions, départements et communes) de plus grandes responsabilités exercées plus librement : les procédures du contrôle a priori sont supprimées et les décisions prises sont immédiatement exécutoires. Les régions ont en charge les lycées ; les conseils généraux (appelés maintenant conseils départementaux), les collèges ; les communes, les écoles.
Chaque niveau de collectivités reçoit un même bloc de compétences : construction, reconstruction, extension, fonctionnement des établissements scolaires. Et une plus grande participation des collectivités territoriales aux décisions est instituée au sein des établissements scolaires et dans les conseils situés au niveau départemental ou académique.
L’État se réserve un certain nombre de compétences (et des pouvoirs importants) :
les programmes et les horaires d’enseignement ;
les conditions d’obtention des diplômes et l’organisation des examens du second degré ;
le contrôle des enseignements scolaires par plusieurs corps d’inspection ;
la gestion et la rémunération des personnels enseignants et de certains personnels non enseignants notamment.
La règle la plus générale est finalement celle des compétences partagées, dans la mesure où l’État conserve la responsabilité du service public d’enseignement (qui est inscrite dans le préambule de la Constitution : « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir d’État »).
En principe, les compétences respectives de l’État et des collectivités territoriales sont clairement délimitées, l’État faisant de la fixation des programmes et de la gestion pédagogique son domaine réservé. Mais des interférences sont possibles. Et aussi des extensions assez inattendues du rôle effectif des collectivités territoriales.
Développement de l’enseignement supérieur
Cette extension du rôle des collectivités commence très tôt et très fort avec le rôle qu’elles vont finalement assumer dans l’accélération du développement des enseignements supérieurs alors que ceux-ci ne faisaient pas du tout partie de leurs attributions définies par la loi de « décentralisation »…
Dès le mois de mai 1990, le gouvernement annonce son intention d’engager 16 milliards de francs entre 1991 et 1995 pour développer l’enseignement supérieur, construire 1,5 million de mètres carrés de locaux supplémentaires, des milliers de places de bibliothèque universitaires, des locaux de recherche, des logements et restaurants universitaires. Et il sollicite une aide complémentaire des collectivités locales de l’ordre de 7 milliards de francs.
Au terme de longues négociations, menées de l’été 1990 au mois de janvier 1992, région par région, et entérinées par trois comités interministériels d’aménagement du territoire, ce sont finalement 16 milliards de francs (autant que l’État) que les régions, les départements et les villes (à part à peu près égales) apportent, portant l’enveloppe à 32 milliards de francs, un chiffre vraiment considérable.
Les collectivités territoriales y ont gagné la délégation de maîtrise d’ouvrage sur des équipements souvent prestigieux dont elles pourront se prévaloir. Elles ont pu peser de tout leur poids sur la future carte universitaire, en implantant des formations d’enseignement supérieur dans les villes moyennes (IUT, sections de techniciens supérieurs, antennes voire embryons d’universités).
Enfin, elles ont de fait été associées à la définition des filières et des formations nouvelles, en particulier en ce qui concerne les filières technologiques les mieux à même de servir de point d’appui au développement économique local.
On le voit, rien n’est simple dans la répartition effective des rôles de collectivités territoriales d’une part et de l’État d’autre part. Leurs intérêts peuvent diverger, même s’ils peuvent parfois se conjuguer. C’est le cas lorsque les efforts consentis par les collectivités territoriales peuvent les valoriser ainsi que leurs dirigeants, notamment lorsqu’il s’agit d’implanter de nouveaux établissements et d’innover. Mais c’est moins évident – tant s’en faut – lorsqu’il s’agit du strict fonctionnement ordinaire et/ou nécessaire.
On entre dans les campagnes électorales en vue du renouvellement des conseils départementaux et des conseils régionaux. On va voir si ce volet matériel de précaution va être ou non pris en compte, par qui, et de quelle manière.
Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
]]>2021-05-05T17:56:58+00:00Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université de Paristag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-05:/12640La liberté de boire des coupsIl y a cinq ans, suite aux attaques du 13 novembre, certain·es à gauche avaient &eacu...]]>Il y a cinq ans, suite aux attaques du 13 novembre, certain·es à gauche avaient érigé le fait de sortir et de boire des verres comme l'emblème de notre civilisation. Nous étions attaqué·es dans nos bars et nos restaurants, en tant que civilisation jouisseuse ? Nous allions porter haut et fort les couleurs de la liberté, rouge aux joues et pintes dorées. Et qu'importait que nos assaillant·es eussent été des petites frappes aussi volontiers alcoolisées que nous autres mais récemment converties à un cliché d'islam censé justifier leur haine et leur violence. Qu'importait aussi que cette communion républicaine subversive se fît sous les auspices d'une activité commerciale pas franchement inclusive. Qu'importait enfin que la France eût « éteint les Lumières » en cette sombre année 2015 et qu'il fallût lutter sur tant de fronts, contre le récit du choc des civilisations, contre les lois sécuritaires qui prenaient indifféremment comme cibles des terroristes et des militant·es. Qu'importait, car cette posture du petit-bourgeois satisfait des moments festifs de sa vie était bien la plus confortable.
C'est à ça que me fait penser la révolte actuelle contre les mesures sanitaires. 2015 puis cette crise du Covid nous valent un arsenal répressif hallucinant, d'état d'urgence (sanitaire ou anti-terroriste, on peine à en distinguer les mauvaises raisons, c'est devenu notre pain quotidien) en lois attentant gravement à nos libertés individuelles et associatives. Même les propos critiques de l'agriculture productiviste majoritaire sont sur la sellette : ce serait de l'agribashing, une forme de « complicité de terrorisme » anti-agricole. Mais le plus grave, ce serait qu'on ne peut pas boire de coups dans les bars ni aller au restaurant.
Moi aussi j'aime bien aller boire des coups et manger au restaurant. J'ai la chance de faire partie des groupes sociaux qui peuvent se le permettre (sans enfant à charge, avec un revenu suffisant et un logement à portée de vélo ou de métro de tous les endroits sympa). Et j'ai beaucoup critiqué ici les arbitrages effectués en solo par l'épidémiologiste en chef et futur prix Nobel de médecine qui fait l'admiration du monde entier. Notamment la priorité constante de l'économie sur nos vies : les déplacements autorisés pour le boulot mais pas pour les relations affectives, les cantines scolaires et d'entreprise ouvertes tandis que les restaus étaient fermés, les clusters professionnels pas contrôlés (1) alors que les lieux publics culturels qui mettaient en place des protocoles plus stricts et mieux suivis (2) restaient fermés. « Au boulot et puis à la niche. » Est-ce à dire qu'il faudrait faire exactement le contraire ou lever toute interdiction ?
La proposition que nous sommes nombreuses et nombreux à porter, c'est plutôt de faire entrer la gestion de la crise sanitaire en démocratie. Ce qui ne signifie pas non plus de la libéraliser, façon si tu trouves que c'est dangereux, tu n'as qu'à pas… Car nous sommes tou·tes dans le même bateau et nous payons ensemble un prix élevé quand il y a des trous dans la coque : nous avons des proches qui meurent, d'autres qui vivent avec un Covid qui les handicape durablement, d'autres enfin qui sont privé·es de soins, reportés sine die à cause de l'engorgement des hôpitaux. La démocratie, ça n'est ni la somme des choix individuels ni le plébiscite collectif. C'est des choix informés pris après des délibérations où toutes les parties sont entendues. (Oui oui, comme la convention citoyenne sur le climat et les conférences de citoyen·nes qui les avaient précédées et vu elles aussi leurs travaux finir à la poubelle.)
Dans un monde idéal, nous arbitrerions entre nos différents besoins (l'économie en fait partie) et ce qu'on sait du Covid pour bâtir une politique de réduction des risques. Les savoirs qui la fondent seraient mieux expliqués que dans ces spots de 30" qui nous matraquent sans rien nous expliquer. Ces savoirs serait compris et assimilés, la réduction des risques serait une nouvelle culture, un peu comme la capote des années Sida, acceptée et suivie par une majorité du corps social quand elle est nécessaire. Dans ce monde idéal, plus de mesures incohérentes (entre elles et avec ce qu'on sait des modes de transmission de la maladie) qui gonflent tout le monde car elles sont à la fois contraignantes et inefficaces – le pire des deux directions possible, le Brésil de Bolsonaro et l'Inde de Modi où on peut bien crever et qui offrent leurs variants au reste du monde ou Singapour qui a mis la ceinture et les bretelles mais qui depuis le confinement de l'an dernier permet aux résident·es de vivre leur vie mieux que nous ici (3).
Dans ce monde idéal, vu l'état des savoirs sur les contaminations en plein air, nous ne serions pas tenu·es de porter un masque au milieu de la forêt comme c'est le cas dans la plupart des départements, les terrasses des cafés et des restaurants seraient déjà rouvertes. Mais il ne serait pas non plus imaginable d'en ouvrir dans à peine un mois les intérieurs, soit des endroits non-essentiels où il est techniquement impossible de porter le masque. Et les restrictions ne porteraient pas sur la liberté des personnes, un bien précieux auquel il est grave de toucher (William Dab, un expert en matière de prévention sanitaire, le rappelait en juin dernier) mais sur des activités, arbitrant entre leur nécessité et leur niveau de risque.
Cette réouverture des restaurants, dans un pays où la circulation du virus est encore très élevée et le nombre de personnes hospitalisées proche des niveaux du pic du printemps 2020, est-elle une victoire de la liberté et de l'esprit français que le monde nous envie ? Ou simplement une de ces mesures qui privilégient l'économie aux dépens de nos vies et que le gouvernement est bien content de nous accorder parce qu'on a besoin de lâcher du lest, envie de lâcher des ronds et que lui en a marre de soutenir économiquement le secteur ?
Antoine Perraud notait que la chanson d'HK et les Satimbanks, « Danser encore », qui donne le la de danses impromptues fleurissant spontanément dans les rues des villes, se trouve « sur une ligne de crête discutable » : « recentrement nombriliste ou (...) sédition inclusive ? » Exigeons-nous que la pandémie arrête de nous faire chier et qu'on cache, au moins le temps d'un été, une misère hospitalière que nous ne souhaitons plus voir, parce que « ça commence à bien faire » comme disait Sarkozy des questions écologiques ? Ou avons-nous besoin de respirer un peu, de nous sentir de nouveau exister dans des foules, pour nous donner le courage de lutter – non plus pour un pad thaï à quinze balles mais pour des vies dignes pour tou·tes ? Cette chanson sera-t-elle le tube de l'été ou l'un de ces airs qui accompagnent les plus belles révolutions ?
NB : Reçu dans ma boîte aux lettres cette brochure du BDE d'une école de commerce avec une blague excellente. Tintin essaie de modérer les ardeurs d'un capitaine Haddock très excité : « Spiderman, Superman, Antman… Moi en ce moment, le seul super-héros que je rêve de rencontrer, c'est barman ! » Ce serait très drôle si c'était une blague de fil·les à papa qui n'iront jamais bosser en première ligne et qui répètent les mantras néolibéraux : « La société, ça n'existe pas. » Mais ça vient de la presse anti-tech radicale. La responsabilité, le principe de précaution, le soin aux autres, tout ça... des valeurs qu'on retrouve dans cet excellent billet sur les mondes militants radicaux confrontés à la crise sanitaire.
(1) J'ai chopé le Covid dans un tel cluster où le directeur n'avait pas jugé bon avant le 11 mars 2021 de mettre en place des précautions comme le télétravail partiel ou le port du masque obligatoire. On attend toujours une disposition sur l'aération des locaux, le temps que le savoir ruisselle jusque sur les imbéciles.
(2) Je n'oublie pas le désastre du déconfinement et comment les cinémas ont refusé (et obtenu) de ne pas rendre le port du masque obligatoire en salle, alors que la contamination par aérosols était reconnue dans le monde entier sauf la France qui avait parié sur les gouttelettes et le nuage de Tchernobyl. Cette obligation n'a été effective dans tous les lieux publics intérieurs que fin juillet (honte aux autorités) et dans les cinémas que fin août (honte à la profession).
(3) Pas d'angélisme : Singapour a aussi choisi d'utiliser son application de traçage de cas Covid pour résoudre des affaires policières… Une dérive qui n'importe où ailleurs instaurerait la défiance concernant ce dispositif.
]]>2021-05-09T07:36:20+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-04:/12565Nous retrouver. Les p'tites beautés de l'élysée.Hier soir après l'avoir moqué sur les médias que l'on dit sociaux, Cyril Hanou...]]>
Hier soir après l'avoir moqué sur les médias que l'on dit sociaux, Cyril Hanouna appelait donc Jean-Michel Blanquer au téléphone, en plein direct pendant son émission, pour "trouver une solution" au problème du Bac. Le plus étonnant fut que Jean-Michel Blanquer décrocha et répondit. Oh ... pas grand-chose. Mais que "tout était ouvert". Le même Hanouna que Marlène Schiappa voyait bien en animateur du débat présidentiel. La même Marlène Schiappa dont on ne compte plus les apparitions et invitations sur le même plateau du même Cyril Hanouna.
Hier ou avant-hier peut-être, et à grands renforts de photos de stock aussi moisies que mal-choisies, c'est l'Elysée qui publiait un spot de pub pour la pandémie. Oui bien sûr je suis taquin, ce n'était pas un spot de pub "pour la pandémie", mais "pour le déconfinement" prochain (s'il a lieu). Mais un spot de pub quand même. Spot de pub ou comme le pointait si justement Cheick Evara sur Twitter :
"fantasme cynique d'un retour à la normale et aux loisirs, sans morts, sans malades, sans précaires, sans soignants à bout de souffle, profs exténués, familles à la rue."
De toute éternité (puisque le temps semble étonnamment long depuis sa nomination comme porte-parole du gouvernement) Gabriel Attal publie des infos étatiques et parfois extatiques en "exclu" dans ses stories Instagram et se fait joie d'aller débattre misère étudiante avec autant d'influenceurs qui ont la double compétence, c'est notable, de n'être ni miséreux ni étudiants.
Ce matin je découvrais assez ahuri l'existence à l'adresse "elysee.fr/cocorico" (mais oui mais oui) l'existence de la lettre d'information de l'Elysée, baptisée donc "Cocorico", et supposée être la pourvoyeuse de bonnes nouvelles, Success Stories et autres Role Models tant attendu.e.s par ... on ne sait pas trop qui. Car, nous explique-t-on, il est temps de dessiner un horizon désirable (de lapin) et de sortir de la morosité ambiante et du France Bashing.
Cette newsletter est, à y regarder de près, un étrange et improbable mélange de publicités pour des mesures gouvernementales agrémentées d'un florilège de news Topito et autres infos Konbini, le tout listé sans talent ni goût - ni cohérence éditoriale d'ailleurs - dans une sorte de Newsletter statique et déjà poussiéreuse. Mais comme il est écrit en clausule de ladite "Lettre d'info Cocorico 2" datée d'Avril 2021 :
"Ce serait dommage de ne pas partager autant de bonnes nouvelles."
Bah oui gros.
Moralité.
La capacité d'auto-fellation de chacun d'entre nous n'étant limitée que par le choix de se briser certaines vertèbres dorsales et cervicales, on pourra dira ce qu'on voudra du droit de l'Elysée à s'auto-congratuler par tous les moyens possibles, y compris par le truchement d'une newsletter qui est en termes de contenu et de pertinence aussi proche du vide que possible.
On pensera également ce que l'on voudra de la nécessité impérieuse ou du réflexe Pavlovien qu'ont les membres du gouvernement de répondre aux injonctions beuglantes d'un animateur vedette de la galaxie de l'infâme Bolloré, notre Steve Bannon bretonnant à nous.
On verra bien ce qu'on voudra voir dans la confusion des genres et des sentiments qui permettent à un porte-parolat se drapant dans la dignité de l'écoute de l'opinion de revêtir à sa guise les habits de carnaval du marketing d'influence le plus tape à l'oeil.
Dans ce contexte, et à un an d'élections présidentielles dont le seul suspens consiste à déterminer si elles seront plutôt un Hiroshima de résignation ou un Nagasaki de Trumpisme à la[ction] française, se transformer un Chief Happiness Officer de la Start-Up Nation via une newsletter si confidentielle ou incidentelle soit-elle, et balancer des clips promotionnels d'un agenda de déconfinement toujours décrit comme a minima très incertain par une bonne partie du monde et du personnel médical et alors même que 300 personnes meurent du Covid à l'hôpital chaque jour, est une faute.
Une faute politique et cynique dont on aimerait pouvoir croire qu'elle n'est que de (mauvais) goût, mais pour laquelle il est extrêmement difficile de masquer notre profond dégoût.
Une faute qui est aussi un stigmate pesant nous ramenant à l'état de nos sociétés et surtout des discours politiques qui prétendent en rendre compte ou en saisir l'irréductible essence. Le stigmate d'une technocratie qui est désormais au point d'équilibre - ou de rupture ? - exact entre le script d'Idiocracy défilant tous les jours en continu sur CNews et la programmatique Happycratie si brillamment décrite par Eva Illouz et Edgard Cabanas. Technocratie qui, et c'est bien cela notre souci, semble avoir fait de ce point d'équilibre, une politique toute entière.
]]>2021-05-04T15:50:13+00:00olivierertzscheidtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-01:/12464Considérations sur la victoire (1/4) : les temporalités de la lutteDe feuilles volantes en mains amies, ce texte est parvenu à nos yeux. Lutte majeure du XXIe...]]>
De feuilles volantes en mains amies, ce texte est parvenu à nos yeux. Lutte majeure du XXIe siècle, symbole de la bataille contre les grands projets inutiles et imposés, héraut du combat face à l’urgence écologique, quatre mains de la ZAD se livrent ici à une introspection publique, une autocritique salutaire. Les voies de la... Voir l’article
]]>2021-04-30T23:31:11+00:00Topophiletag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-03:/12540Troisième vague du Covid : le pari de l’indifférence | Alternatives Economiques« Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui », écrivait La Rochefoucauld. Un a...]]>« Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui », écrivait La Rochefoucauld. Un an après leur premier mort du Covid, les Etats-Unis viennent de franchir le seuil de 500 000 décès sous le regard d’un monde éberlué. Cette tragédie sanitaire devra rester dans les mémoires comme le prix à payer pour avoir laissé dériver pendant des décennies les inégalités sociales.]]>2021-05-03T10:36:11+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-05-03:/12539Crise après crise, les milliardaires continuent de s'enrichir | Alternatives EconomiquesLes milliardaires s’enrichissent quand ça va bien. Les milliardaires s’enrichissent encore plus quan...]]>Les milliardaires s’enrichissent quand ça va bien. Les milliardaires s’enrichissent encore plus quand ça va mal. C’est ce que nous apprenait une étude d’UBS, qui a défrayé la chronique au début du mois d’octobre.]]>2021-05-03T10:32:04+00:00tag:ergosterol.monolecte.fr,2021-04-28:/12326Décroissance ou barbarieC’est in extremis que j’ai pu me procurer un numéro de La Décroissance d&...]]>C’est in extremis que j’ai pu me procurer un numéro de La Décroissance d’avril dans ma petite ville prospère, en bordure du bois de Vincennes, où l’on ne croise presque jamais de Noir·es ou d’Arabes et qui a réélu l’an dernier son maire de droite dès le premier tour. D’habitude, m’explique le monsieur qui tient le kiosque sur la grand place, les numéros de ce journal arrivent puis repartent et c’est la première fois qu’il en vend un… et même deux quand j’achète le dernier. Le buraliste de la rue de la Poste, qui en commande à peine plus chaque mois, a été dévalisé.
À quoi donc ressemble la une du mensuel pour produire un tel effet ? « Indigénistes, décolonialistes, racialistes… » « Basta ! », dit la pancarte d’un personnage représentant la Terre. Est-ce Minute, Valeurs actuelles, L’Express ou Marianne ? Non, c’est le « journal de la joie de vivre » qui tente un élargissement de sa cible à la fachosphère, rejoignant dans le concert national(iste) une extrême droite jadis isolée mais désormais rejointe par les plus grands esprits du pays, de la gauche républicaine à la droite la plus moisie, emmenés par un chef de l’État qui a ouvert les hostilités le 11 juin 2020 : « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. » (Voilà qui était tellement plus vital que de préparer sa campagne de vaccination hyper centralisée qui en quatre mois, malgré un nombre de doses suffisant au moins à cet usage, n’a toujours pas réussi à faire vacciner toutes les personnes de plus de 70 ans.)
Leur récit, on le connaît : importé des États-Unis, un vent malsain a réussi à mettre la pagaille dans notre beau pays des droits de l’Homme où tous sont égaux en droit et où jamais, au grand jamais, des populations issues de notre ancien empire colonial n’auraient été victimes de discriminations de la part de l’État ou de ses fonctionnaires. Les ennemi·es à abattre ne sont donc pas les racistes qui nuisent à l’égalité entre les personnes mais les musulman·es qui osent laisser voir en public des indices de leur pratique religieuse ; les sociologues qui constatent des discriminations de fait, qu’il s’agisse de violences policières ou de traitement inégal à l’école et dans les services publics ; les historien·nes qui rappellent les principes de la laïcité républicaine tels qu’ils ont été pensés et énoncés en 1905 ou bien l’horreur de la colonisation, moment mal connu de notre histoire mondiale et qu’en France on préfère fantasmer en entreprise humanitaire ayant apporté la civilisation et le confort moderne à de pauvres gens qui sans nous seraient morts de faim. Il faut rappeler, je l’ai notamment fait ici, la couche d’ignorance bien crasseuse sur laquelle prospère ce récit, dont l’élément le plus emblématique me semble être l’oubli du statut de l’indigène. Dans la France coloniale, les populations locales n’étaient pas citoyen·nes mais sujets de la République, et ça change tout.
Aujourd’hui, la plus grande atteinte aux principes républicains, ce ne serait donc pas l’importation depuis les États-Unis des avatars du trumpisme, comme les théories complotistes ou la mauvaise habitude de faire intrusion en bande dans les hémicycles. Vous vous souvenez ? Il faut dire que c’était il y a déjà deux mois, un groupe d’extrême droite a fait irruption par la violence dans un conseil régional pour interrompre la plénière qui se tenait dans l’hémicycle. Ah oui, tiens. Deux mois plus tard, le tweet revendiquant cet acte séditieux est toujours hébergé par la plateforme – la même qui exclut un 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le Sida, des militant·es ayant utilisé les mots « pédé » et « gouine » pour se définir (1). Et Carole Delga, présidente de la région Occitanie ciblée par cette attaque, a des mots très durs contre les officines qui ne respectent ni la loi ni l’esprit de la République… en organisant des réunions syndicales non-mixtes. Ces organisations (associations et syndicats) voient leur liberté politique s’éroder sous les menaces de dissolution, parfois suivies d'effet comme dans le cas du Collectif contre l'islamophobie en France (je vous laisse juger de leur parole, c'est ici). Pendant ce temps, des fachos paradent dans les hémicycles et leurs associations ne sont pas inquiétées. Une mise à jour, arrivée après la publication de ce numéro de La Décroissance : pour commémorer les soixante ans d’un putsch militaire, des généraux en retraite engagent le gouvernement à un bon tour de vis autoritaire contre les « hordes de banlieue » et « un certain antiracisme » (« indigénisme », « racialisme » et « théories décoloniales », bingo). Si « rien n’est entrepris », ils menacent de l’« intervention » de leur « camarades d’active », ce qui est à proprement parler une menace de sédition (2)…
Voilà le contexte dans lequel s’inscrit la une de La Décroissance : un recul inquiétant de la tolérance (de tous côtés d’ailleurs), une explosion des inégalités depuis les politiques d’austérité qui ont fait suite au sauvetage des banques en 2008 et une classe politique majoritaire qui est dans le déni et des antagonismes de classe et des inégalités, discriminations et violences subies par certains groupes sociaux mais qui mise sur une guerre culturelle pour faire oublier une guerre économique qui fait rage. Nous assistons, impuissant·es ou diverti·es par une panique morale savamment entretenue, à une vaste entreprise de prédation des biens communs (des services publics à la capacité à seulement encadrer l’activité économique par quelques principes sociaux et écologiques) au service de quelques intérêts capitalistiques et aux dépens des intérêts du plus grand nombre et de la préservation de notre milieu. Il me semble qu’il y a dans ce monde-là mieux à faire que de nourrir cette panique morale, il y a à articuler les questions socio-économiques aux luttes féministes, anti-racistes et écologistes/technocritiques. C’est d’autant plus urgent qu’en matière de technique, il n’y a pas de balancier, il n’y a que des cliquets qui verrouillent notre avenir. Et c’est parfois compliqué, quand les tenant·es de ces luttes sont trop occupé·es par des questions symboliques plutôt que matérielles (2), mais c’est un objectif qui devrait nous rassembler.
Au lieu de ça, le rédacteur de La Décroissance Raoul Anvélaut (c’est le pseudo du rédac chef) pose sa contribution au débat sous les auspices des pires caricatures, de ce récit venu de l’extrême droite et désormais propagé presque unanimement par les classes dominantes. Il n’y a plus d’anti-racistes, car ce serait supposer que leurs opposant·es anti-anti-racistes sont plus simplement racistes. Il n’y a plus que des « indigénistes », « décolonialistes » et « racialistes » dans un gloubi-boulga peu ragoûtant. Sont mis dans le même sac :
des militant·es peu nombreux/ses mais très clivant·es (le Parti des indigènes de la République, PIR… ou pire, pour une grande part de la gauche radicale) sous une appellation confuse d’« indigénistes » qui dans le reste du monde est réservée aux luttes autochtones (4),
les pensées décoloniales portées par des intellectuel·les latino-américain·es (décrit·es ici par Irène Pereira), originaires d’un continent depuis longtemps décolonisé mais où le pouvoir politique et économique est resté majoritairement dans les mains des populations d’ascendance européenne et où les questions sociales et raciales sont bien plus imbriquées qu’en Europe,
et enfin des « racialistes » qui auraient le tort d’inventer des discriminations raciales et un racisme d’État (l’expression est systématiquement mise entre parenthèses, sans un mot pour reconnaître ni même nier la situation qu’elle décrit) là où tout va très bien, madame la marquise.
Cette confusion bien entretenue prend la moitié du papier, avec force citations indéfendables d’ennemi·es choisi·es avec soin et qui ne le sont pas plus (défendables), car critiquer les voix qui font vraiment autorité dans cette large nébuleuse aurait été un exercice plus compliqué. Cédant à la même facilité, Anvélaut (la bicyclette donne pourtant le goût de l’effort) s’attaque à l’ouvrage de Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen (Le Seuil, 2019, pas encore lu pour ma part), en en extrayant un segment de phrase (faire « de la fracture coloniale l’enjeu central de la crise écologique ») censé désavouer l’intégralité du propos. Plus loin, une note de bas de page précise que les écolos français ont assez été tiers-mondistes pour ne rien avoir à se reprocher. Voilà qui suffira sur le sujet.
Vient ensuite un concours de qui donc est le plus malheureux, entre les peuples colonisés et les populations paysannes occidentales décimées par le développement et la technique. L’autrice que je suis d’On achève bien les éleveurs ne va pas s’amuser à nier la gravité de ce que Pierre Bitoun et Yves Dupont appellent le « sacrifice des paysans », l’industrialisation puis la tertiérisation du pays à coups de modernisation agricole par en-haut, le tout aboutissant aujourd’hui à la prolétarisation d’exploitants agricoles (aux trois-quarts des hommes) exportant dans le monde entier, brassant des centaines de milliers d’euros dont ils ne garderont jamais qu’une infime partie souvent à peine suffisante pour vivre. Lire à ce sujet l’Atelier paysan, Reprendre la terre aux machines (Le Seuil, 2021, en librairie à partir du 6 mai). L’histoire de la destruction des paysanneries occidentales et celle de la colonisation ont des traits communs, certes (« les paysans (européens) vivant du fruit de leur travail, dans une économie locale de subsistance (…) eux aussi ont été emportés par le développement industriel, l’essor de la puissance technique, l’accélération des transports, l’élargissement des marchés »), mais d’autres qui divergent.
Car jusqu’ici les paysan·nes français·es, décimé·es en tant que groupe, sont pour la plupart passé·es dans l’ascenseur social, sont devenu·es prof de fac ou de collège, infirmièr·es ou vendeurs de chaussures, et non laveurs de voitures aux carrefours de métropoles hyper polluées (5). Il n’y a pas en Europe d’agriculture latifundiaire alors que dans les pays ayant une histoire coloniale la terre a toujours été considérée comme terra nullius, n’appartenant à personne (qu’elle soit couverte de forêts comme à Bornéo ou exploitée par une population nombreuse comme à Java) et donc offerte à l’accaparement, des planteurs coloniaux puis des grandes compagnies. Ignorer les spécificités de l’histoire coloniale, c’est non seulement une faute morale quand on s’exprime sur ces questions, mais c’est surtout se priver de comprendre les tendances du monde contemporain. Aujourd’hui le sort particulier que le capitalisme mondialisé a réservé aux colonies s’étend aux pays riches, comme l’explique brillamment Xavier Ricard Lanata dans La Tropicalisation du monde (Puf, 2019). La dévoration de l’autre, de l’inférieur, du sujet colonial, était acceptable mais ne l’est plus quand elle s’étend à la dévoration de ce citoyen occidental au centre du récit républicain, lui qui s’était fièrement rebellé contre son asservissement politique puis économique en 1789, tout le long du XIXe siècle et une partie du XXe. Inacceptable et incompréhensible, d’où des protestations qui peinent à toucher du doigt cette inféodation de l’État au Capital mais s’expriment avec beaucoup plus de facilité contre des boucs émissaires, les populations non-blanches des pays occidentaux ou (dans la version élégante des journaux) leurs porte-parole et leurs allié·es. Toujours prendre le chemin qui descend quand on est Anvélaut, et qu’importe où on va.
Le troisième argument de cet article facile, c’est : « La pensée occidentale, ça dépend ce qu’on en fait. » L’auteur défend l’héritage de la Grèce antique et celui des Lumières (6), en reconnaissant qu’il est ambivalent. L’article commence même avec une critique du développement en tant que « croyance occidentale » (Gilbert Rist) ou « occidentalisation du monde » par Serge Latouche, renouant avec cette dimension fondamentale de la décroissance. Mais ne prenons que le meilleur de cette pensée occidentale ! Pour un auteur qui oppose les pensées anti-racistes à une critique exigeante du fait technique, l’invitation est douteuse puisque c’est justement le discours commun sur la technique, qui aurait des bons et des mauvais usages entre lesquels on pourrait choisir. Or on ne peut pas choisir un couteau à couper le steak qui soit incapable de se ficher également dans une chair vivante, selon l’exemple consacré. C’est le même objet ambivalent qui contient tous les usages auxquels il est, sinon destiné, du moins adapté. Le droit d’inventaire est limité… C’est pourtant ce que semble vouloir faire Anvélaut, se rangeant derrière Jacques Ellul et Cornelius Castoriadis, maîtres à penser de l’écologie politique, tous deux louant certains aspects de la civilisation occidentale, vingt-cinq siècles d’une histoire qui est par ailleurs homogénéisée et mythifiée. Quand on y regarde de plus près, on découvre par exemple que la pensée de la Renaissance était analogiste alors que celle d’aujourd’hui est naturaliste, selon la typologie de l’anthropologue Philippe Descola, et ça change un tout petit peu le rapport au milieu naturel (7). C’est un peu plus compliqué que ce storytelling républicain glorifiant l’« Occident » (et c’est simplement l’envers du mythe du bon sauvage dont Anvélaut note avec pertinence la simplicité).
Anvélaut lance également quelques piques contre un mouvement intellectuel influencé par Bruno Latour et Descola et qui met au centre de la crise écologique le rapport anthropologique entre humains et non-humains. Je ne sais pas si ces piques ont été précédées d’attaques plus frontales. Ce serait utile et ça a été fait ailleurs, notamment par Aurélien Berlan qui a pris la peine d’argumenter. Chacun·e met au centre de cette crise ce qui lui semble le plus pertinent : le rapport colonial, le rapport entre humain et non-humain, les rapports de production capitalistes, la technique et même le patriarcat. Peut-être que personne n’a tout à fait tort, que ces différents éléments s’imbriquent : par exemple la technique est aussi la nouvelle frontière, sans cesse repoussée, du capitalisme. On peut ne pas être d’accord entre écologistes et se le dire sans s’aligner sur des fascistes.
En septembre 2019, La Décroissance me tombait dessus, m’accusant de « harcèlement » envers l’auteur de La Reproduction artificielle de l’humain contre qui j’avais échangé des arguments politiques sur un réseau social confidentiel (sans limite de signes). J’avais fini par comprendre et par dévoiler que mon interlocuteur était l'auteur, caché derrière un deuxième pseudo pour louer sans nuance son propre livre. La Décroissance me critiquait également pour ma présence sur Twitter avec l’« adulescent » Mickaël Correia, un bon camarade à qui l’ont doit une excellente série de reportages sur le détricotage de la loi climat par les lobbies – ce qui lui vaudra peut-être un jour de se retrouver en « écotartuffe » ou « saloperie que nous n’achèterons pas ce mois-ci » dans les pages de La Décroissance. Mais est-ce que le « journal de la joie de vivre » assure mieux que les réseaux sociaux en ligne (Facebook, Twitter et leurs alternatives) la qualité du débat public ou à tout le moins du débat dans la sphère écologiste radicale ? Pas vraiment, non, avec son manteau d’Arlequin de propos haineux ou diffamatoires et d’articles intéressants, sous la houlette d’un patron catholique et républicain borné qui à ma connaissance (mais je lis peu ce journal) n’a jamais laissé s’exprimer le moindre débat dans les pages de La Décroissance entre lui et ses rédacteurs plus anarchistes. Pas de quoi donner des leçons d’intelligence et de tolérance dans un monde où ces vertus commencent à bien manquer. À l’époque, il m’avait semblé déloyal de porter plainte pour diffamation car même si le harcèlement est un fait grave, nous ne sommes pas si nombreuses et nombreux à porter l’écologie radicale. Aujourd’hui, je n’aurais pas ces scrupules, après cette belle allégeance à l’extrême droite, d’Éric Zemmour à Emmanuel Macron et Manuel Valls. Et nul doute que les recettes de ce numéro spécial racisme, qui a séduit jusqu’à mes voisin·es très à droite, devrait pouvoir éponger la douloureuse.
NB : J'utilise le mot fascisme dans le sens que lui donne une amie historienne. C'est une idéologie qui tente de déchirer le corps social aux dépens de minorités et dans un intérêt bien compris.
(1) Un petit mot sur cette fâcheuse décision des « algorithmes ». Cela fait des décennies que les linguistes qui travaillent avec l’outil informatique étudient les éléments du lexique dans leur environnement. Les robots de Twitter savent aussi faire la différence entre « fière + gouine » et « sale + gouine ». Quand la directrice de Twitter France en charge de ces questions est une LREM, les problèmes ne sont pas techniques, ils sont politiques.
(2) « Assez d’atermoiements, l’heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. Par contre, si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. » Valeursactuelles.com, 21 avril 2021.
(3) Elles se nourrissent les unes des autres, par exemple les violences de la pauvreté, mais je rêve que les féministes s’emparent mieux des questions économiques et que des contributions au débat comme Le Genre du capital de Bessière et Gollac (un ouvrage très important chroniqué ici) posent les bases de ce nouveau champ de bataille, dans lequel l’individualisation de l’imposition pourrait servir d’étendard. Mais je n’ai pas encore écrit dessus…
(4) Le mot « indigène », marqué par notre histoire coloniale, signifie : sujet colonial concerné par le statut de l’indigénat. Or, il est souvent utilisé en France à la place d’« autochtone » qui est plus juste quand on parle de peuples sans État avant l’époque contemporaine. C’est souvent une traduction trop littérale des mots espagnol et anglais indígena ou indigenous.
(5) Dans beaucoup de familles dont la mienne, ce passage a été vécu positivement et cette disparition d’une classe a été ambivalente. Depuis quelques décennies, elle n’est plus que tragique. Par exemple les départs en retraite sans transmission de la ferme, quand les terres sont simplement vendues au voisin, signifient une perte de sens pour le retraité et constituent l’une des raisons importantes des suicides en agriculture (lire Nicolas Deffontaines).
(6) J’ai la chance d’avoir été dix-huitiémiste dans une vie antérieure et d’avoir écrit dans le cadre de mes études sur un auteur des Lumières, Denis Diderot. La brochette de perruques poudrées parlant comme un seul homme et posant les bases de ce qui deviendrait la République est un mythe.
(7) Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.
]]>2021-05-06T06:56:58+00:00Audetag:ergosterol.monolecte.fr,2021-04-26:/12221Le centimètre sentimental.Combien de fois perd-on ses clés dans une vie ? Vraiment je veux dire. Pas cette perte d'une...]]>
Combien de fois perd-on ses clés dans une vie ? Vraiment je veux dire. Pas cette perte d'une minute qui nécessite juste de se déplacer dans une autre pièce ou de se retourner pour les retrouver. Combien de fois ? Combien de fois cette perte revêt-elle un caractère suffisamment urgent, déterminant, éminent, pour que le recours à des technologies avancées de localisation s'impose ou s'avère impérieux et nécessaire ? Combien de fois dans une vie ne peut-on pas supporter d'attendre de les retrouver au-delà des 5 minutes le permettant en général ?
La firme Apple a lancé les "AirTag", des sortes de balises à placer sur son porte-clefs, son portefeuille ou là où vous voudrez et permettant de les localiser (depuis votre téléphone) à quelques centimètres près. "Prenez l'habitude de tout perdre" nous dit le tellement programmatique et 1er degré slogan.
Et juste en dessous du slogan, l'argumentaire commercial (je souligne) :
"L’AirTag est l’accessoire tout trouvé pour tout retrouver. Accrochez‑en un à vos clés, glissez‑en un autre dans votre sac, et n’y pensez plus. Grâce aux AirTags, vous pouvez facilement repérer vos objets dans l’app Localiser, qui vous permet aussi de détecter vos appareils Apple et de ne pas perdre vos proches de vue.
À partir de 35 €
Disponible le 30/04."
Le AirTag existe donc en version standard à 35 euros mais si vous le voulez comme accessoire de bagage Hermès, c'est de suite 500 euros. On peut le personnaliser en faisant graver dessus ses initiales ou un émoji mais pas le mot "cul" (comme l'a remarqué - cela ne s'invente pas - The Verge), même si l'AirTag est utilisé comme plug anal. Ce monde est plein de contradictions.
Voilà pour le côté business et merchandising, voyons maintenant du côté de la techno. Les AirPad utilisent l'Ultra Wide Band (UWB) dont Numérama nous rappelle les particularités :
"l’UWB est une technologie de communication radio au même titre que le Bluetooth ou le Wifi. (...) Mais à la différence de ces deux technologies qui exploite la bande des 2,4 GHz, l’UWB s’étale sur une très large bande (d’où son nom) allant de 3,1 à 10,6 GHz. Cette spécificité lui permet d’être très polyvalent et de ne pas être perturbé par les autres ondes domestiques.
Jusqu’ici l’UWB était très utilisé dans les environnements industriels pour localiser des marchandises dans les entrepôts. Car l’intérêt majeur de cette technologie est d’offrir une localisation en intérieur très fine, là où les ondes GPS sont bien moins précises. (...) La technologie est sortie des entrepôts pour se retrouver dans les balises de Samsung et d’Apple qui promettent de vous aider à retrouver vos biens les plus précieux, grâce à une localisation ultra-précise (à la quinzaine de centimètres près) et des ondes capables de traverser les obstacles."
Apple n'est en effet pas le premier à lancer sa balise UWB et quelques semaines plus tôt c'est Samsung qui lançait sa propre gamme dans des prix équivalents. Gageons que ces balises vont dès lors croître et se multiplier donnant lieu a à peu près autant de blagues (cachez un AirTag chez des gens - ou dans des slips si vous êtes chroniqueur d'une émission de Cyril Hanouna - et faites le sonner) que de dérives en termes de vie privée. En effet, côté vie privée, officiellement :
"Le respect de votre vie privée n’est pas en option. Vous êtes la seule personne à pouvoir localiser votre AirTag. Vos données et votre historique de localisation ne sont jamais stockés dessus. Les appareils qui relaient les informations de localisation de votre AirTag conservent également leur anonymat, et ces données sont chiffrées à chaque étape du processus. Ce qui fait que personne, pas même Apple, ne peut connaître la position de votre AirTag, ni savoir quel appareil a permis de le localiser."
Mais si l'on nous explique naturellement que la vie privée reste la priorité et qu'Apple ou Samsung ne pourront en aucun cas vous espionner, il n'en reste pas moins que cette technologie permet à chacun de "suivre à la trace" n'importe qui d'autre équipé d'un AirTag un peu à la manière de ces films d'agents secrets des années 80 qui plaçaient de mystérieux gadgets sur le bas de caisse d'une voiture ou dans le sac à main des dames.
Je parle souvent d'une anecdotisation des régimes de surveillance, palpable dans la multiplication des dispositifs connectés dans nos environnements comme dans nos pratiques quotidiennes. Cet AirTag est une pierre de plus dans ce jardin. Il faut se souvenir qu'aux tout débuts de l'industrialisation du commerce des traces numériques, c'étaient avant tout des mères de familles américaines qui payaient pour utiliser les services de sociétés leur permettant de créer des comptes "amis" avec leurs enfants sur le réseau Facebook pour mieux les espionner ou bien encore pour géolocaliser ceux-ci en permanence dès qu'ils sortaient de la maison. Avec l'AirTag tout est plus simple, t'en colles-un dans le cartable de ton fils et c'est bingo. Marche aussi bien sûr pour faire du testing entre amoureux surtout épris de doute sur l'honnêteté de l'autre. Il ne s'agit pas simplement d'un capteur de plus. Il s'agit d'un capteur de plus que nous disposons où nous voulons. Et la nuance est de taille.
Bref, vous allez dire que je vois le mal partout donc puisque l'on nous vend ça comme un dispositif pratique et astucieux pour ne plus perdre ses clés, revenons un peu à une rapide archéologie de ces porte-clés magiques.
I Love You.
Je ne sais pas si vous vous souvenez (selon votre âge) d'un film ultra chelou "I Love You", de Marco Ferreri, dans lequel Christophe Lambert était amoureux d'un porte-clé au visage de femme, porte-clé qui disait "I Love You" quand on sifflait à proximité (initialement pour le retrouver).
Bien. Cet accessoire devenu acteur donnant la réplique à Lambert avec d'ailleurs à peu près autant d'expressivité dans son jeu que le précédent nommé, faisait les choux gras des années circa 1986. On voyait alors croître et se multiplier les clones de l'initial "Echo Key" :
L'un des tout premiers "porte-clé" qu'on pouvait siffler. Enfin tu sifflais et hop le porte-clé il se mettait à bipper ou à balancer des phrases pré-enregistrées du genre "I Love You". Ma mémoire traumatique est encore pleine de l'arrivée de ce machin dans la famille et du temps perdu à siffler comme des couillons jusque pour qu'il se déclenche, jusqu'à ce que nous le perdions à notre tour ou que les piles se vident ou qu'il fut dévoré par un chien (ma mémoire traumatique est imprécise).
[le stress test presque automatique, quasi-pulsionnel, que nous faisons subir aux objets et produits technologiques méritarait à lui seul une petite anthropologie. Peut-être existe-t-elle d'ailleurs déjà. Mais me revoyant siffler en essayant toutes les intensités et les types de sifflement possibles pour faire "réagir" le porte-clé bipper, je ne peusx m'empêcher de me revoir ou mes enfants, des années plus tard, posant tout un tas de questions débiles aux assistants vocaux de Siri ou de Google, ou tapant des lieux improbables sur Google Maps ou Google Earth]
La peur de perdre quelque chose (principalement ses clés) donna donc naissance à une sorte d'industrie de la gadgétisation des dispositifs de recherche. De la même manière qu'au début des années 1990 la peur de se perdre, donna naissance au marché des premiers GPS portatifs. Et que la peur de perdre quelqu'un donna à son tour naissance à l'industrie de la surveillance comme de la sous-veillance.
Ou plus exactement, à remettre les choses dans le bon ordre, c'est bien sûr l'industrie du gadget qui nous convainquit que la peur de perdre quelque chose se devait d'être comblée sans retard et à moindre coût, comme l'industrie du GPS nous convainquit que la capacité technique de pouvoir ne jamais se perdre rendait illégitime la peur de se perdre ou d'arriver en retard à un rendez-vous, et comme l'industrie de la surveillance nous convainquit de l'intérêt de ne jamais perdre personne de vue quoi qu'il en coûte.
De "se repérer" à "repérer". Repérer c'est aussi re-pairer, appairer ou apparier, c'est refaire paire, entre un individu et un objet ou entre deux individus. L'impossibilité de se repérer comme l'impossibilité de (se) retrouver sont les deux mamelles motrices du capitalisme pulsionnel qui nous pousse à acheter pour continuer de désirer en permanence combler la peur de perdre ou de se perdre. Après la FOMO (Fear Of Missing Out) c'est l'avènement programmé de la FOLS (Fear Of Losing Something / Someone)
Il est bien des manières de regarder l'histoire de ces dispositifs de balises, de ces capteurs, qui viennent ajouter une nouvelle couche "d'équipement" à notre réalité, d'autant que ces dispositifs peuvent chez Apple comme chez Samsung être visualisés en réalité augmentée pour nous mener à l'objet recherché. Il serait passionnant d'en faire l'archéologie des formes, des couleurs, des usages, des technologies associées, des discours marketing les accompagnant.
J'y vois principalement, je l'ai écrit plus haut, une confirmation de l'anecdotisation des régimes de surveillance. Avec une touche de ludification (c'est "fun") et de gentrification (c'est chic, Hermès ...)
On peut aussi y voir l'envers, la dynamique de retour d'un internet des objets qui après avoir permis aux objets et aux biens de consommation d'arriver jusqu'à nous sans effort, devrait désormais nous permettre d'arriver jusqu'aux objets sans effort. Cette dynamique première c'est celle que je vous décrivais il y a 6 ans, en 2015, à propos du lancement par Amazon de sa gamme "Dash", des boutons cliquables qui permettaient, par simple pression, de commander tout un tas de trucs. J'avais appelé ça le World Wide Push : la pulsion du bouton.
ici par exemple le bouton, collé sur la machine à laver, et permettant de commander de la lessive de la marque Tide.
L'AirTag d'Apple et l'ensemble des autres balises seraient un World Wide Pull, une manière de nous (at)tirer jusqu'à l'objet, de passer d'un internet des objets "pousse-bouton" à un internet des objets "attire-balise".
On peut enfin y voir un écho à la loi du kilomètre sentimental, ou loi de proximité, ou loi du mort-kilomètre, qui dit que nous éprouvons toujours plus d'intérêt pour l'accident de vélo ayant fait un blessé léger dans notre village que pour l'accident de train qui a fait des centaines de mort à l'autre bout de la planète. Or il ne s'agit plus ici de kilomètre mais de centimètre sentimental. Plus l'objet est près de nous, et plus sa perte doit nous apparaître comme immédiatement insupportable. La proximité est celle d'une hyper-présence. Rien de ce qui est dans notre proximité première, centimétrique, ne doit désormais pouvoir nous échapper. Rien. Comme si la capacité de se projeter à l'autre bout de la planète en un clic sur le web ou en un mouvement de curseur sur Google Maps créait en écho la nécessité d'être en maîtrise totale du premier centimètre pour chacun de nos usages ; un peu à la manière dont Amazon, cette firme qui maîtrise l'espace infini des trajectoires logistiques marchandes du désir sur la totalité de la planète, tente de nous assigner à la logistique du dernier kilomètre qui est pour la firme la plus coûteuse et la plus complexe. Premier centimètre, dernier kilomètre. Equiper chacun de nos déplacements, même s'il n'est besoin que de déplacer le regard. Et la priorité donnée à ce que pour retrouver l'objet, c'est notre téléphone que nous regardions et non l'objet lui-même, fusse-t-il à quelques centimètres seulement. Retrouver nos clés à quelques centimètres en faisant en sorte que jamais nous ne regardions nos clés autrement que dans l'interface du téléphone nous y guidant. S'habituer à cela. Anecdotiser ce rapport au manque, à la perte, aux objets comme aux êtres. En faire un sous conscient. Une routine. Un réflexe. Un habitus.
Moralité.
Vous avez remarqué vous aussi ? Il n'y a jamais eu autant de fils, de câbles et de connecteurs en tout genre et à tous prix que depuis que nous sommes entrés dans l'ère de l'informatique dite "sans fil". Vous remarquerez peut-être qu'il n'y a jamais eu autant de gens perdant leurs clés depuis que nous sommes entrés dans l'ère des capteurs promettant de tout retrouver et de tout localiser.
]]>2021-04-25T17:45:29+00:00olivierertzscheidtag:ergosterol.monolecte.fr,2021-04-21:/12020Du Président des riches au Président contre les jeunes« Séduire la jeunesse », annonce le Président Macron, et pour cela que fa...]]>
« Séduire la jeunesse », annonce le Président Macron, et pour cela que faire ? Etendre le RSA aux moins de 25 ans ? Donner plus de moyens aux facs ? Renoncer à la réforme de l'assurance chômage ? Rien du tout. Le plan se résume à un « concours d'anecdotes » avec des « youtubeurs ». L'occasion, pour nous, de remettre en ligne cet article décortiquant ce qui s'apparente, au-delà du mépris sans borne de ces opérations de com, à une véritable présidence anti-jeunes.
Les jeunes n'ont jamais les tenues qu'il faut. Leurs jupes sont trop courtes, leurs blousons trop noirs, leurs tee-shirts trop moulants ou leurs joggings trop larges. À la rentrée dernière, la sortie de Jean-Michel Blanquer contre les crop tops semblait n'être qu'un épisode de plus de la longue histoire du ressentiment adulte envers la manière dont les jeunes s'habillent et parfois rejettent les codes de leurs aînés pour en inventer d'autres.
Elle était pourtant particulièrement hallucinante. Alors que, en 2020, le spectacle de femmes en partie dénudées, et généralement dénudées pour servir d'appât commercial, n'émeut pas grand monde, n'y avait-il pas d'autres sujets de préoccupations que des nombrils et des bouts de dos à l'air ? Une pandémie par exemple.
La réponse réside sans doute dans la préconisation qui accompagnait cette réprobation d'un autre âge : les élèves devraient, rappelait, l'œil froncé, le Ministre de l'Education nationale, adopter des « tenues républicaines ». Le rappel à l'ordre vestimentaire se voulait au fond rappel à un ordre politique réduit à des règles venues d'on ne sait où, mais d'en haut en tout cas, et surtout jamais questionnables.
Tout un symbole pour Emmanuel Macron qui faisait campagne en 2017 sur sa « jeunesse » et sa « modernité », mais qui s'est avéré très vite obsédé et terrorisé par le désordre et la contestation. De l'indécence des crop tops au « fascisme » de l'UNEF (dixit là encore Blanquer), rarement les jeunes auront servi à ce point de repoussoir.
Du paternalisme…
Sous Macron, c'est un mépris de plus en plus marqué, puis une phobie, qui s'est exprimée à l'égard des jeunes, de leurs inquiétudes et de leurs revendications, en premier lieu en ce qui concerne les questions environnementales. Face aux interpellations de la militante à l'écho désormais mondial Greta Thunberg, la fin de non-recevoir a, par exemple, été immédiate. Quand Brune Poirson, secrétaire d'Etat à la transition écologique, parlait à propos de la jeune femme, de « haine », Jean-Michel Blanquer, encore lui, ramenait son propos à un « cri ». Emmanuel Macron lui reprochait d'« antagoniser nos sociétés ».
Pour résumer donc : alerter de façon pacifique, verbale, argumentée sur le désordre climatique, c'est un cri inarticulé. Pointer les responsables du désastre annoncé pour la planète, c'est de la haine, de l'agressivité. Comment, plus efficacement, faire oublier le renoncement du gouvernement aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à l'interdiction des pesticides, et l'abandon de 90% des propositions de la Convention citoyenne ? Et redonner à l'action des hommes mûrs qui nous gouvernent les apparences de la modération, de l'équilibre et du pragmatisme.
Et pourtant : qui est responsable, qui est irresponsable ? Au-delà du singulier trompeur de la jeunesse, s'il y a bien quelque chose qui produit une unité en son sein, c'est la certitude très raisonnable qu'elle vivra des catastrophes climatiques. Étrangement, alors que cette clairvoyance est à la source des mobilisations les plus intéressantes des dernières années, ceux qui courageusement les animent sont ramenés à une position de mineurs priés d'attendre, de se taire et d'écouter leurs ainés. Et surtout de ne pas se plaindre.
L'accusation d'irresponsabilité a également servi d'utile diversion à la rentrée dernière, quand la recrudescence des contaminations par le coronavirus pouvait raisonnablement être attribuée à l'inaction du gouvernement depuis la fin du premier confinement. Les hordes de jeunes, qui auraient passé leur été entier à faire la fête, et à se regrouper par milliers dans des raves, se seraient, en toute désinvolture, contaminés, et auraient contaminé les autres, mettant en péril la santé de la nation.
Le Covid : la faute aux jeunes. En première ligne, Frédérique Vidal, la ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, a ainsi réfuté l'idée que les amphithéâtres bondés pourraient être des clusters pour incriminer les sorties entre « amis » dans les bars, bien plus dangereuses à ses yeux. Comme si les étudiant-es ne passaient pas une grande partie de leur vie à étudier, à travailler pour beaucoup, et à aller dans les bars… quand ils et elles le peuvent.
Pour justifier finalement la fermeture des facs, elle incrimina, une fois encore, la légèreté des étudiant-es, et notamment la fâcheuse tendance de ces grands enfants à laisser traîner leurs bonbons sur les tables des amphis.
… à la guerre.
Les causes qui, depuis des années, mobilisent la jeunesse sont traitées par le mépris – mais un mépris qui s'est accompagné, de plus en plus, d'une violence rare. L'une de ses manifestations les plus choquantes fut sans doute le refus d'étendre le RSA aux moins de 25 ans : quand la guerre aux jeunes se confond avec la guerre aux pauvres.
Mais cette hostilité est aussi proportionnelle à l'exaspération suscitée par cette évidence : la conscience environnementale, mais aussi les sensibilités féministes et anti-racistes ne cessent de gagner du terrain pour former, chez une partie croissante de la jeune génération, des évidences [1]. Les grands enfants sont devenus des ennemis dangereux.
Certes, toutes les féministes ne sont pas jeunes, et tous les jeunes ne sont pas féministes, mais les milliers de personnes qui sont descendues dans la rue pour manifester contre les violences faites aux femmes en novembre 2019, ou pour protester contre la nomination de Polanski aux Césars en février 2020, étaient, dans leur grande majorité, très enthousiastes, très déterminées et… très jeunes.
Les manifestations de rue ont quasiment disparu sous le Covid, mais la guerre aux têtes qui dépassent se poursuit par d'autres moyens que la répression. Quand le préfet Lallement prend du repos, le quatuor Schiappa-Blanquer-Darmanin-Vidal monte au front.
La nomination de Darmanin (un homme qui « s'étouffe » quand il entend parler de violences policières) a d'abord été une immense gifle pour les féministes et pour les militants anti-racistes mobilisés après la mort de Georges Floyd. Puis la campagne contre « l'islamo-gauchisme » a été lancée par Frédérique Vidal au début de l'année 2021 pour disqualifier tous ceux et celles qui travaillent sur et luttent contre l'islamophobie, ou toute forme de discrimination.
Mais certains faits sont têtus et dérangeants. L'offensive idéologique menée au nom de la laïcité contre une supposée connivence avec l'islamisme, si complaisamment relayée par les médias, se heurte à d'importantes résistances au sein de la jeunesse. En octobre 2020, lors d'une rencontre organisée par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France, la secrétaire d'État à la jeunesse Sarah El Haïry faisait face à des jeunes qui, très poliment, ont questionné l'interdiction du voile à l'école et lui ont rappelé la réalité des violences policières.
Si l'on en croit un sondage, la conception que les jeunes se font de la laïcité est très fidèle à la loi de 1905 (c'est-à-dire une séparation du religieux et du politique dans le respect de la liberté de conscience). Ils sont moins nombreux à penser que la laïcité, c'est avant tout « faire reculer l'influence des religions dans notre société » (position tout à fait contraire à l'esprit de 1905), et pensent plutôt que ce principe implique de « mettre toutes les religions sur un pied d'égalité ».
En fait, comble de l'insolence, ils sont très sensibles à la question de l'égalité de traitement.
La réponse fut cinglante. D'abord grotesque, quand Sarah El Haïry a rétorqué à ce qui n'était, il faut le rappeler, que l'expression d'une simple opinion et d'un vécu, un très autoritaire « Il faut aimer la police », pour finalement entonner La Marseillaise et diligenter une enquête contre les organisateurs de la rencontre.
Puis les résultats du sondage paru plusieurs mois après ont fait l'objet d'une complète réécriture. Alors que les jeunes s'avéraient tout à fait républicains, bien plus que leurs ainés, en vérité, on les a accusés de succomber à une vision « à l'américaine », « imparfaite » ou encore « lénifiante » de la laïcité.
Et s'il n'y avait que mensonges et rappels à l'ordre sur fond de Marseillaise. S'il n'y avait que Sarah El Haïry, seule sur son estrade, en train de chanter devant une assistance gênée pour elle... Mais ce n'est pas le cas. Face à une jeunesse rétive à l'autoritarisme et à l'arbitraire, le gouvernement fait monter la pression. Instrumentalisant la polémique née à l'IEP de Grenoble, il est venu construire de toutes pièces un autre de ces faux problèmes : les réunions non mixtes. Un mode d'organisation pourtant très répandu dans le monde syndical et jusque dans les mouvements féministes a été érigé en cheval de Troie des ennemis de la République. Et le syndicat étudiant UNEF, assumant cette pratique, est devenu le nouvel ennemi intérieur.
Aux appels à la dissolution, personne, à l'Élysée, n'a trouvé à redire. Au gouvernement, il s'est même trouvé un ministre, Jean-Michel Blanquer, pour dénoncer la pente « fasciste » que prendrait ce syndicat, qui depuis des décennies accompagne les mobilisations étudiant-es, et jusqu'il y a peu était très courtisé pour cela.
Aujourd'hui, toute une « génération » se trouve accusée de saper la République, et ridiculisée dans ses revendications : une « génération offensée » comme l'écrit Caroline Fourest qui dénonce avec morgue « ces étudiants qui s'offusquent à la moindre contradiction ». Un comble, de la part d'une professionnelle du monologue, et de la mise hors-jeu de toute contradiction.
Macron parle aux jeunes
À l'évidence, Emmanuel Macron aime certains jeunes plus que d'autres : les étudiant-es en prépa (autorisés à avoir des cours en présentiel – probablement parce qu'ils ne mangent pas, eux, de bonbons) plus que ceux de fac, renvoyés devant leur ordinateur, quand ils en ont. Ou encore tous ces petits mecs qui, au nom de leur sacro-sainte « vie de jeune homme », s'accrochent à leurs droits de cuissage. Macron pense peut-être qu'il « fait jeune » quand il donne une interview au média Brut, mais il n'empêche : c'est un président aujourd'hui confiné dans un imaginaire napoléonien, nationaliste, profondément de droite et profondément… vieux.
Sa politique de commémoration dessine par exemple une team de grands hommes réactionnaires, d'écrivains moisis, et de chefs d'État criminels. Mais, depuis la mort de Max Gallo, qui donc Napoléon fait-il rêver aujourd'hui ? À part Laurent Joffrin, Pierre-Jean Chalençon et toute la droite extrême, de Causeur à Valeurs actuelles et La revue des deux mondes ?
Pour autant, Macron n'aime pas les vieux de chair et d'os. En tout cas pas celles et ceux qui meurent en silence dans les Ephad. Ce qu'il semble aduler, c'est une « idée » des temps anciens. Un certain passé français – ses heures les plus sombres en vérité : l'union nationale, le sens du travail, l'amour de la patrie... Il incarne, à des niveaux inégalés depuis le Sarkozy des années Buisson, l'esprit de sérieux contre le goût de la fête, la grandiloquence creuse, les réflexes de « white boys' club », et surtout la haine de la révolte, de la colère et de l'impatience.
Il y a une cinquantaine d'années, ces ingrédients, et quelques autres, ont produit une des déflagrations les plus intéressantes du XXème siècle : mai 68.
[1] Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas, au sein de la même jeunesse, des tendances inquiétantes, qui ne se réduisent toutefois pas à l'extrême droitisation : voir notamment l'analyse de Vincent Tiberj.
Je remercie tous-tes les étudiant-es de l'Université Paris 8 pour les discussions qui ont nourri cet article.
]]>2021-05-26T08:42:00+00:00Sylvie Tissottag:ergosterol.monolecte.fr,2021-04-19:/11881Et puis il ne restera que Marc DutrouxDans ma tête, tourne en boucle l’idée qu’un homme accusé de viols e...]]>Dans ma tête, tourne en boucle l’idée qu’un homme accusé de viols est ministre de l’Intérieur.
Dans ma tête, tourne en boucle Goldnadel relativisant en plateau télé le viol d’un ado de 13 ans en disant que ce n’est pas la sodomie d’un enfant de 3.
J’entends les journalistes, certaines féministes, parler de « libération de la parole » et j’ai l’impression de devenir cette mamie ronchon, que les petits-enfants ne veulent plus visiter, parce qu’elle trouvera les bonbons (150 euros le kilo au meilleur pâtissier du coin) un peu aigres. Je n’arrive pas à me réjouir parce que j’ai l’impression que cette libération de la parole n’est pas accompagnée, pas aidée, pas soutenue, qu’elle génère beaucoup d’attente et qu’on se retrouve seul-es après avoir parlé, toujours seul-es avec en plus la certitude qu’on s’en fout.
Dans ma tête, celles et ceux qui nous accusent de puritanisme devraient a minima admettre, s’ils ne veulent pas parler de viol, que Darmanin a reconnu avoir échangé avec des femmes précaires, en grande fragilité psychologique et matérielle, de l’aide contre du sexe. Et dans ma tête, il n’y a aucun monde où c’est ok de faire cela y compris chez les grands bourgeois qui se parent de toutes les vertus tout en troussant les domestiques.
Dans ma tête, on a tous et toutes balancé nos tripes et nos traumas sur la table en espérant grapiller trois miettes d’aide psychologique, un fond de budget sorti tout droit de mon cul. Le privé est politique, certes, mais crevait-on d’envie d’écrire sur un réseau social public qu’on s’est faite fourrer la bouche, le vagin et l’anus en espérant susciter un peu de réaction politique en face.
Oh on ne l’a pas dit comme cela, on a mis des périphrases et des mots proprets. On n’a pas détaillé, parce que le viol salit les victimes, le récit du viol salit les victimes.
Ma mère a mis 28 ans à admettre que j’avais bien été violée et que je n’avais pas menti. Cela a été bref « ah ok je pensais que tu avais menti. Eh ben désolée ». Cela ne m’a pas fait le bien que j’espérais, c’était un peu tard, un peu léger mais quand même ça sert. Sans comparer ma mère au collectif, c’est nécessaire d’avoir une réponse collective forte face aux témoignages de victimes. Pas de l’ordre « et alors on va tous les foutre en taule et perdre la clé » mais « et on va se demander pourquoi cela arrive autant et comment faire pour que cela arrive de moins en moins ».
La libération de la parole a réussi à être instrumentalisée ; maintenant que vous avez parlé, peut-être pourrait-on passer à autre chose non ? Qu’est-ce que vous voulez EN PLUS ?
Dane ma tête, tourne en boucle l’idée que Macron a fait pression pour que soit nommé Darmanin, parce qu’il lui faut taper dans la droite la plus traditionnelle pour espérer gagner 2022, ca serait compliqué de compter une nouvelle fois sur la peur du FN. Eh ma foi qu’il ait violé ou non, abusé ou non, exagéré ou non, n’a sans doute pas compte une seule seconde. J’aimerais espérer qu’ils se soient posés la question, moi qui ai tant cru que nous féministes étions suffisamment fortes désormais pour que notre opinion compte. J’imagine les réunions qu’il y a eues, la communication à prévoir pour anticiper… rien. Il n’y a rien eu. A part quelques féministes qui gueulent inlassablement sur les réseaux sociaux, qu’un violeur est à la tête d’un ministère et que si tu ne veux pas appeler cela viol appelle le « belle saloperie qu’il a reconnue et qui est un peu plus grave que bouffer du homard au frais du contribuable ». Les français dans leur ensemble se contrefoutent du symbole Darmanin ; belle manière de chier sur l’ensemble des victimes de viol.
J’ai une infinie dépression qui se traine et se dandine, à savoir qu’on ne parlera jamais du viol que pour faire expulser des doubles-natio, promettre 250 ans de prison aux pédos bref à mener une politique raciste et carcérale qui n’a jamais rien résolu mais qui arrange le péquin qui s’est créé un frisson à la colonne vertébrale en lisant les sodomies de Matzneff.
Je me souviens il y a presque 20 ans le procès Dutroux. J’étais mal, si mal à cette époque là que j’avais tout lu, tout regardé y compris les rapports d’autopsie des gamines. Je baignais en plein complotisme parce qu’il était plus simple d’imaginer des notables protégeant Dutroux qu’une simple incompétence, une simple flemme, une simple guéguerre flics/gendarmes qui mènent à la mort d’enfants. Si c’était juste cela, alors il n’y avait plus qu’à tout arrêter parce que je ne voulais pas vivre dans ce monde là. On était sur le forum des chiennes de garde à cette époque, à déjà parler de nos viols et déjà on nous expliquait que face à l’affaire Dutroux, ce qui nous était arrivé n’était pas si grave.
20 ans après c’est le même cinéma rien ne change. On ne nie plus la parole des victimes, Goldnadel explique à la télé, sans être immédiatement foutu dehors à coups de pied au cul, que ce n’est pas comparable à la sodomie d’un enfant de 3 ans.
La grande évolution est là finalement, peut-être encore plus cruelle que ce que j’avais envisagé ; nous croire mais nous dire qu’on s’en fout. Nous croire mais nous dire qu’il n’y a pas mort d’homme ou sodomie de môme. Nous croire et que rien ne change.
A la fin il ne restera que les monstres, les Dutroux et Fourniret. Ceux qui ont torturé, violé, brisé en morceaux et qui seront toujours ceux qu’on convoquera pour mieux excuser les autres, tous les autres.